Amérique latine : La « politique à deux voies » de Washington

Amerique latine vue par Obama
Amerique latine vue par Obama

Des pontes de la politique à Washington au Pape à Rome, y compris la plupart des journalistes des médias de masse et de la presse alternative, tout le monde a suivi avec attention les manœuvres des USA censées mettre fin au blocus économique de Cuba et relancer progressivement les relations diplomatiques. On parle partout d’un « changement majeur » de la politique US vis‑à‑vis de l’Amérique latine tout en insistant sur la diplomatie et la réconciliation. Même les rédacteurs et les journaux progressistes ne parlent plus d’impérialisme US.

Il est toutefois de plus en plus évident que les négociations que mène Washington avec Cuba ne sont qu’un aspect d’une politique à deux voies. Il y a manifestement un renforcement majeur de la présence US en Amérique latine, présence qui s’appuie de plus en plus sur des « plateformes militaires » conçues pour lancer des interventions directes dans des pays d’importance stratégique.

Qui plus est, les décideurs étasuniens accordent activement leur soutien à des partis d’opposition, des mouvements ou des personnalités à leur solde en vue de déstabiliser des gouvernements indépendants et sont résolus à réimposer la domination US.

Dans le cadre de cet essai, nous examinerons d’abord les origines et le déploiement de cette politique « à deux voies », ses manifestations actuelles et les formes qu’elle pourrait prendre à l’avenir. Nous conclurons en évaluant les possibilités d’un rétablissement de la domination impériale des USA dans la région.

Origines de la politique à deux voies  : la mise en oeuvre par Washington d’une « politique à deux voies » alliant, d’une part, des « politiques réformistes » à l’égard de certaines formations politiques, et, d’autre part, des efforts visant le renversement d’autres régimes ou mouvements par la force ou l’intervention militaire a été pratiquée à ses débuts par l’administration Kennedy dans la foulée de la révolution cubaine. Kennedy avait annoncé un nouveau programme économique d’envergure intégrant aide, prêts et investissements – qualifié d’« Alliance pour le progrès » – destiné à favoriser le développement et les réformes sociales dans les pays d’Amérique latine souhaitant s’aligner sur les USA. Du même coup, le régime Kennedy a accru l’aide militaire US et les exercices conjoints dans la région. Kennedy a financé un vaste contingent de Forces spéciales – les « bérets verts » – chargé de mener une guerre de contre‑insurrection. L’« Alliance pour le progrès » était conçue pour neutraliser l’attrait massif qu’exerçaient les changements socio‑révolutionnaires en cours à Cuba grâce à son propre programme de « réforme sociale ». Tout en préconisant des réformes édulcorées en Amérique latine, Kennedy lançait l’invasion « secrète » de Cuba par la CIA (l’affaire dite de « la baie des Cochons ») en 1961 et le blocus naval de l’île en 1962 (communément appelé « crise des missiles »). La politique à deux voies a finalement eu pour effet de sacrifier les réformes sociales et de renforcer la répression militaire. Vers le milieu des années 1970, elle ne se résumait plus qu’à une seule voie, celle de la force. Les USA ont envahi la République dominicaine en 1965. Ils ont soutenu une série de coups militaires partout dans la région, isolant de fait Cuba. En conséquence, la population active d’Amérique latine a vu son niveau de vie décliner durant près d’un quart de siècle.

Vers les années 1980, comme les dictateurs à sa solde n’avaient plus d’utilité, Washington a de nouveau adopté une double stratégie : d’une part, la Maison‑Blanche appuyait de tout cœur le programme néolibéral des dirigeants militaires à sa solde et en faisait des partenaires de second plan des projets d’hégémonie régionale de Washington. D’autre part, elle préconisait un changement axé sur une politique électorale étroitement surveillée, décrite comme une « transition démocratique », afin d’atténuer les pressions sociales massives s’exerçant sur sa clientèle militaire. Washington a garanti la mise en place d’élections et a défendu parmi ses clients les politiciens prêts à maintenir le cadre socio-économique néolibéral établi par les régimes militaires.

