Peter Oborne s’est entretenu avec les habitants des zones tenues par le gouvernement au sujet de leur lutte pour la « civilisation » et de la dernière campagne visant à éradiquer le terrorisme en Syrie
Par Peter Oborne
Lorsque le soulèvement syrien a commencé au début de l’été 2011, Alep ne s’y est pas joint. Il y a eu quelques manifestations, mais celles-ci ont été gérées relativement calmement. Certains manifestants ont été emprisonnés mais il n’y a eu aucune réponse armée comme cela a pu être le cas dans d’autres parties de la Syrie.
Au début de l’année 2012, date à laquelle une grande partie de Damas était en guerre, la communauté des affaires aleppine dit avoir été la cible d’une série d’assassinats et de meurtres. Les dirigeants politiques et religieux disent qu’ils ont été menacés de mort ou de torture s’ils ne passaient pas dans le camp des rebelles.
« Nous savions que nous étions pris pour cible », dit Fares Shehabi, directeur de la chambre d’industrie d’Alep. « Nous savions ce qui allait arriver. Nous avons envoyé un message demandant l’envoi de l’armée à Alep. » Cette demande a été ignorée.
Le 5 juillet la même année, un convoi armé (la Brigade Liwa al-Tawhid, un groupe islamiste qui avait auparavant fait l’éloge d’al-Nosra) est arrivé dans la vieille ville d’Alep. Il s’est dispersé, a brûlé des commissariats et mis en place des barrages routiers.
En quelques semaines, les brigades rebelles avaient pris une grande partie de la ville. « Au début, nous pensions qu’ils étaient Syriens », a déclaré Shehabi. « Mais après quelques semaines, nous avons eu vent d’étrangers. De combattants de Tchétchénie, d’Ouzbékistan, de Jordanie, d’Arabie saoudite, d’Irak, d’Égypte. »
« Il ne s’agissait pas d’un changement de régime, c’était une invasion. Et pourquoi prenait-elle une forme religieuse ? Pourquoi portait-elle une barbe ? Nous ne sommes pas prêts à remplacer une société laïque par une société religieuse. »
Les nouveaux arrivants ont établi des tribunaux religieux. Les femmes ont été confinées à leur domicile et ont été contraintes de se couvrir. L’alcool et le tabac ont été interdits. « Je suis sunnite, mais ils me considèrent comme un infidèle », a déclaré Shehabi.
L’homme d’affaires aleppin soutient que le paradigme du conflit syrien promu par les gouvernements et les médias occidentaux est faux. […]
Il soutient que la véritable fracture se situe entre une culture de tolérance religieuse – notamment les sunnites modérés comme
lui – et l’interprétation wahhabite de l’islam soutenu par l’Arabie saoudite.
« Il ne s’agit pas d’une guerre à propos du président Assad et de son régime ou État. Je ne suis pas un membre du parti Baas. Cela concerne l’identité et le style de vie », a-t-il expliqué.
Pour Shehabi et tous les autres habitants d’Alep que j’ai rencontrés, la guerre doit être envisagée d’une manière radicalement différente. Ils soulignent qu’il existe à Alep une culture de tolérance et de compréhension mutuelle embrassant chrétiens, chiites, alaouites et sunnites ordinaires – un mélange qui existe depuis des temps immémoriaux.
Encore et encore, les habitants m’ont demandé pourquoi le gouvernement britannique et l’OTAN étaient du côté de l’islam militant et du terrorisme.
« Allez à Idlib aujourd’hui », poursuit Shehabi. [Cette ville du nord-est a été prise à l’aide de l’Armée syrienne libre soutenue par l’Occident l’année dernière.] « C’est comme Kandahar [en Afghanistan]. Comment pouvez-vous prétendre que vous voulez faire de la Syrie une démocratie si vous imposez des tribunaux religieux qui ne reconnaissent pas nos religions ou nos différences ethniques. »
Shehabi affirme en outre qu’il croit que l’insurrection à Alep ne faisait pas partie d’un soulèvement syrien, mais a plutôt été délibérément alimentée et orchestrée depuis la Turquie.
« Les Turcs leur ont donné des armes », a-t-il dit. « Ils ont permis aux combattants de traverser la frontière. Ils ont soigné les blessés dans les hôpitaux. »
Il affirme que la Turquie était motivée par le gain économique, détruisant délibérément Alep qu’elle considère comme un rival économique. Shehabi affirme qu’il a des preuves irréfutables que les combattants appuyés par les Turcs ont systématiquement démonté les lignes de production dans le centre industriel d’Alep et expédié les machines de l’autre côté de la frontière.
Il s’est plaint publiquement du démantèlement des usines d’Alep peu de temps après le début des attaques et, en sa qualité de directeur de la chambre d’industrie d’Alep, a exigé des dommages au président turc Erdoğan. Il raconte que deux semaines plus tard, les grands bureaux de la chambre ont été complètement détruits dans un grand bombardement. […]
Pendant le temps que j’ai passé à Alep, l’armée syrienne a coupé les routes entre la frontière turque et la ville. Cela signifie que les lignes d’approvisionnement depuis la Turquie vers al-Nosra et l’État islamique ne fonctionnent plus. Lentement – comme à Stalingrad en 1942 – les assiégeants se transforment en assiégés.
Edward Dark, un contributeur de Middle East Eye vivant à Alep, a tweeté la semaine dernière: « C’est le début de la fin de la présence djihadiste à Alep. Après quatre années de guerre et de terreur, les gens peuvent enfin apercevoir le bout du tunnel. »
Peter Oborne