Par Sami SHERIF
Suite à sa visite au Maroc en septembre dernier sur invitation du gouvernement marocain, Juan Mendez, le Rapporteur Spécial de l’ONU, vient de faire connaitre ce mardi la teneur du rapport qu’il a établi sur les droits de l’homme dans ce pays. Il doit le soumettre à l’appréciation du Comité des Droits de l’Homme à Genève lundi prochain. Le rapport est catégorique : la torture est toujours pratiquée au Maroc. Il détaille les pratiques de torture et encourage les autorités marocaines à prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.
Si tel est le diagnostique établi ainsi, Juan Mendez « se félicite [quand-même] de l’émergence, d’une manière générale, d’une culture des droits de l’homme » dans ce pays. Mais cela ne l’a pas empêché de relever par ailleurs que la pratique des traitements cruels « persiste
dans les affaires pénales de droit commun » et que dans les situations de forte tension, comme par exemple en cas de menace perçue à la sécurité nationale, de terrorisme ou de manifestation de masse, « il y a un recours accru aux actes de torture et aux mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention ».
Juan Mendez n’y a pas caché ainsi sa vive préoccupation quant aux témoignages de torture et de mauvais traitements dans des cas présumés de terrorisme ou de menace contre la sécurité nationale. Il y a affirmé en substance qu’« il semble qu’actuellement la torture soit utilisée sur une large échelle pour obtenir des aveux dans les affaires touchant la sûreté nationale. Les tortures infligées consistent à frapper les personnes concernées avec un bâton et un tuyau, à les suspendre pendant de longues périodes, à les frapper sur la plante des pieds (falaqa), à les frapper de la paume de la main sur le visage et, en particulier, sur les oreilles, à leur donner des coups de pied, à les exposer à des températures extrêmes, à les agresser sexuellement ou à les menacer d’agressions sexuelles. »
Selon ce même rapport, dans ces cas qui touchent à la sécurité nationale, « il semble que souvent les suspects ne sont pas officiellement enregistrés, qu’ils sont détenus pendant des semaines sans être présentés à un juge et sans contrôle judiciaire, et que leurs familles ne sont informées de leur détention que lorsqu’ils sont transférés dans les locaux de la police pour signer des aveux. Selon les informations reçues, dans de nombreux cas, les victimes sont alors conduites à un poste de police, où une enquête préliminaire, datée du jour du transfert au poste, pour éviter le dépassement des délais de garde à vue, est ouverte. « Concernant les personnes reconnues coupables d’infractions liées au terrorisme, le Rapporteur spécial a constaté que ces derniers « continuaient d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant l’exécution de leur peine. ».
De l’avis du Rapporteur Spécial, lors des manifestations populaires de février et mars 2011, « les forces de sécurité auraient à plusieurs fois agressé les manifestants, faisant au moins un mort et de nombreux blessés ». Il fait état de témoignages similaires concernant les manifestations de mai 2012 à Rabat, à Fez, à Tanger et à Témara auxquelles les autorités marocaines ont répliqué par un usage excessif de la force, arguant qu’il s’agissait de manifestations non-autorisées. Selon Juan Mendez, cet usage excessif de la force pour disperser des manifestants est lui-même interdit par le droit international.
Sur le volet de l’impunité des responsables des cas de torture, le Rapporteur spécial note « avec préoccupation » qu’aucun fonctionnaire ne semble avoir été poursuivi pour des actes de torture. Suite à sa demande, le gouvernement marocain a indiqué que 220 agents de la force publique ont fait l’objet d’enquêtes. Juan Mendez indique que ces agents sont poursuivis pour coups et blessures et non pour actes de torture et que la plupart « sont encore en examen ou ont été déclarés non coupables. Les rares policiers qui ont été reconnus coupables ont été condamnés à des peines légères telles qu’une amende ou une suspension. »
A propos des travaux de l’IER et de la question de l’impunité, Juan Mendez craint d’ailleurs « que les activités de l’Instance n’aient pas brisé le cycle de l’impunité de facto des auteurs des violations de la Convention commises
pendant cette période, dans la mesure où, à ce jour, aucun d’entre eux n’a été poursuivi. ». Par ailleurs, le Rapporteur spécial « regrette que des hautes autorités refusent d’admettre que la torture est encore pratiquée.»
Sur le volet des preuves obtenues sous la torture, Juan Mendez indique que les juges « semblent disposés à accepter des aveux sans essayer de les étayer par d’autres éléments de preuve même si la personne se rétracte au tribunal et affirme avoir été torturée. En outre, les témoignages reçus indiquent que de nombreuses affaires soumises aux tribunaux reposent entièrement sur les aveux de l’accusé, en l’absence de toute preuve matérielle ».
Il tient à souligner que le système médico-légal marocain « devrait être revu d’urgence et réformé, dans la mesure où il ne garantit pas actuellement la détection, la documentation et une évaluation médico-légale correcte de tout cas présumé de torture et de mauvais traitements; selon le Rapporteur spécial, c’est peut-être là une des raisons de la non-application de la règle d’exclusion des éléments de preuve obtenus sous la torture ».
La teneur de ce rapport accablant pour les autorités marocaines, ne va sûrement pas faciliter la tâche à la représentation du Maroc au sein du Comité des Droits de l’Homme, où elle cherche ardemment à en obtenir la présidence.
Sami Shérif