À l’aube du nouveau siècle, la grogne accumulée durant trente années de pouvoir répressif, les politiques socio-économiques néolibérales régressives et la dénationalisation et la privatisation du patrimoine national ont entraîné une explosion massive du mécontentement social qui, à son tour, a conduit au renversement et à la défaite électorale des régimes néolibéraux à la solde de Washington.

Presque partout en Amérique latine, des mouvements de masse exigeaient de rompre avec les programmes d’« intégration » axés sur les USA. Un sentiment anti‑impérialiste manifeste a pris de l’ampleur et s’est intensifié. La période s’est caractérisée par l’émergence de gouvernements de centre gauche au Venezuela, en Argentine, en Équateur, en Bolivie, au Brésil, en Uruguay, au Paraguay, au Honduras et au Nicaragua. Au-delà des changements de régime, les forces économiques mondiales se trouvaient elles aussi modifiées : la croissance des marchés asiatiques, leur demande de matières brutes en provenance d’Amérique latine et la hausse mondiale du cours des produits de base ont toutes contribué à stimuler l’essor des organismes régionaux axés sur l’Amérique latine – hors de la mainmise de Washington.

Washington était encore ancré dans sa politique « à voie unique » vieille de 25 ans qui consistait à soutenir des régimes civils ou militaires autoritaires et à imposer des politiques néolibérales et était incapable de réagir en présentant une alternative au mouvement anti‑impérialiste et de centre gauche qui s’opposait à sa domination. Au lieu de cela, Washington s’est attaché à inverser la nouvelle configuration parti‑pouvoir. Ses agences d’outre‑mer, l’Agence internationale pour le développement (AID), la Drug Enforcement Agency (DEA) et ses ambassades se sont efforcées de déstabiliser les nouveaux gouvernements en Bolivie, en Équateur, au Venezuela, au Paraguay et au Honduras. La « voie unique » US caractérisée par l’intervention et la déstabilisation a échoué tout au long de la première décennie de ce siècle (sauf au Honduras et au Paraguay).

Au bout du compte, Washington est demeuré isolé sur le plan politique. Ses entreprises d’intégration ont été rejetées. Ses parts du marché latino‑américain ont décliné. Non seulement Washington a‑t-il perdu sa majorité automatique au sein de l’Organisation des États américains (OEA), mais il est devenu une minorité distincte.

La politique « à voie unique » de Washington consistant à n’utiliser que le bâton sans offrir la « carotte » se fondait sur plusieurs considérations : les régimes Bush et Obama étaient profondément influencés par les vingt‑cinq années de domination exercée par les USA sur la région (de 1975 à 2000) et par la notion selon laquelle les soulèvements et changements politiques observés en Amérique latine au cours de la décennie suivante étaient éphémères, vulnérables et faciles à inverser. De plus, Washington, habitué à plus d’un siècle de domination économique des marchés, des ressources et de la main‑d’oeuvre, tenait pour acquis le caractère inaltérable de son hégémonie. La Maison‑Blanche n’a pas su reconnaître la puissance attachée à la part grandissante que la Chine se taillait sur le marché latino‑américain. Le Département d’État a fait fi de la capacité des gouvernements d’Amérique latine d’intégrer leurs propres marchés et d’en exclure les USA.

Les représentants du Département d’État US ne sont jamais allés au‑delà de la doctrine néolibérale discréditée qu’ils avaient préconisée avec succès dans les années 1990. La Maison‑Blanche n’a pas su adopter une approche « réformiste » pour contrer l’attrait exercé par des réformateurs radicaux comme le président vénézuélien Hugo Chavez. Cela se voyait surtout dans les pays des Caraïbes et andains, où le président Chavez avait lancé ses deux « alliances pour le progrès » : « Petro-Caribe » (le programme du Venezuela visant à fournir du carburant peu coûteux et fortement subventionné aux pays pauvres d’Amérique centrale et des Caraïbes, et de l’huile de chauffage aux quartiers pauvres des États‑Unis) et « ALBA » (l’alliance politico‑économique des États andains, plus Cuba et le Nicaragua, conçue pour promouvoir la solidarité politique et les liens économiques régionaux.) Ces deux programmes étaient fortement financés par Caracas. Washington n’est pas parvenu à proposer un plan de rechange efficace.

Incapable de gagner sur le plan diplomatique ou de remporter la « bataille des idées », Washington a eu recours au « gros bâton » et a cherché à perturber le programme économique régional du Venezuela plutôt qu’à livrer concurrence aux opérations d’aide généreuses et bénéfiques de Chavez. Mais la tactique des USA visant à « tout gâcher » s’est retournée contre eux : en 2009, le régime Obama a soutenu un coup militaire au Honduras, déposant le président Zelaya, un réformiste libéral élu, pour installer à sa place un tyran sanguinaire, ce qui marquait un retour aux années 1970, époque du coup chilien appuyé par les USA qui avait amené au pouvoir le général Pinochet. Dans un acte de pure bouffonnerie politique, la secrétaire d’État Hilary Clinton refusa de qualifier de coup la déposition violente de Zelaya pour s’empresser aussitôt de reconnaître le dictateur. Aucun autre gouvernement n’a accordé son appui à la politique hondurienne des États‑Unis. Le coup fut unanimement condamné, mettant en lumière l’isolement de Washington.

À maintes reprises, Washington a tenté de jouer sa « carte hégémonique », mais pour se faire mettre sans ménagement en situation de minorité à l’occasion de rencontres régionales. Au Sommet des Amériques de 2010, les pays d’Amérique latine ont passé outre aux objections US et ont décidé par vote d’inviter Cuba à la prochaine réunion, défiant ainsi un veto US vieux de 50 ans. Les USA étaient les seuls à s’opposer à la décision.

La décennie de flambée des prix des matières premières (stimulée par l’appétit vorace de la Chine pour les produits agroalimentaires et minéraux) est venue affaiblir encore davantage la position de Washington. Le « mégacycle » a sapé la capacité d’anticipation d’effondrement des prix du Trésor et du Département d’État US. Au cours des cycles précédents, la forte baisse des prix des matières premières avait forcé les gouvernements de centre gauche à se précipiter vers le Fonds monétaire international (FMI) sous contrôle US pour obtenir des prêts de soutien à la balance des paiements assujettis à de sévères conditions, prêts dont se servait la Maison‑Blanche pour imposer ses politiques néolibérales et sa domination politique. Mais le « mégacycle » a entraîné la hausse des recettes et des revenus, ce qui a fourni aux gouvernements de centre gauche un levier de taille pour éviter les « pièges de l’endettement » et marginaliser le FMI. Cela a pratiquement eu pour effet d’éliminer les conditions imposées par les USA et de permettre aux gouvernements d’Amérique latine de poursuivre leurs politiques populistes et nationalistes, politiques qui ont fait diminuer la pauvreté et le chômage. Washington a joué la « carte de la crise » et a perdu. Il n’en a pas moins continué de travailler avec des groupes d’opposition d’extrême droite en vue de déstabiliser les gouvernements progressistes dans l’espoir de « provoquer le krach » : ses alliés étaient prêts à passer à l’action et à prendre le pouvoir.

Reprise de la politique à « deux voies » Après une décennie et demie de coups durs, d’échecs à répétition de ses politiques du « gros bâton », de rejet des combines d’intégration axées sur les intérêts US et de multiples défaites cuisantes aux urnes des politiciens à sa solde, Washington en est finalement arrivé à « revoir » sa politique à « une voie » et à examiner timidement une approche à « deux voies ».

Les « deux voies » en question se caractérisent toutefois par une polarité clairement déterminée par le passé récent. Tout en engageant des négociations et en s’acheminant vers l’établissement de relations avec Cuba, le régime Obama intensifiait les menaces militaires à l’endroit du Venezuela, qualifiant de manière absurde Caracas de « menace à la sécurité nationale des USA ». Washington avait compris que sa politique belliqueuse envers Cuba avait été universellement rejetée et avait isolé les USA de l’Amérique latine. Le Régime Obama a alors décidé de prétendre à une certaine attitude « réformiste » en faisant étalage de son ouverture à Cuba. En réalité, cette « ouverture » s’inscrit dans le cadre d’une vaste politique d’intervention politique plus active en Amérique latine. Washington exploitera pleinement la vulnérabilité des gouvernements de centre gauche, qui ira en s’accroissant avec la fin du mégacycle et l’effondrement des prix. Washington applaudit au programme d’austérité budgétaire mis en oeuvre par le régime de Dilma Rousseff au Brésil. Il soutient de tout coeur le parti « Front large » de Tabaré Vázquez nouvellement élu en Uruguay ainsi que ses politiques libérales et ses ajustements structurels. Il appuie publiquement la nomination récente par la présidente chilienne Bachelet de chrétiens‑démocrates de centre droit à des postes du conseil des ministres pour répondre aux desiderata des grandes entreprises.

Tous ces changements survenus en Amérique latine offrent à Washington l’« ouverture » dont il a besoin pour poursuivre une politique à « deux voies » : d’une part, et dans l’immédiat, Washington accroît les pressions politiques et économiques et intensifie sa campagne de propagande à l’encontre des politiques et des régimes préconisant « l’intervention d’État ». D’autre part, le Pentagone intensifie et accroît sa présence en Amérique centrale et dans ses environs immédiats. L’objectif est de regagner à la longue son influence sur le commandement militaire dans le reste du continent sud‑américain.

Le Miami Herald (5/10/15) publiait que l’administration Obama avait envoyé 280 marines US en Amérique centrale sans mission ni prétexte précis. Prise aussi rapidement après la tenue du Sommet des Amériques au Panama (10 et 11 avril 2015), pareille mesure revêt une grande importance symbolique. Si la présence de Cuba au Sommet a peut‑être été saluée comme une victoire diplomatique augurant une réconciliation au sein des Amériques, le déploiement de centaines de marines US en Amérique centrale laisse croire lui qu’un autre scénario se prépare.

Ironiquement, lors du Sommet, le secrétaire général de l’Union des nations sud‑américaines (UNASUR), l’ancien président colombien Ernesto Samper (1994‑1998), s’est prononcé en faveur du retrait par les USA de toutes leurs bases militaires d’Amérique latine, y compris celle de Guantanamo : « Un point positif du nouvel ordre du jour des relations en Amérique latine serait l’élimination des bases militaires US. »

L’essentiel de l’« ouverture » US envers Cuba est précisément de signaler leur rôle accru en Amérique latine, rôle qui inclut le retour à une intervention militaire plus musclée. L’objectif stratégique est de réinstaller des régimes à leur solde, par les urnes ou par les armes.

La politique à deux voies qu’adopte actuellement Washington est une « version à rabais » de la politique de John F. Kennedy, qui combinait l’« Alliance pour le progrès » et les « bérets verts ». Toutefois, Obama offre peu en matière de soutien financier des efforts de modernisation et de réforme en contrepartie de sa volonté de restaurer la domination néolibérale.

Après une décennie et demie de retrait politique, d’isolement diplomatique et de perte relative d’influence militaire, il a fallu au régime Obama plus de six années pour prendre conscience de l’ampleur de son isolement. Lorsque la secrétaire adjointe aux Western Hemisphere Affairs Roberta Jacobson a déclaré être « étonnée et déçue » de voir tous les pays d’Amérique latine s’opposer à l’allégation d’Obama selon laquelle le Venezuela représenterait une « menace à la sécurité nationale des USA », elle a démontré à quel point le Département d’État était devenu ignare et déconnecté de la réalité quant à la capacité de Washington de convaincre l’Amérique latine d’appuyer son programme impérialiste et interventionniste.

