Ce difficile passage à la modernité que nous avions déjà raté avant la colonisation, que nous loupons encore et dont les péripéties socio-juridiques de ces derniers jours en attestent clairement le caractère délicat, ne peut-être qu’une tentative de se délivrer, effectuée par une société pré-industrielle, et se révélant sans lendemain heureux. Ce maudit échec est le fait directe du report de l’industrialisation et de la destruction planifiée de l’école publique décidés au début des années soixante du siècle dernier. L’idée derrière cette décision, c’était d’éviter de faire grossir la classe ouvrière jugée par le pouvoir comme étant déjà trop présente sur le plan social et politique. Il fallait aussi désarticuler l’enseignement public pour éviter que chaque année, des milliers de diplômés ne viennent grossir les rangs d’une élite intellectuelle et technocrate de plus en plus exigeante et attentive sur les impératives réformes démocratiques. Ce que les pouvoirs publics n’avaient pas prévu, c’est cet éloignement de la société par rapport à la rationalité, qui s’en était suivi et c’est aussi cette foule immense de jeunes sans une formation appropriée et sans travail revalorisant, qui occupe de nos jours, le parterre ds artères des villes, sans grands horizons et impatients de se jeter soit en mer pour regagner l’autre rive de la méditerranée, soit dans les bras du jihadisme wahabite !
Quand elles font défaut, c’est le vide et la désolation qui se présentent. En effet, formation et industrialisation, c’est ce qui meuble la vie d’une société voulant dépasser son stade primaire où l’agriculture ne pourrait être à elle seule, un levier d’un développement durable et conséquent. Ces deux exigences sont la condition sine qua non pour élargir ses perspectives économiques et réussir à la fois son passage à la modernité. Mais encore faut-il pouvoir les réaliser conjointement, car elles vont de paire. L’une engendre nécessairement l’autre, l’une appelle incontournablement l’autre. Pour réussir son industrialisation, il faut des cadres et une main d’oeuvre bien formés et bien rodés. Pour former, il faut de l’équipement approprié et c’est l’industrie qui pourrait le fournir. C’est encore l’industrie, qui dans son processus de développement intrinsèque, exprime des besoins en formation, induisant une multiplication des centres de formation et des universités de qualité. Alors autant penser aux deux à la fois, sinon poussons l’industrie à ses extrêmes, du moment que c’est elle qui va nous acculer à nous occuper également de la formation ! Feu Belal n’arrêtait pas d’appeler à l’industrialisation tous azimut, parce que-disait – il -, « c’est elle qui permet d’initier une société arriérée comme la notre à.la rationalisation immédiate et intégrale ». C’est à travers elle qu’on rompe d’une manière automatique avec les traditions obsolètes amoindrissant la valeur du temps, de la production matérielle et de la répartition des revenus (l’industrie impose la comptabilité à plusieurs niveaux: on apprend à compter le temps, les pièces, les taches accomplies et les revenus..). Finit le temps où l’on attend la pluie pour travailler et où l’on implore le ciel pour manger…!
Une nation qui tient à son indépendance, à sa force parmi les autres nations, à sa pérennité, à la dignité de ses citoyens, doit nécessairement produire au moins ce dont elle a besoin, si non produire plus pour en tirer encore de la puissance et de la force de négocier avec son environnement…Dès lors, une industrialisation conséquente et une refonte de notre école publique dans le sens d’en faire le fer de lance pour une formation généralisée et efficace, constituent bien la recette appropriée pour recentrer l’intérêt des citoyens (es) marocains (es) sur la dimension rationnelle de leur existence et sur l’impérative prospérité de leur patrie ! Car, les laisser ignorants et oisifs reviendrait à les acculer à s’isoler dans leur irrationalité et à en faire le cas échéant, des charlatans malfaiteurs, s’imposant dans la rue pour faire les inquisiteurs appelant de leur vœux la fithna!
Le vrai jihad qui est à entrevoir à présent par les marocains, est de faire de ces deux instruments facilitant l’accès à la modernité et empêchant de sombrer dans la déchéance, de véritables revendications principales et de les imposer aux partis politiques pour les acculer à en faire des priorités dans leurs programmes de gouvernement. Ce sont là les deux instruments pouvant permettre au pays, dans l’espace d’une génération de se moderniser à l’instar de Singapour, de la Malaisie et de la Chine Populaire, qui ont retrouvé leur salut au bout d’une trentaine d’année seulement !
Sami Shérif