Par Sami SHERIF
Dans notre édition du jeudi 10 mars, nous avons évoqué le cas de l’affaire ayant pris forme à la suite d’un accident mortel de circulation survenu il y a un peu plus de 2 mois et demi sur une artère de la capitale économique du pays (voir notre article : « Maroc : trébuchant sur une affaire d’accident mortel de circulation, la justice se laisse ternir encore l’image » ). Nous y avons énuméré les péripéties qu’avait connues cette affaire depuis le jour de l’accident. Nous y avons étayées les nombreuses irrégularités qui l’avaient entachée dès l’arrivée des policiers sur les lieux de l’accident et jusqu’au jour où le juge qui avait instruit initialement l’affaire s’est vu retiré le dossier par le Conseil Supérieur de la Magistrature à la suite d’une plainte pour conflit d’intérêt et diffamation déposée par la victime survivante au tribunal contre ce juge ayant lui-même mené le jour de l’enterrement, les tractations pour « régler à l’amiable » cette affaire avec la famille des victimes.
Nous avons déploré le fait que notre administration puisse trébucher sur une affaire aussi grave mais tout à fait claire et simple et qu’elle ne puisse pas la trancher d’une façon appropriée avec l’attention que le cas d’espèce mérite en raison du caractère singulier et urgent qu’il recouvrait. Ceci était d’autant plus justifié que le principe reconnu aussi bient par le droit que par la pratique dicte dans pareils cas une mesure d’urgence de mise aux arrêts de l’auteur de tel type d’accident. En effet la règle de droit qui régit ce genre de situation stipule que lorsqu’un chauffard ayant causé un accident de circulation causant des coups et blessures ou le décès de personne doitt immédiatement être mis en garde-à-vue. Son arrestation doit s’effectuer aussitôt par les forces de l’ordre accourus sur les lieux et sans tenir compte ni de son statut, ni d’une quelconque autre considération (fautif ou non, malade ou bien-portant, ivre ou sobre…). Or, dans le cas d’espèce, l’accusé avait pu rejoindre tranquilement son domicile sur sa voiture détruisant et maquillant ainsi une part des preuves de sa faute. Deux hypothèses peuvent expliquer chacune avec sa force cette disparition anormale du fautif des lieux de l’accident : soit, que traumatisé par l’ampleur des dégas qu’il avait causés, l’accusé avait pris la fuite et s’est réfugié chez sa famille, soit comme disent certaines langues (bonnes ou malveillantes), le père de l’accusé ayant été contacté par GSM, s’était immédiatement rendu
sur place et avait « supplié » les policiers présents pour qu’ils relâchaient son fils. Dans les deux cas, la police avait failli à son devoir!
Les fautes commises par la police ne s’étaient pas arrêtées à ce stade. En effet des négligences flagrantes avaient entaché son travail sur les lieux de l’accident. D’une part, l’équipe n’avait pas pris de photos pour l’accident et aucune vue n’est disponible à présent sur la voiture de l’accusé, ni sur les victimes que les agents de la Protection Civile essayaient de faire sortir de l’amas de tôle qu’était devenue leur voiture. D’autre part, aucune mesure d’urgence n’avait été prise pour chercher et ramener l’accusé et sa voiture aux lieux de l’accident.
Sans tenir compte de la nature exacte ou fausse de la teneur du rapport établi par l’équipe de police présente, (sachant que la victime et son oncle maternel avaient relevé dès qu’ils avaient pris connaissance de cette teneur, que nombre d’omissions et de faux entachaient les procès-verbaux dressés par cette équipe Voir la vidéo ci-dessous), force est de constater déjà à ce niveau, qu’il y avait eu une défaillance flagrante de l’administration, chose qui appelle nécessairement une enquête pour établir les conditions exactes dans lesquelles, l’accusé avait pu rejoindre son domicile après avoir causé « même involontairement » la mort de deux personne. Car, le laisser en liberté dans pareilles circonstances, reviendrait d’une part à lui permettre de se défaire de nombre de preuves pouvant le condamner et d’autre part à le mettre en danger parce que possibilité était ainsi ouverte à quiconque parmi les parents des victimes de se venger éventuellement de lui, car dans des circonstances de ce genre, toute éventualité devait être envisagée, aussi bien par l’accusé lui-même, que par la force publique représentée sur place par les agents de la sécurité (la garde à vue a entre autres pour fonction de protéger l’accusé contre d’éventuels actes de vengeance de la part des parents des victimes).
A cette défaillance ayant entaché cette affaire dès les premiers instants qui avaient suivit l’accident, sont venues se greffer d’autres, celles survenues lors de l’instruction du dossier pendant les deux premières séances au tribunal de première instance. Nous n’y reviendrons pas, car nous les avons étalées dans notre premier article tout en espérant que les autorités compétentes puissent intervenir pour permettre aux juges de faire leur travail dans les conditions requises.