Mettant à profit le déclin et le retrait des gouvernements de centre gauche, le régime Obama a avidement exploité sa stratégie à deux voies. Tant que progresseront en Colombie les pourparlers de paix entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le président Santos, Washington réévaluera sans doute sa présence militaire dans le pays en vue d’intensifier sa campagne de déstabilisation du Venezuela. Le Département d’État multipliera les ouvertures diplomatiques à l’endroit de la Bolivie. Quant au National Endowment for Democracy, il interviendra de plus en plus dans les élections argentines prévues pour cette année.

Des circonstances diverses et changeantes exigent des tactiques souples. Les revirements tactiques de Washington sont dominés par une inquiétante vision stratégique destinée à accroître son influence militaire. À mesure que les négociations de paix entre le gouvernement colombien et les guérilléros des FARC progressent vers un accord, le prétexte justifiant le maintien de sept bases militaires US et de plusieurs milliers de troupes militaires et des Forces spéciales US perd de sa pertinence. Toutefois, le président colombien Santos n’a nullement indiqué qu’un « accord de paix » signifierait le retrait des troupes ou la fermeture des bases US. En d’autres mots, le Commandement Sud US maintiendrait une plateforme et une infrastructure militaires vitales lui permettant de lancer des attaques contre le Venezuela, l’Équateur, l’Amérique centrale ou les Caraïbes. Avec ses bases militaires présentes dans toute la région, en Colombie, à Cuba (Guantanamo), au Honduras (base de Soto Cano à Palmerola), à Curaçao, à Aruba et au Pérou, Washington est en mesure de mobiliser rapidement des forces d’intervention. Les liens militaires avec les forces armées de l’Uruguay, du Paraguay et du Chili garantissent la poursuite d’exercices conjoints et la coordination étroite de prétendues politiques de « sécurité » dans le « cône sud » de l’Amérique latine. Cette stratégie est expressément conçue pour préparer la répression interne des mouvements populaires, peu importe où et quand la lutte des classes s’intensifiera en Amérique latine. La politique à deux voies actuellement en vigueur est menée par l’entremise de stratégies politiques, diplomatiques et militaires.

Dans l’immédiat, et ce, dans presque toute la région, Washington met en oeuvre une politique d’intervention et de pressions politiques, diplomatiques et économiques. La Maison‑Blanche compte sur le repositionnement à droite d’anciens gouvernements de centre gauche pour faciliter le retour au pouvoir aux prochaines élections de régimes clients résolument néolibéraux. Cela est particulièrement vrai dans le cas du Brésil et de l’Argentine.

La voie « politico‑diplomatique » est apparente dans les démarches de Washington visant à rétablir les relations avec la Bolivie et à consolider ses alliés ailleurs pour mettre en oeuvre des politiques favorables en Équateur, au Nicaragua et à Cuba. Washington propose des accords diplomatiques et commerciaux en échange de l’« adoucissement » des critiques anti‑impérialistes et de l’affaiblissement des programmes d’intégration régionale de l’« aire Chavez ».

L’« approche à deux voies » telle qu’appliquée au Venezuela comporte un aspect militaire moins déguisé qu’ailleurs. Washington continuera de subventionner les mouvements transfrontaliers de groupes paramilitaires violents à partir de la Colombie. Il continuera d’encourager les actes terroristes intérieurs de sabotage des réseaux électrique et de distribution alimentaire. L’objectif stratégique est d’éroder la base électorale du gouvernement Maduro, et ce, en vue des élections législatives d’automne 2015. Lorsqu’il s’agit du Venezuela, Washington applique une stratégie « en quatre étapes » :

1) intervention violente indirecte destinée à éroder le soutien électoral du gouvernement;

2) financement à grande échelle de la campagne électorale de l’opposition législative pour lui garantir une majorité au Congrès;

3) campagne médiatique massive pour un vote du Congrès en faveur d’un référendum entraînant la procédure de destitution du président;

4) campagne de financement, politique et médiatique d’envergure visant à obtenir un vote de la majorité pour une procédure de destitution par référendum.

Dans l’éventualité d’un résultat de vote serré, le Pentagone préparerait une intervention militaire rapide avec ses collaborateurs locaux en vue du renversement « à la hondurienne » de Maduro.

