En hommage au Pr Driss Ben Ali décédé ce dimanche 3 janvier 2013 à Marrakech, et tout en présentant nos sincères condoléances à ses proches et à ses amis, nous lui publions sur les colonnes de ce journal l’un de ses derniers meilleurs textes sur la politique économique marocaine :
Le Maroc…une société de pigeons livrés à une poignée de prédateurs
Le Maroc évoque assez une grande cage dont la plus grande partie de la population prendrait la forme de pigeons qu’on ne se contente pas de déplumer, ou plumer, mais dont on bloque en plus tous les mouvements. Et pire encore, on ne leur laisse sur la peau que les os jusqu’à ce qu’ils se transforment en fin de compte et aux yeux de certains en créatures tous à fait inertes et donc parfaitement inutiles. Mais quand ces pigeons cessent parfois de roucouler et entreprennent de se défendre en donnant des coups de becs à leurs adversaires, ces derniers abandonnent le terrain et fuient sans demander leur reste.
Autrement dit, et plus simplement, disons que ces pigeons représentent des populations dans leur grande majorité pauvres et même indigentes qui se laissent plumer sans opposer de résistance ; et lorsque, d’aventure, ces populations se soulèvent et brandissent les poings contre leurs « agresseurs », ces mêmes agresseurs ripostent en les laissant affronter leurs sorts toutes seules. Et c’est en quelque sorte ce qu’a révélé le conseiller PAM à la Deuxième Chambre Hakim Benchamass, dans une récente intervention au parlement, en affirmant que ce sont 30 milliards de DH qui ont quitté le pays l’année passée, et bien entendu sans compter les capitaux qui ont été exportés légalement selon les réglementations en vigueur dans ce domaine. La raison de cette hémorragie ? Le printemps arabe et le Mouvement du 20 février.
Un chiffre ahurissant car dépassant de loin le volume des investissements directs étrangers accueillis par le Maroc en un an, qui n’ont jamais dépassé, dans toute l’histoire du Maroc, le seuil des 25 milliards de DH.
Cette exportation massive de capitaux peut susciter de légitimes interrogations sur ses véritables motifs ainsi que sur l’origine de toutes ces fortunes et leurs responsables, sans compter que cela indique d’une manière assez éloquente le niveau de confiance placé aussi bien dans le système en place que dans le peuple.
Aussi, et avant toute chose, il convient de relever qu’une certaine catégorie de Marocains a pris l’habitude de considérer le pays comme une vache à lait, qu’on trait à satiété, et le peuple comme un amas de pigeons qui ont été créés pour être plumés, puis consommés. Et cela implique forcément que la population, dans sa grande majorité et toujours aux yeux de cette catégorie, se compose de pigeons bien dociles et bien obéissants livrés en proie à des prédateurs sauvages. Mais ces prédateurs se sont aussitôt transformés en rats fuyant le navire dès qu’ils ont senti qu’il menaçait de sombrer en pleine mer. Le roi Hassan II avait connu pareille situation en 1981 au lendemain des émeutes de Casablanca… Il n’avait alors pas hésité à qualifier les riches des quartiers cossus de Casablanca et de Rabat de pleutres, après qu’il se soit assuré que tous avaient fui à l’étranger, munis de leurs fortunes. Et le souverain défunt avait aussi acquis la conviction qu’il ne pouvait en aucune manière s’appuyer, ou même envisager de s’appuyer, sur cette bourgeoisie si un malheur ou des crises devaient un jour survenir dans ce pays. Or, la même chose s’est produite bien plus tard, avec l’avènement du Mouvement du 20 février et des manifestations qui l’ont accompagné ; les riches ont été tenaillés par la peur, surtout que les slogans brandis lors de ces manifestations dénonçaient et décriaient la corruption et les corrompus. Et cette peur se justifiait par le fait qu’une grande partie des riches précédemment cités ont constitué leurs fortunes et bâti leurs richesses sur des comportements plus ou moins avouables. La peur et l’effroi étaient donc chose naturelle pour tous ceux qui se sont enrichis par l’escroquerie, par la corruption et/ou des pratiques similaires, c’est-à-dire illicites, et même illégitimes ; ils se sont sentis désignés par les populations et ont immédiatement entrepris de mettre leurs fortunes en lieux sûrs.
