C’était au mois d’août 2011. Alors que la capitale Tripoli tombe aux mains des rebelles libyens, alors que son régime se désintègre, le colonel Kadhafi prend la fuite et tente de sauver sa tête. Sa famille en fait de même : Mouatassim poursuit le combat, Saadi détale vers le Niger, Seif al-Islam disparaît dans le désert, Aicha, sa mère et deux de ses frères trouvent une planque sur le territoire algérien.
Où est donc passé « le Guide » de la révolution libyenne ? En Algérie ? En Afrique du Sud ? Au Mozambique ? Quelque part dans le vaste désert libyen ? En cette fin de mois d’août 2011, des informations évoquent la fuite de Mouammar Kadhafi vers l’Algérie, d’autres laissent croire qu’il a essuyé un refus net de la part des Algériens. (Rue89 publie alors un article intitulé : « A quoi joue l’Algérie avec les nouvelles autorités libyennes ? ») Si les autorités algériennes confirment que la famille Kadhafi se trouve en Algérie pour des raisons « humanitaires », elles réfutent la présence du guide déchu. Si effectivement Kadhafi n’a pas mis les pieds en Algérie, il n’a pas moins tenté de joindre son ami Bouteflika.
Kadhafi rabroué par Bouteflika : aujourd’hui, grâce aux e-mails de The Global Intelligence Files, publiés par le site WikiLeaks, on sait que Mouammar Kadhafi a tenté de trouvé asile en Algérie au même temps que sa femme et ses quatre enfants, révèle le site Mediapart. Comment le dictateur a-t-il été prié de se tenir éloigné d’Alger ?
Fac-similé d’un e-mail de Stratfor (WikiLeaks) : un e-mail daté du 1er septembre 2011, soit deux jours après l’arrivée des Kadhafi en Algérie, et envoyé par un employé de la société de renseignement Stratfor, indique que le colonel a été rabroué par le président algérien alors qu’il tentait de le convaincre de lui accorder le refuge .
L’employé, un « watch-officier », cite une source diplomatique algérienne non-identifiée qui lui confirme que Kadhafi a téléphoné au président Bouteflika. Toutefois, celui-ci a ignoré les appels répétés du dictateur déchu. L’employé indique également que les services de renseignement algériens ont localisé le lieu où se cache Kadhafi, à Beni Walid, à 170 km au sud de Tripoli. La source algérienne révèle à l’employé de Stratfor que les Algériens ont livré le renseignement aux Britanniques. Dans l’intérêt de l’Algérie. Le quotidien El Watan avait révélé le 1er septembre 2011 – soit le même jour que Stratfor –, que le colonel Kadhafi avait téléphoné au Président mais que celui-ci n’avait pas souhaité prendre la communication.
La traque de Kadhafi avait été confiée à des unités britanniques et la source était confiante qu’ils finiraient par l’avoir tôt ou tard. Le 23 août, le quotidien britannique révélait que des forces spéciales britanniques participaient à la chasse du colonel. Le guide a été capturé vivant le 20 octobre 2011 à Syrte, 300 km de Bani Walid, avant d’être tué dans des circonstances jamais élucidées encore aujourd’hui.
Le « watch-officer » affirme dans son e-mail que l’Algérie a son intérêt dans l’élimination de Kadhafi pour l’empêcher de contracter une alliance avec Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Stratfor, renseignement privé ou officine ?
Quelle est la fiabilité de la source algérienne ? Selon Mediapart, l’employé de Stratfor précise que sa source lui a été présentée par une autre source, ME1 (pour Middle East 1), qui semble être une importante source de l’agence de Stratfor car il ou elle apparaît dans de nombreux e-mails remontant au moins jusqu’à 2006.
En février 2012, le site WikiLeaks, qui a déjà révélé des millions de câbles diplomatiques US, a lancé la publication des « Global Intelligence Files » (dossiers du renseignement mondial) de la société de renseignement privée Stratfor, basée dans l’Etat du Texas, aux Etats-Unis. Couvrant une période allant de juillet 2004 à fin décembre 2011, ces e-mails révèlent le fonctionnement interne d’une entreprise qui annonce être un service de renseignement privé, mais qui fournit des services de renseignement confidentiels : à de grandes entreprises, comme Dow chemical corporation à Bhopal (Inde), Lokheed Martin, Northrop Grumman ; à des agences gouvernementales, telles que le Département de la sécurité intérieure des Etats-Unis (DHS), les Marines et l’Agence du renseignement pour la défense (DIA).