Nous savons depuis lors, que l’accusé est poursuivi en liberté provisoire. Le tribunal de première instance ne l’a condamné qu’à 2 mois de prison fermes seulement, comme s’il n’avait pas causé la mort à deux personnes à la fois et comme s’il bénéficiait de nombreuses circonstances atténuantes lui permettant d’échapper aux sanctions sévères prévues dans pareils cas (un maximum de 10 ans de prison fermes), alors que sa fuite des lieux de l’accident devait être retenue comme une circonstance aggravante contre lui ! A présent, libre comme son père le voulait, il attend de passer devant le juge d’appel, car ni sa famille, ni celle des victimes n’ont accepté la sentence primaire.
Les choses ne se sont pas arrêtées à ce niveau. Le jeudi 13 mars, la chaîne de télévision publique 2M a présenté dans son journal de 21 h, un dossier sur l’affaire. Le fait que cette chaîne s’intéresse à ce genre de faits qui; sans la perte de deux innocentes âmes que l’accident avait causé, aurait pu être qualifié de divers, ne sort nullement de l’ordinaire. C’est même son devoir de s’attendre sur ce type de dossiers pour éclairer l’opinion publique sur ce qui se passe dans le pays. Mais, le comble, c’est que l’émission était conçu d’une manière telle, que les téléspectateurs n-y pourraient constater aucune trace d’une quelconque irrégularité, ni de trébuchement de la justice dans cette affaire. L’on y a montré le jeune Bennani, victime ayant survécue à l’accident raconter sur les lieux-mêmes de l’accident, les circonstances dans lesquelles sa voiture fut heurtée par derrière par la Jaguar conduite par le chauffard roulant à grande vitesse. L’intéressé, Directeur d’une entreprise de haute technologie à Los-Angeles tenant la réserve requise dans pareille émission, n’a essayé de placer aucun mot condamnant l’accusé. Puis l’on a montré l’avocat de
l’accusé, lui-même trébuchant en essayant de défendre son client en avançant que celui-ci avait le feu vert pour passer et qu’il roulait à peine à 75 Km/h, et que ceci s’expliquait par le fait que sont père lui avait ordonné de ramener la voiture à la maison le plutôt possible! L’avocat a ajouté que son client n’avait été au moment de l’accident ni sous l’effet d’un médicament, ni alcoolisé! L’émission a montré par la suite le bâtonnier de Casablanca proposant l’intervention du législateur pour réduire l’écart prévu par la loi entre les peines privatives de liberté prononcées dans pareils cas! L’on a appris par ledit juriste que la loi prévoit des peines allant de deux mois à 10 ans de prison fermes. L’émission revient sur le cas de la victime survivante à l’accident (apparaissant encore traumatisée ) pour la montrer avec une parente et pour l’interroger uniquement sur sur son état de santé depuis l’accident, sans chercher à lui demander si l’affaire suivait ou non un cheminement normal depuis qu’elle avait été soumise aux mains de la justice.
Il s’agissait là en fait d’une émission de désinformation et nullement une émission d’information comme elle devait l’être. Elle a passé sous silence nombre de péripéties et nombre d’irrégularités que ce soit au niveau de l’identification par la police des circonstances de l’accident lui-même ou celui de l’instruction du dossier au niveau du tribunal lors de ses 2 premières séances. Le réalisateur de cette émission s’est arrangé pour laisser à l’écart l’avocat des victimes qui n’aurait sûrement pas tu les véritables circonstance de ce terrible accident causé par un adolescent de 19 ans auquel les parents ont confié une Jaguar de premier cri qu’il conduisait d’une manière inappropriée à une heure si tardive de la nuit!
Après avoir visualisé cette émission, l’on a l’impression qu’elle a été conçue sournoisement pour banaliser les faits, innocenter le malfaiteur, montrer que l’affaire suit son chemin normal et qu’elle trouvera instantanément son issue comme « toute autre ordinaire affaire d’accident de la circulation ».
Avec une telle émission, notre administration s’est encore une fois de plus brûlée les doigts après avoir montré nombre de défaillances au niveau d’un certain nombre d’instances dont les dysfonctionnements graves sont encore une fois manifestement attestés par les événements dramatiques de ces derniers jours à Balaksiri.
Qu’une affaire d’accident de la circulation; quelque soit sa gravité, puisse révéler un tas de brèches dans le fonctionnement de trois départements des plus sensibles, ceci augure d’un accroissement considérable des maux de notre Administration. Cette état de fait lamentable n’est nullement acceptable parce qu’il risque d’amplifier encore plus les difficultés des citoyens, lesquels seront ainsi acculés à retirer définitivement toute confiance dans leurs services publics.
En attendant que justice soit faite dans cette affaire et que l’accusé soit sévèrement sanctionné pour le double décès dont il était à l’origine, et ce, pour dissuader les fils à papa de commettre des bêtises aussi gravissimes et les papas à fils adulés de vouloir les défendre à tout prix en dépit de leur irresponsabilité, nous espérons que le gouvernement soit conscient du fonctionnement catastrophique de notre Administration et qu’il entame d’une manière urgente et prioritaire une profonde réforme de la gestion de la sûreté, de la justice et du secteur de la communication et de l’information.
Sami Shérif
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