Syrie : Mustafa Tlass ne veut pas que son pays soit « libéré par une intervention étrangère »

Par Chahid BENDRISS

Ami d’enfance de Bachar el-Assad, le général Manaf Tlass, 49 ans, fils de l’ancien ministre de la défense syrien, Mustafa Tlass, a fait défection et quitté son pays pour trouver refuge en France, en juillet dernier. Il mène depuis son exil un combat contre le régime. En exclusivité pour L’Express, il livre ici son sentiment et ses craintes face à la guerre qui ravage la Syrie.

Après un an et demi de combats qui ont fait des dizaines de milliers de victimes et de réfugiés, où en est la Syrie?

La Syrie est à un carrefour extrêmement dangereux. Les répercussions en sont très graves et exercent leurs effets non seulement sur le peuple syrien, mais ils vont dans tous les sens, sans unité ni efficacité. Il est urgent d’établir une feuille de route, qui prenne en considération les différents intérêts, pour aller dans une seule et même direction.

Un accord avec les Russes, intervenu à la fin de juin à Genève, a fixé les principes d’une transition sans le départ de Bachar el-Assad. Croyez-vous à cette ligne?

Tout accord qui ne présente pas la possibilité sérieuse de mettre fin immédiatement aux hostilités ne fait qu’offrir au régime une fuite en avant et une pause pour poursuivre ses exactions. Il faut un accord qui puisse être mis en oeuvre immédiatement.

Puisque cet accord ne vient pas, faut-il qu’une intervention étrangère arrête le carnage?

Je suis opposé à toute intervention étrangère, quelle qu’elle soit. C’est au peuple syrien d’arracher la victoire par lui-même ; il ne faut pas lui voler sa victoire. Ce peuple a déjà payé un prix très lourd, il doit donc rester le maître de son destin. Tout pouvoir à venir ne peut qu’être issu de la volonté de cette jeunesse qui s’est soulevée pacifiquement au départ.

Y a-t-il un risque réel d’éclatement de la Syrie?

Malheureusement, le régime pousse dans ce sens, avive les tensions entre les religions et encourage l’explosion du pays. Tout est fait pour que le conflit se militarise de plus en plus afin de réaliser ce dessein. Mais la Syrie est un creuset de civilisations, une terre de cohabitation entre différentes communautés. C’est le régime qu’il faut mettre en échec, pas le pays. Les alaouites ont le droit de garder leur place et leur spécificité, mais pour cela il faut faire la distinction entre le clan au pouvoir et la confession à laquelle il appartient. Assad met en avant les alaouites et les utilise comme un argument en favorisant en son sein les extrémistes. Plus de 90 % du peuple est prisonnier de ces extrémistes – des deux côtés. Je connais bien les alaouites, je sais qu’ils ne sont pas irresponsables et il ne faut surtout pas les désigner collectivement comme coupables. Il existe une autre voie de coexistence pacifique ; la Syrie a existé et existera sans Bachar el-Assad.

Rétrospectivement, comment jugez-vous la position des Occidentaux qui font du départ de Bachar el-Assad le préalable à toute évolution?

Il ne fallait pas se focaliser dès le début sur le départ de Bachar el-Assad, même si ce départ est évidemment nécessaire. Cela ne correspond pas à une stratégie de sortie de crise qui soit conforme aux possibilités réellement offertes par le contexte local et international ; c’est plus une déclaration verbale qu’une méthode d’action efficace.

Sur le terrain, on assiste à la montée de groupes djihadistes. Quelle est leur importance réelle?

Là encore, c’est le régime qui fait circuler ce bruit. Il y a peut-être 20 % d’islamistes parmi les insurgés, mais le clan Assad fait croire qu’il y en a beaucoup plus. Comment voulez-vous justifier le bombardement aérien des villes si vous ne désignez pas un adversaire volontairement exagéré et si vous ne dites pas: « C’est moi ou les djihadistes »? Si vous vous en tenez à la stricte vérité, c’est-à-dire à l’existence de quelques groupuscules radicaux, la répression d’envergure militaire est bien plus difficile à justifier.

Face à un adversaire si cruel, pourquoi l’opposition ne parvient-elle pas à s’unir?

Il existe une résistance interne et une autre qui s’exprime à l’extérieur du territoire national. Cette dernière s’est développée à l’étranger, puisqu’il n’était pas possible d’être opposant en Syrie même ; elle a, de ce fait, vécu coupée du contexte intérieur et reste inconnue de la grande majorité des Syriens. Une maturation est actuellement en cours, mais la structuration prend forcément du temps. Le calcul du régime est de jouer sur la division entre ces deux oppositions, en diabolisant celle qui est restée en Syrie, d’une part, et en discréditant celle qui s’est réfugiée à l’étranger, d’autre part. Islamistes d’un côté, traîtres à la patrie de l’autre, voilà comment les partisans d’Assad empêchent l’union. Ce régime est fondé sur la manipulation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *