Palestine occupée : l’échec du plan français pour la reprise des négociation

Luc Rosenzweig, journaliste français
Luc Rosenzweig, journaliste français

 

Grosse fatigue de Laurent Fabius

Son plan de paix, personne n’en veut…

Notre ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait l’air las et désabusé, dans les salons de l’hôtel King David de Jérusalem, où il faisait, dimanche 21 juin devant quelques journalistes, le bilan de son rapide périple proche-oriental. Le Caire, Amman, Ramallah, Jérusalem, trente-six heures pour  débloquer un processus de paix israélo-palestinien en état de mort cérébrale. Il venait de subir une sérieuse rebuffade de Benyamin Netanyahou, qui lui a signifié sans détour qu’Israël ne se laisserait jamais imposer « un diktat », à savoir la création et la reconnaissance, par les instances internationales, d’un Etat palestinien sans l’aval préalable des Hébreux. De manière moins brutale, mais tout aussi ferme, ses interlocuteurs égyptiens, jordaniens et palestiniens lui ont signifié que les efforts de la France étaient, certes, méritoires et généreux, mais que la situation générale (chaos en Syrie, menaces de déstabilisation de la Jordanie par Daech, état de guerre dans le Sinaï, fragilité du pouvoir à Ramallah) n’était pas favorable à une avancée rapide et décisive sur le dossier israélo-palestinien.

Fabius et Netanyahou en conférence de presse
Fabius et Netanyahou en conférence de presse

« La France n’a pas vocation à jouer les Don Quichotte » a constaté Laurent Fabius pour expliquer son rétropédalage concernant l’élaboration, sous direction française, d’une résolution du Conseil de sécurité enjoignant les deux parties à retourner à la table de négociation, avec obligation d’aboutir dans un délai de 18 à 24 mois. Il fallait, pour que la manœuvre ait quelque chance de succès, que la rédaction de cette résolution soit calibrée de telle sorte qu’elle permette aux Etats-Unis de ne pas y opposer leur veto. Notamment avec la mention du « caractère juif » de l’Etat d’Israël, à laquelle les Palestiniens s’opposent radicalement. On nourrissait, au Quai d’Orsay et au sein de la délégation française aux Nations-Unies, dirigée par l’excellent François Delattre, l’espoir que Barack Obama, exaspéré par le comportement de Netanyahou, et désireux de quitter la Maison Blanche sur un succès diplomatique, favoriserait cette initiative. Mais, outre qu’il n’est jamais agréable de voir un partenaire réussir là où vous avez échoué, l’état des relations entre Paris et Washington est loin de favoriser la fraternelle complicité qu’une telle manœuvre diplomatique exige. Face au chaos moyen-oriental, la France et les Etats Unis sont sur des lignes divergentes : Barack Obama a comme priorité la réintégration de l’Iran dans le jeu régional après un accord sur le nucléaire, tandis que François Hollande a ouvertement choisi le soutien sans restriction aux puissances sunnites (Egypte, Arabie Saoudite, Qatar) dans leur affrontement avec Téhéran. On ne peut pas, en même temps, mettre des bâtons dans les roues des négociations américano-iraniennes (avec d’excellentes raisons, d’ailleurs), et solliciter de Washington un appui total pour exercer une pression maximale sur Israël…

Il semblerait, de surcroît, que Laurent Fabius ait fini par comprendre que du côté palestinien, en tout cas pour Mahmoud Abbas et son clan au pouvoir à Ramallah, il n’y avait aucune urgence à obtenir dans un avenir proche, le retrait des forces israéliennes des territoires de Cisjordanie qu’elles contrôlent. On a assez peu noté, chez nous, l’apparente contradiction entre les diatribes enflammées de l’Autorité palestinienne visant à criminaliser l’Etat juif dans toutes les enceintes où il en a la possibilité (Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Tribunal de La Haye, Unesco) et la poursuite imperturbable de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne. Celle-ci fonctionne sur le mode du gagnant-gagnant : Israël tarit, à la source, le terrorisme organisé – il n’y a plus eu d’opérations meurtrières complexes en Israël depuis la fin de la Seconde Intifada – et l’Autorité palestinienne bénéficie de l’expertise israélienne en matière de renseignement pour réprimer ses ennemis intérieurs : le Hamas et  les jihadistes de toutes obédiences. D’autre part, le blocus de Gaza par les Egyptiens, depuis l’accession au pouvoir du maréchal Sissi, est autrement plus rigoureux et brutal que celui appliqué par Israël : Sissi soupçonne le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, d’aider les rebelles du Sinaï. On en est arrivé au point où, asphyxié, le Hamas négocie avec Israël une trêve de longue durée en échange de la construction d’un port flottant à Gaza, une offre qu’Israël considère avec intérêt : si le Hamas s’écroule, les successeurs ne pourraient être que pires, estime-t-on dans l’état-major de Tsahal. Le roi de Jordanie craint pour sa part que le statu quo à sa frontière occidentale, le Jourdain et la vallée d’Arava, fondé sur un solide accord sécuritaire avec Israël, soit mis à mal par une possible déstabilisation de la Cisjordanie, alors que la situation au nord et à l’est du royaume hachémite est explosive.

Vu des Territoires palestiniens, au niveau du petit peuple, celui qui tente de survivre tant bien que mal en dépit de la corruption des dirigeants, les sentiments sont mitigés : on n’oublie pas l’injustice historique dont on estime avoir été victime, on peste contre l’occupation, l’érection de la barrière de sécurité, les check-points,  mais un rapide coup d’œil par-delà les frontières proches montre que son sort est, après tout, plus enviable que celui de ses frères syriens, irakiens et même libanais… On vit peut être moins bien que les ennemis sionistes, mais beaucoup mieux, et surtout avec moins de risque de mort violente, que les frères arabes de la région.

Cette réalité du terrain est de nature à mettre à bas les plus belles constructions intellectuelles élaborées dans les chancelleries : on ne fait pas boire des ânes qui n’ont pas soif.

Finalement la chevauchée donquichottesque de Fabius n’aura peut-être qu’un usage interne. Faute d’accord, la France devrait procéder, l’an prochain à la reconnaissance de l’Etat palestinien, une initiative sans conséquence sur l’évolution du conflit, mais que l’on suppose payante pour attirer le vote des musulmans de France vers le président sortant en 2017. Tout ça pour ça?

Luc Rosenzweig
Il a travaillé pendant de nombreuses années à Libération, Le Monde & Arte. Il collabore actuellement à la revue Politique Internationale, tient une chronique hebdomadaire à RCJ et produit des émissions pour France Culture. Il est l’auteur de plusieurs essais parmi lesquels « Parfaits espions » (édition du Rocher), « Ariel Sharon » (Perrin), « Lettre à mes amis propalestiniens » (La Martinière).

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