Alors que les islamistes modérés de Tunisie, du Maroc et d’Égypte ont eu des gains électoraux majeurs, ils ont enregistré un flop en Algérie.
Le vent du changement du Printemps arabe n’a fait que passer au-dessus de l’Algérie, dont le régime, solidement implanté depuis l’indépendance, tire sa spécificité de deux conflits brutaux et de son expérience passée de l’islamisme, selon les analystes. Les résultats des premières élections organisées en Algérie jeudi depuis les révolutions arabes, et tout d’abord dans la Tunisie voisine, s’écartent de cette tendance et préservent le statu quo.
Ce qu’il ressort des législatives, « c’est cette exception algérienne qui n’a rien à voir avec les lectures et les spéculations relatives au monde arabe et les révolutions qui ont traversé ces pays », souligne samedi l’éditorialiste du quotidien privé francophone Liberté.
Alors que les islamistes modérés de Tunisie, du Maroc et d’Égypte ont eu des gains électoraux majeurs avec le Printemps arabe, les partis islamistes algériens ont enregistré un flop avec 59 élus sur 462. « Ce qui s’est passé dans le Printemps arabe a influencé les Algériens, mais pas forcément comme le monde extérieur l’entendait », souligne le politologue Noureddine Hakiki. « En Égypte, en Libye (…), il y a eu le changement, mais il y a eu la régression, il y a le désordre. L’Algérien ne cherche pas l’insécurité, il cherche la stabilité », explique-t-il.
Cinq jours d’émeutes en 2011
Après l’introduction du multipartisme en 1989 en Algérie, le Front islamique de salut (FIS) a failli être le grand vainqueur des législatives deux ans plus tard. Mais l’armée avait interrompu le processus et une guerre civile de plus de dix ans avec des groupes extrémistes – al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) en est une émanation – avait fait 200 000 morts. « On a eu notre islamisme, on ne peut pas oublier cette période. Chacun a été touché dans sa chair par la guerre, c’est une parenthèse que cette génération ne veut pas rouvrir », explique Noureddine Hakiki. « Il y a une incertitude sur l’avenir des révolutions arabes, les Algériens ne veulent pas entrer dans une aventure », assène-t-il encore.
L’Algérie a aussi vécu une guerre d’indépendance sanglante de sept ans contre la France, devenant le seul pays d’Afrique francophone à avoir conquis, en 1962, sa liberté par les armes avec un bilan évalué côté algérien à 1,5 million de victimes. Son régime, avec à sa tête depuis 1999 le président Abdelaziz Bouteflika et un appareil sécuritaire solide, a pris son temps pour se maintenir. Les émeutes début janvier 2011, en pleine révolution tunisienne, n’ont duré que cinq jours, malgré de longues grèves et manifestations sociales. Bouteflika y a répondu avec des augmentations salariales et des réformes.
Les islamistes du Mouvement pour la société et la paix (MSP), proches des Frères musulmans, étaient déjà au pouvoir au sein de l’alliance présidentielle dirigée par l’historique Front de libération nationale (FLN). Mais ils l’ont quittée pour en créer une autre, avec deux formations islamistes, qui ne leur a pas permis de retrouver leur légitimité. « Les islamistes se trompent lourdement. Parce que le MSP a été dans tous les gouvernements de ces dernières années et les gens ne lui font pas confiance », relève le politologue algérien, Zouheir Hamedi, basé à Qatar. « Si les Frères musulmans ont eu le score qu’ils ont eu en Égypte, c’est parce qu’ils ont connu la prison pendant plus de 30 ans. Ici, ce ne sont pas des islamistes du changement », juge cet universitaire.
Un gage de stabilité
Pour nombre d’analystes, le FLN, au pouvoir depuis l’indépendance, pourrait renouer avec eux, bien qu’il ait remporté la majorité absolue à l’assemblée avec son allié du Rassemblement national démocratique (RND) dirigé par le Premier ministre Ahmed Ouyahia. Pour nombre d’Algériens, le FLN reste une garantie de stabilité.
Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes à Paris, estime que l’Occident cherche aussi la stabilité de ce pays qui fournit à l’Europe un cinquième de ses besoins en gaz. Là où il y a eu le Printemps arabe, il y a des inquiétudes fondées, relève-t-il. J’ai l’impression qu’il y a une volonté de protéger ce régime. » Il en veut pour indice les commentaires positifs des 500 observateurs étrangers, dont environ 150 de l’Union européenne, sur le scrutin algérien malgré de multiples soupçons de fraudes. Qualifiant le pays de « pièce maîtresse dans l’enjeu du Sahel », Antoine Basbous est certain que l’on « ne va pas déstabiliser l’Algérie au moment » où on attend d’elle un rôle déterminant « dans sa zone d’influence ».