Et puis, n’oublions pas non plus que la même chose s’était produite lors de la fameuse campagne d’assainissement de 1996, sachant que cette campagne avait été mal menée, que ses victimes avaient été malmenés, l’ancien ministre de l’Intérieur, le célèbre Driss Basri ayant alors employé des méthodes plus abjectes qu’odieuses les unes que les autres. Et ainsi, les résultats avaient été les mêmes que ceux enregistrés l’année dernière : fuite massive vers l’étranger – essentiellement la Costa Del Sol espagnole – des capitaux amassés d’une manière illégale.
A partir de là, et se fondant sur ce qui précède, on est en droit de nous interroger sur l’utilité de conférer les avantages fiscaux et de prendre des mesures d’encouragement pour des gens qui ne voient dans leur pays qu’un terrain propice à leur enrichissement, et qui ne considèrent leurs concitoyens que comme des esclaves soumis et tout juste bon à être impitoyablement exploités ; quant au système politique en vigueur dans le pays, il n’est à leurs yeux qu’un instrument mis à leur service pour satisfaire leur mercantilisme et leurs besoins marchands et matériels. Mais la plupart de ces gens-là semblent oublier qu’ils sont redevables de par leur positionnement social et leur puissance économique à ce modèle politique qui a fait d’eux des « enfants » protégés… Ainsi, sans la politique de marocanisation, et sans l’accès de ces personnes aux postes prestigieux et profitables à la tête des instituions publiques, sans le protectionnisme qui leur a donné la main et même l’emprise sur les marchés locaux, sans l’intervention massive et à la demande des autorités publiques pour les aider à protéger leurs prises, jamais ces gens ne seraient parvenus à occuper les positions et à jouir des avantages qui sont les leurs aujourd’hui.
Et puisqu’ils semblent avoir la mémoire courte, faut-il vraiment leur rappeler, à ces mêmes personnes, que nous n’aurions pas eu besoin de scruter leurs comportements s’ils n’avaient pas profité des largesses de l’Etat et des sacrifices des populations, dans le passé ?… Or, la vérité est que ces riches et autres gros
capitalistes dissimulent leurs intentions sous des dehors nationalistes et les justifient par les contraintes liées au fait d’investir ; mais en réalité ce ne sont là qu’artifices et ruses, des masques qui servent à camoufler leurs vraies natures… lesquelles natures apparaissent au grand jour en périodes de crises et aussi quand l’économie connaît des soubresauts. Et alors, il apparaît clairement que cette catégorie de personnes fait montre d’une grande poltronnerie dans leurs réactions à ces crises, de même qu’elles montrent une absence totale d’attachement à leur patrie. Seuls leurs intérêts comptent et seuls leurs intérêts commandent leurs agissements et orientent leurs activités. La nation, à leurs yeux, ne sert que quand elle les sert, et n’est utile que quand les « pigeons » se laissent plumer sans donner de coups de becs. On dit alors que cette prédominance d’une certaine classe sur les populations, ajoutée et amplifiée par le comportement agressif, hostile et prédateur des riches, est à l’origine des rancœurs des uns envers les autres, ouvrant vers une crispation de la haine qui conduit à son tour, souvent, au radicalisme et à la violence.
Une vraie bourgeoisie est celle qui ne joue pas les filles de l’air aux premières bourrasques. Dans le monde occidental en général et en Europe plus particulièrement, les riches ont pu s’imposer par ce qu’ils ont apporté et ce qu’ils ont donné, ainsi que par cet esprit de compétitivité et d’initiative qu’ils ont insufflé en leurs contrées, en plus d’un système démocratique qui s’est instauré sur la plan politique. Mais, malheureusement, le Maroc ne dispose pas encore d’un tel type de classe sociale, et c’est la raison pour laquelle il continue de patauger dans le sous-développement et à évoluer parmi les nations dites du tiers-monde.
Driss Ben Ali
Que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde!