Maroc : selon le poète et écrivain Abdellatif Laâbi, la liberté de conscience ne peut-être garantie que par l’adoption de la laïcité

 « La  laïcité n’est pas un athéisme militant »

 

Le poète et écrivain marocain Abdellatif_Laabi
Le poète et écrivain marocain Abdellatif_Laabi

Par Abdellatif LAÄBI   (Extrait de son livre « Un autre Maroc » qui paraîtra  au mois de  mars aux Éditions de la Différence)

Le combat pour les libertés individuelles a connu chez nous un véritable regain au cours des dernières années. Bien des tabous ont été levés et l’éventail des libertés revendiquées ne cesse de s’élargir. Mais il en est une, à savoir la liberté de conscience, vis-à-vis de laquelle des hésitations subsistent. Malgré quelques prises de position et des initiatives courageuses en sa faveur, elle n’est pas encore portée par un mouvement d’opinion d’envergure. Elle gagnerait donc à être mieux explicitée comme un des droits fondamentaux de la personne humaine, un indicateur éloquent de l’enracinement de l’État de droit dans un pays, ainsi que du degré de l’accomplissement civilisationnel atteint par une société.

 Or la liberté de conscience, si elle était reconnue, nécessiterait, pour la garantir, l’adoption des règles de la laïcité. C’est pour cela qu’il est devenu urgent de nommer les choses par leur nom et de mettre en avant la question de la laïcité, au même titre que les autres préalables dont dépend la construction du projet démocratique.

La laïcité devrait une fois pour toutes être comprise non comme un athéisme militant, une hostilité déclarée aux croyances religieuses, mais bien au contraire comme un devoir fait à l’État d’être le garant et le protecteur du libre exercice des croyances dans leur diversité, et également, cela doit être dit clairement, de la non croyance. Toute atteinte à ce libre exercice, toute pratique et tout discours de haine à son encontre devront être sanctionnés par la loi.

Une fois cette clarification faite et la vérité rétablie, la laïcité devient l’affaire de tous, croyants ou non, partageant l’aspiration à vivre ensemble en paix dans une société garantissant les mêmes droits et libertés à l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs confessions religieuses ou leurs convictions philosophiques. Elle pose logiquement, sans faux-fuyants, la question de la séparation du religieux et du politique, et donc celle de la nature même de l’État. Une telle idée, présentée de façon démagogique comme une hérésie par ceux dont elle dérange la stratégie d’embrigadement de la société par une idéologie aux référents exclusivement religieux, n’est pas aussi hérétique qu’on le croit. Elle a connu en terre d’islam des concrétisations durables, en Turquie et en Tunisie par exemple. Elle a été défendue et illustrée, et continue à l’être, par des penseurs croyants qui ont démontré que la laïcité, à l’instar de la démocratie, n’est pas incompatible avec l’islam.

En écrivant ce texte, mon vœu est qu’un débat raisonné puisse avoir lieu sur cette question dans notre pays. Si nous arrivons à le mener sans exclusions ni contre-exclusions, sans appel au lynchage, nous aurons, pour demain et surtout pour après-demain, ajouté aux fondations de la Maison marocaine une nouvelle base assurant à chacun de nous et au-delà de nos différences sa sécurité, le respect de sa dignité, son plein épanouissement intellectuel et spirituel.

Cela dit, j’ai un autre vœu, que j’ai eu beaucoup de mal à formuler jusqu’à aujourd’hui. Le sujet est tellement délicat ! Dans l’esprit de la majorité d’entre nous, il est entouré d’un tabou particulièrement fort puisqu’il touche à la mort.

De quoi s’agit-il ? Eh bien, de l’usage de la liberté de conscience, pas seulement dans la vie mais aussi face à la mort. Du droit que confère cette liberté, si elle est acquise, à l’individu de choisir une terre de sépulture et la façon dont il sera accompagné à sa dernière demeure. L’on aura compris que, pour la personne non croyante, une cérémonie religieuse serait contraire à ses convictions et que l’on devrait respecter sa volonté en acceptant le principe de l’enterrement civil.

Un autre aspect de ce droit concerne les couples dont l’un des membres n’est pas de confession musulmane, et leur désir légitime de ne pas être séparés après la vie. Dans l’état actuel des choses, et en dehors de certains lieux de sépulture chrétiens, nos cimetières n’offrent pas à ces personnes de voir réalisé un de leurs vœux les plus chers. La solution qui s’imposerait dans ce cas serait de créer dans nos cimetières un carré laïque pour les accueillir.

Je le demande ici au nom de la tolérance, au nom de la fraternité et de la dignité humaine.

Enfin, l’on aura compris que, si j’ai soulevé ce problème de fond, c’est qu’il me concerne aussi personnellement. Mon cas pourrait être l’une de ses illustrations parlantes.

Le voici, en guise de conclusion, tel que je l’ai posé dans un de mes derniers livres : « Si je décidais […] de reposer en terre du “cher pays“, mes dernières volontés pourraient-elles être respectées ? Aurais-je droit comme je le souhaite vraiment à une cérémonie laïque, sans l’intrusion des rites religieux ? Juste quelques poèmes en guise de prière, peut-être l’un de ces chants d’amour et de résistance que l’on m’a souvent entendu fredonner. Et que dire d’un vœu encore plus cher, reposer, quand viendra l’heure, auprès de la compagne de ma vie, chrétienne de naissance, émancipée de toute croyance, marocaine de cœur ? Au nom de quoi voudrait-on nous séparer ? Des demandes aussi simples, honorées scrupuleusement dans bien des pays du monde, seraient-elles un jour prises en considération en terre d’islam ? Je n’ai pas de réponse. Mais ai-je jamais insulté l’avenir ? »

Abdellatif Laabi

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