Par Chahid BENDRISS
Malgré les injections de liquidités de la Fed, les Etats-Unis n’échapperont pas aux réformes conséquentes de la dette.
L’époque où les politiques claironnaient que la Grèce n’avait pas besoin d’aide n’est pas si lointaine… Quelques mois plus tard, le pays faisait pourtant en catastrophe appel officiellement au FMI et à Bruxelles. Même scénario pour le Portugal.
Mais derrière ce qu’on a communément appelé la crise souveraine européenne pointe une autre crise dont les conséquences pourraient être bien plus catastrophiques encore pour l’économie mondiale.
Cette crise est annoncée depuis des années. J’ai d’ailleurs eu l’occasion à maintes reprises de l’évoquer avec des investisseurs. Il s’agit de la dette américaine.
Avec l’élection présidentielle qui est seulement dans quelques semaines, les commentateurs ont à maintes reprises souligné le caractère historique de l’évènement. Un choix de société. Un choix dont dépendra la puissance des Etats-Unis pour les dix ou vingt ans à venir. Ce discours n’est pas nouveau. La dernière fois ce fut en 2007. Pourtant, rien n’a changé. Les fondements de la société américaine sont les mêmes, et la manière de faire du business aux Etats-Unis est toujours identique, quoi qu’en disent les européens qui se félicitent souvent à tort de la fameuse réforme de Wall Street qui aurait dû permettre à la place financière de renouer avec un comportement vertueux. C’est alors bien mal connaître le texte qui a été voté.
Entre les deux candidats en lice, le choix n’est pas aisé car ni l’un ni l’autre ne semble en mesure de résoudre les problèmes nombreux qui nuisent à l’économie américaine. Au cours des récentes années, les deux partis, républicain comme démocrate, ont eu les leviers de pouvoir nécessaires pour s’attaquer frontalement à ces défis mais ont tous deux échoué, souvent par manque d’ambition. Aujourd’hui, un seul thème, dont dépendra tous les autres, devrait être au coeur de la campagne et être la priorité du prochain président. Il s’agit pour moi du DEFICIT !
La manière dont la prochaine administration s’attaquera au déficit aura un impact sur l’ensemble des autres sujets de la campagne. Et ne pas s’attaquer à ce problème conduira, inévitablement, à un désastre de proportion biblique digne des huit plaies d’Egypte. Demandez aux citoyens grecs ou espagnols ce qu’ils en pensent.
Evidemment, on pourra facilement me dire qu’il suffit de regarder le Japon qui, après tout, se débrouille plutôt bien avec un déficit qui équivaut à environ 220% du PIB et qui augmente à un rythme important (+10% en 2011).
Cependant, en y regardant de plus près, cela a eu pour conséquence de faire chuter le taux d’épargne qui est désormais à seulement 1%.
Quand ce taux sera négatif, ce qui arrivera tôt ou tard, le pays sera alors contraint soit de payer des taux d’intérêt plus élevés, soit de recourir dans des proportions dantesques à la planche à billets soit couper dans les dépenses publiques à coup de centaines de milliards de yens. Toutes ces options sont dans tous les cas malheureuses et ça ne peut pas être un modèle soutenable à suivre.
On pourra alors peut être rétorquer que les Etats-Unis, ce sont les Etats-Unis. Il y a un exceptionnalisme américain qui prévaudra encore dans ce domaine, mais rien n’assure que ce soit vrai. Au nom de quoi les Etats-Unis auraient-ils droit à un traitement de faveur de la part des investisseurs? De mon point de vue, la crise frappera les Etats-Unis dans les quatre ans à venir, sous l’effet de la contagion des marchés.
L’Europe a déjà été touchée mais la situation risque, malgré ce qu’on pourrait croire, de s’empirer en 2013 voire 2014 forçant l’ensemble des pays de la zone euro, y compris la France, à de sévères cures d’austérité.
On ne pourra plus parler de « rigueur juste ». Les récents indicateurs, en Allemagne, en France, ou en Espagne plaident d’ailleurs en faveur de ce scénario. Le Japon, qui fait face en ce moment à une impasse budgétaire, suivra…puis les Etats-Unis. Le nouveau cycle d’assouplissement quantitatif de la FED, applaudi un temps par les marchés financiers, et qui commence à susciter des inquiétudes, y compris de la part de membres du FOMC comme Charles Plosser, pourrait marquer un point de non retour.
D’ailleurs, l’agence Egan-Jones n’a pas tardé à mettre en garde les investisseurs en faisant baisser la note des Etats-Unis de AA- à AA, justifiant sa décision par le fait que « de 2006 à nos jours, la dette en dollars par rapport au PIB a augmenté de 66% à 104% et atteindra probablement 110% dans un an dans les circonstances actuelles ». « En comparaison, l’Espagne a une dette par rapport au PIB de 68.5% et un déficit du budget annuel de 8.5% ».
La comparaison est intéressante : il n’existe pas de ratio dette/PIB à partir duquel un pays n’est plus en mesure d’emprunter à des taux d’intérêt convenables. Pour l’Espagne, les difficultés ont commencé quand le ratio était à 68%. Pour l’Italie, à 120%. Pour la Russie, ce fut à 12% en 1998.
La crise de la dette s’empirera en zone euro et touchera le Japon, ce qui semble être en voie vu les récents déroulements, les investisseurs se tourneront alors vers les Etats-Unis et demanderont au président pourquoi ils devraient avoir plus confiance en la dette américaine qu’en celle des pays européens et du Japon. C’est donc une question d’années avant que les Etats-Unis ne suivent un scénario à l’européenne. Afin d’éviter une austérité froide et aveugle, la nouvelle administration doit s’attaquer, si ce n’est pas encore trop tard, au déficit dès les premiers jours de son entrée en fonction. Couper dans les dépenses de manière abrupte pour revenir à l’équilibre d’ici un ou deux ans, comme c’est le cas en Europe, n’est pas la bonne solution. Cela conduit à brimer la croissance et à une forte détresse sociale auquel le gouvernement ne peut être qu’incapable de répondre. Il faut donc agir vite avec parcimonie.
Dans le cas américain, les économistes les plus pointus sur le sujet suggèrent de réduire les dépenses de 1% du PIB par an, ce qui équivaudrait à environ 150 milliards de dollars annuels. Cela pourrait ainsi permettre de ne pas avoir un impact trop négatif sur la dynamique économique et notamment sur un marché de l’immobilier qui montre des signes significatifs de redressement et de rétablir graduellement la confiance des investisseurs.
Quand on se penche sur le programme des candidats, malheureusement, aucun n’a la bonne réponse, pas plus le projet de budget de Romney que le budget proposé par Obama au Congrès et qui a même eu un accueil mitigé de la part de son propre parti. Pourtant, des solutions ont été avancées. Barack Obama aurait ainsi eu raison de suivre certaines des recommandations de la commission Simpson-Bowles qu’il a lui-même créé en 2010.
Mais, dans tous les cas, peu importe le vainqueur de la présidentielle, il faudra savoir faire preuve de compromis. Il devra présenter un plan de réduction des dépenses sur cinq à six ans qui puisse toutefois favoriser la dynamique de croissance actuelle, via par exemple une baisse des taux d’imposition pour favoriser la consommation, tout en mettant un terme aux mesures fiscales spéciales prises sous Bush et prolongées par Obama et en s’attaquant au défi énergétique des Etats-Unis qui va certainement contraindre le pays à produire davantage de pétrole et de gaz afin de pouvoir exporter et donc aider au rétablissement économique et financier de la première puissance économique mondiale.
Chahid Bendriss