Sur les plans stratégique et tactique, la faiblesse de cette politique à deux voies est l’absence de toute aide économique d’envergure soutenue et de programme commercial et d’investissement susceptible d’attirer et de retenir les électeurs de classe moyenne. Washington compte davantage sur les effets négatifs de la crise pour réinstaller au pouvoir sa clientèle néolibérale. Le problème avec une telle approche est que les forces pro-US ne peuvent que promettre un retour aux programmes d’austérité orthodoxes, mettant fin du coup aux programmes d’assistance sociale et publique, et ce, tout en accordant de vastes concessions économiques aux principaux investisseurs étrangers et aux banquiers. La mise en oeuvre de programmes aussi rétrogrades aura pour effet de provoquer des conflits de classe, communautaires ou ethniques, ou d’aggraver ceux existants.

Vu la grande impopularité des politiques économiques, la stratégie US de « transition électorale » est un moyen de circonstance temporaire que Washington mettrait assurément en oeuvre. L’absence totale d’aide socioéconomique US de taille permettant d’atténuer les répercussions négatives sur les familles qui ont un revenu de travail signifie que les victoires électorales de la clientèle US seront de courte durée. C’est la raison du renforcement stratégique des forces militaires US qui, elles, entreront en action au moment opportun. La réussite de la première voie, c’est‑à‑dire l’application de tactiques politico‑diplomatiques, aura inévitablement pour effet de polariser la société latino‑américaine et d’accroître les risques de luttes des classes. Washington espère que ses alliés et clients des sphères politique et militaire seront prêts à réagir par la répression violente. L’intervention directe et la répression intérieure accrue serviront à assurer la domination US.

La « stratégie à deux voies » évoluera de nouveau vers une « stratégie à une voie » conçue pour refaire de l’Amérique latine une région satellite prête à être livrée pillage des multinationales extractives et des spéculateurs financiers.

Comme nous l’avons vu au cours de la décennie et demie précédente, les « politiques à une voie » conduisent à des bouleversements sociaux. Et lorsque ces bouleversements surviendront à nouveau, leurs conséquences pourraient aller bien au‑delà de régimes de centre gauche pour évoluer vers des gouvernements proprement socio‑révolutionnaires !

Les constructeurs de l’empire US ont clairement démontré partout dans le monde leur incapacité à intervenir et à produire des États clients stables, prospères et productifs (l’Iraq et la Libye en sont les principaux exemples). Il n’y a aucune raison de croire que, même si la « politique à deux voies » des USA conduisait à des victoires électorales temporaires, les efforts déployés par Washington en vue de rétablir sa domination seront couronnés de succès en Amérique latine, en particulier parce que leur stratégie ne comporte aucun mécanisme d’aide économique et de réformes sociales qui pourrait maintenir les élites pro‑US au pouvoir. Comment par exemple les USA pourraient‑ils neutraliser la mesure d’aide de 50 milliards de dollars accordée par la Chine au Brésil – sinon par la violence et la répression. Il importe d’analyser comment l’essor de la Chine, de la Russie, de marchés régionaux dynamiques et de nouveaux centres financiers ont gravement affaibli les efforts déployés par les régimes clients pour se réaligner sur les USA. Les coups militaires et le libre marché ne sont plus des formules garantes de succès en Amérique latine : les échecs passés qui leur sont associés sont encore trop récents pour pouvoir être oubliés.

Finalement, la « financialisation » de l’économie US, que même le Fonds monétaire international (FMI) décrit comme la conséquence négative d’un « pouvoir financier omniprésent » (Financial Times, 5/13/15, p. 4), signifie que les USA ne sont plus en mesure d’allouer des ressources pécuniaires au développement d’une activité productive en Amérique latine.

L’État impérialiste ne peut agir que comme agent de recouvrement violent pour le compte de ses banques dans un contexte de chômage généralisé.

L’impérialisme financier et extractif est un cocktail politico-économique qui risque de déclencher des révolutions sociales à l’échelle du continent – bien au‑delà de ce que les marines US sont en mesure de prévenir ou de réprimer.

Bendriss Chahid

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *