Par Larbi JAÏDI (Economiste marocain)
La période actuelle est marquée par des désordres macroéconomiques importants. Mais nous ne sommes pas dans une situation d’insolvabilité qui nous rapprocherait de l’épisode de la crise des années quatre-vingt.
La période actuelle est marquée par des désordres macroéconomiques importants. Mais nous ne sommes pas dans une situation d’insolvabilité qui nous rapprocherait de l’épisode de la crise des années quatre-vingt. L’observation des tendances de quelques indicateurs économiques et financiers met en évidence certaines similarités et régularités. Mais n’oublions pas que les crises se suivent et ne se ressemblent pas. Ni par leur contexte et leur déroulement, ni par les facteurs qui sont à leur origine, encore moins par leur intensité. On s’accorde à admettre que les crises deviennent plus fréquentes que par le passé; l’économie mondiale est entrée dans des périodes d’instabilité et de turbulence plus prononcées et des séquences de destruction/création plus courtes que les siècles précédents. Aussi, la prise en compte des indicateurs pour qualifier l’état actuel de l’économie nationale est utile, mais soyons vigilants quant à leur interprétation. En général, on retient un ensemble de trente variables ou ratios susceptibles d’indiquer l’approche de crises. Dans ce portefeuille d’indicateurs, ceux de la dette sont plus significatifs que les autres.
A observer ces indicateurs de dette, on relève que nous ne sommes pas dans une situation d’insolvabilité qui nous rapprocherait de l’épisode de la crise des années quatre-vingt. La part de la dette internationale est faible et les réserves de change ne sont pas épuisées. Une différence de taille est que le profil de la dette a changé: l’encours de la dette intérieure est prédominant dans le total de la dette publique. L’Etat est considéré comme solvable, c’est-à-dire que les créanciers ont un jugement positif sur sa capacité à rembourser sa dette sur le long terme, et liquide, c’est-à-dire qu’il est en mesure de refinancer la dette venant à échéance. En pratique, la politique économique menée dans les années 90 a permis à l’Etat de stabiliser le niveau de la dette sur PIB à court et moyen termes et d’améliorer, en conséquence, la soutenabilité de celle-ci. A l’inverse, depuis quelques années, l’augmentation continue du ratio dette publique/PIB suscite quelques inquiétudes. Le poids grandissant de la dette intérieure peut accentuer la ponction sur les réserves domestiques, provoquer des effets d’éviction, générer des pressions sur la liquidité du marché monétaire et susciter une crise de confiance parmi les investisseurs.
Cependant, le critère de solvabilité à un moment donné reste d’une portée pratique limitée. Sa dynamique est mal prise en compte dans un environnement incertain: un Etat solvable à une période donnée peut devenir insolvable à la suite d’une succession de chocs. Dès lors, il est nécessaire de garder en vue le lien existant entre la soutenabilité de la dette publique et la soutenabilité de la politique budgétaire. La dette publique est soutenable si la politique budgétaire menée peut être maintenue sans ajustement excessif. En effet, des doutes peuvent naître sur la capacité future des autorités à consentir l’effort budgétaire nécessaire ou sur l’impact d’un tel effort sur la croissance de l’économie. C’est donc la contrainte budgétaire qui définit un sentier d’équilibre de la dette, reliant le taux d’intérêt et le taux de croissance de l’économie à long terme avec les excédents primaires. Deux variables apparaissent essentielles : d’une part, l’excédent primaire, qui permet à l’Etat de dégager les ressources pour faire face aux échéances de remboursement, d’autre part, le taux d’intérêt qui représente la charge financière sur la dette. La fragilité actuelle des finances publiques peut générer une crise de confiance. Aujourd’hui, les fondamentaux se situent dans une zone intermédiaire, une crise de liquidité n’est pas perceptible mais sa survenance ne peut être exclue si le déficit budgétaire n’est pas jugulé.
L’année 2012 cause beaucoup de soucis aux décideurs. Pour contenir le déficit, le budget a prévu une hausse des recettes. Ce sont 20 milliards supplémentaires qui devraient arriver dans les caisses de l’Etat, dont 10 milliards d’impôts et 6 milliards par les emprunts. Mais, sous l’effet des augmentations des dépenses publiques, les besoins de financement s’élèvent. Le gouvernement peut les couvrir de diverses façons : des prêts multilatéraux (hors FMI), les prêts bilatéraux ou les dons de pays amis, le recours au marché des capitaux, le tirage auprès du FMI. Il peut utiliser des variables d’ajustement pour réduire les besoins de financement, celle des reports de crédits – l’adoption tardive du budget le facilite-, celle de l’accumulation d’arriérés auprès des créanciers. Un autre mécanisme peut être réactivé: celui du recours à l’amnistie fiscale pour renflouer les caisses de l’Etat. Un pis-aller, pas très efficient à long terme mais qui aurait la préférence de milieux d’affaires face à d’éventuelles campagnes «d’inquisition fiscale».
Les couloirs du ministère des finances bruissent de ces supputations. Ces garde-fous donnent une visibilité d’environ un an sur l’économie nationale mais ne permettent pas d’être assurés de la stabilité à moyen terme. La dynamique de la croissance reste imprécise. Les chocs externes survenus ces dernières années ont mis en relief la vulnérabilité de l’économie nationale et font prendre aujourd’hui tout son sens à l’expression «contrainte externe». La capacité de résistance du Maroc a perdu de sa vitalité, il est révolu le temps où l’on chantait la résilience face à la crise mondiale. La nouvelle équipe n’aura pas de répit tant la tâche de redressement à accomplir semble difficile. L’urgence d’un nouveau cycle de réformes s’impose. Pour le réussir, le gouvernement devra mettre de l’ordre dans ses rangs… pour espérer gagner la confiance des acteurs économiques et de la société.
Larabi Jaïdi. La Vie éco