LA PROCÉDURE À SUIVRE
Par Mohamed Mellouki
La première initiative gouvernementale, considérée parmi les plus sensibles sur lesquelles était attendu M. Benkirane depuis son investiture, augurant de la mise en place de la nouvelle gouvernance, a accouché d’un cactus. M. Abdellah Bouanou, un quadra Pjdiste de premier plan, chef du groupe parlementaire de sa formation se veut le plus critique à l’égard des récentes nominations de walis et gouverneurs. Il affirme que la plupart d’entre eux ne font pas seulement l’objet de soupçons, mais sont carrément des dépravés, et somme le Chef du gouvernement qui n’est, donc, autre que son chef de parti, de clarifier la situation.
Cette pique a incité le Ministre de l’Intérieur à le mettre en demeure de justifier son accusation qu’il considère attentatoire, d’abord, à M. Benkirane en tant que chef du PJD avant qu’elle n’atteigne les autorités concernées. L’USFP et le PAM, de leur côté, ne pouvaient rater pareille aubaine pour titiller le Chef du gouvernement. Celui-ci n’a pas trouvé mieux que de répondre qu’il ne pouvait connaître personnellement tous les titulaires, que sa responsabilité est, donc, dégagée, du fait.
Par la suite, au cours d’un séjour en Espagne, devant la colonie marocaine y résidant, il ajoutera que parfois certaines personnes ne présentent pas toutes les garanties nécessaires, mais disposent de qualités particulières dont ‘on’ a besoin dans certaines régions. Il va jusqu’à renvoyer la balle à ses détracteurs, au sein d’une réunion de son parti, les défiant d’apporter la preuve de leurs accusations. Des propos choquants, certes, qui masquent surtout mal un vice de gouvernance. Il est évident que le dossier a été ficelé, comme naguère, à la seule diligence du Ministère de l’Intérieur, et que M. Benkirane n’y a, manifestement, joué qu’un rôle de comparse ; comme il est tout étonnant qu’aucun autre ministre ne s’est senti gêné d’avoir traité par-dessus jambe dans un dossier aussi sensible qui engage, logiquement, la responsabilité collective du Cabinet.
La résonance dans l’opinion publique de l’incartade de M. Bouanou a écorché un peu plus le peu de crédit qui subsiste encore à un Chef de gouvernement qui a tout l’air d’aller à vau-l’eau. La presse, comme attendu, a largement contribué à secouer ce cocotier. Une telle brèche dans ce dossier qui, il y a moins d’un an, était cadenassé au plus haut niveau, considéré réservé dans le domaine réservé est, certes, de nature à ancrer un peu plus la démocratie dans le pays. Elle demeure, néanmoins, stérile si elle se limite à une joute oratoire où ni le gouvernement ne peut apporter la preuve de la bonne moralité de ‘ses’ agents, ni les détracteurs celle inverse.
Le corps des autorités administratives est indéniablement dénigré dans sa quasi globalité et vu le pouvoir dont il dispose, et l’abus de pouvoir qui l’accompagne souvent, il est ressenti comme une sorte de rouleau compresseur dont le rôle principal, sinon unique, est d’asseoir l’autorité de l’Etat, en aplatissant la volonté populaire. Mais, même si on éradiquait totalement le corps existant, personne ne peut garantir que les successeurs seront plus honnêtes que leurs prédécesseurs. Focaliser la récrimination à ce niveau seulement reviendrait à donner un coup d’épée dans l’eau, parce que c’est tout l’Etat qui est décrié dans sa globalité, et au sein duquel la prévarication sévit avec la même intensité dévastatrice. Il faut, donc, refonder totalement l’Etat.
J’ai fait de ce thème à la fois le titre de mon Manifeste politique : ‘Maroc : De la Refondation de l’Etat’, diffusé sur Google le 15 mars 2011, et l’objet de mon Mémorandum que j’ai déposé, le 2 mai suivant, devant la Commission consultative de la révision constitutionnelle, diffusé également sur le même créneau quelques jours plus tard. Le mal dont souffre l’Etat, dans quels que secteurs et niveaux que ce soient, vient des mauvais choix de ses hommes, et son seul remède s’appelle, encore, l’homme, avec ses quelques qualités et ses innombrables défauts. Faute de pouvoir ‘fabriquer’ un parangon de la vertu, il faut chercher à obtenir le meilleur profil possible en passant les postulants aux postes sensibles au peigne fin. Aussi, les affectations aux hautes charges, nationales et régionales, dans toute l’Administration publique et semi-publique et dans les sphères d’intérêts stratégiques de la nation, ne devront plus, dorénavant, être laissées à la seule discrétion du département de tutelle ; elles devront passer par un criblage en trois phases.
La première, préparatoire, enclenchée au niveau concerné, devra consister en une procédure de sélection des meilleurs éléments sur la base de critères définis légalement, et laquelle devra se limiter, à terme, à ‘ avancer’ des noms. La seconde phase verra engager la responsabilité collective de l’Exécutif, par un réexamen de cette sélection par les Conseils du gouvernement et par la suite des ministres. Des oppositions pourront se manifester contre certains éléments qui se trouveront, du coup, écartés à ces niveaux. Le troisième volet sera, lui, dévolu au Parlement qui devra initier une enquête de personnalité consistant en des interpellations et investigations dans le but de passer au crible le passé des postulants pour en dégager le véritable profil avant de leur accorder, ou refuser le ‘Satisfecit’. Celui-ci devra rester sujet, à tout moment, à révision ou retrait, en cas de faute disqualifiante; nonobstant les poursuites administratives ou judiciaires qui en résulteraient. Après nomination, si le ministère concerné devra veiller au bon exercice de la fonction, la Cour des comptes devra, de son côté, veiller à l’évolution de l’état de fortune des intéressés et du premier cercle de leurs familles. En cas, comme je le suggère dans mes écrits précédents, de démocratisation réelle du pays débouchant sur l’institution à l’échelon régional d’un Gouvernement et d’un Parlement, l’application de la procédure ‘d’habilitation’ aux postes de responsabilité devra y être dévolue à cette dernière instance.
Le Colonel en retraite Mohamed Mellouki