Le martyr de Fallujah. …

Avec des chars et des blindés ! Pourquoi n’ont-ils pas résisté ? Face à 900 djihadistes armés de kalachnikovs ? »

« On dit que des officiers sunnites ont trahi al-Maliki et ont rejoint Daesh et l’armée de Naqshbandi… »

« Ce n’est pas vrai ! Il n’y a presque plus d’officiers sunnites dans l’armée irakienne ! Depuis qu’ils ont renversé Saddam, les Américains ont chassé tous les sunnites des postes importants de l’armée et de l’administration. Et presque tous les soldats sont chiites.

Non ! Ce qui s’est passé, c’est qu’al-Maliki a ordonné à l’armée d’abandonner Mossoul et de laisser Daesh prendre les chars et les blindés. Et aussi 450 millions de dollars qui étaient entreposés là. Avec ça, ils ont de quoi acheter des armes pour des années ! Tu comprends, maintenant ? Al-Maliki savait que les tribus sunnites allaient se rallier à Daesh. Maintenant, il peut nous attaquer et nous exterminer. »

« Mais, à ce que j’ai entendu, beaucoup de Sunnites supportent Daesh, dans tout le pays. »

« Non, non ! Ce n’est pas Daesh qu’ils supportent ! » Omar s’énerve. De toute évidence, ma remarque l’a excédé. « C’est la révolution qu’ils supportent ! La révolution contre al-Maliki et ses amis iraniens ! Contre ses amis américains, qui ont détruit l’Irak ! Ils n’ont pas seulement détruit les villes, les centres industriels, les gens. Ils ont aussi détruit l’unité de l’Irak.

Nous, ici, on ne veut pas vivre comme ces types-là, ces barbus ! Ils veulent nous faire revenir des siècles en arrière ! C’est ça qu’ils veulent ! Mais les gens n’ont pas encore compris que Daesh n’est pas venu faire la révolution. Malheureusement, quand ils vont s’en rendre compte, il sera trop tard.

Les islamistes ont déjà commencé à nous prendre nos armes : c’est un signe que les gens commencent à voir ce qui se passe ; alors, ils nous désarment, ils désarment les tribus, pour nous empêcher, demain, de nous rebeller contre eux…

Et puis, ce qui va se passer, c’est que les gens vont avoir très peur ; et ils n’oseront pas se révolter contre Daesh.

Ces types, ils vont nous faire une dictature encore pire que celle de Saddam !

Mais, sans les Sunnites de ce pays, ils ne pourront pas tenir longtemps quand al-Maliki décidera de contre-attaquer. Et, à ce moment là, nous, les Sunnites, nous allons tout perdre.

On va nous accuser d’avoir aidé ces terroristes. Et on va nous le faire payer. Et tout le monde sera d’accord avec al-Maliki. C’est nous, les grands perdants de ce jeu. Tu verras ! »

Nous quittons Omar et sortons de son immeuble. Cette conversation me laisse perplexe… Ne dit-on pas, au Moyen-Orient : « N’essaie jamais d’expliquer la politique sans démontrer l’existence d’un grand complot. On ne te croirait pas… » Et cependant…

J’en parle avec Ahmad, qui partage l’avis de son ami Omar : « C’est comme en Syrie, me dit-il. Tu le sais mieux que moi : depuis qu’il est apparu là-bas, Daesh attaque Djeich al-Hor [l’Armée syrienne libre, le mouvement démocratique de la révolution contre Bashar al-Assad]. C’est clair qu’ils aident Bashar… Et, Bashar, c’est l’allié de l’Iran… » Je pense que j’en ai vu assez pour apprécier la situation, inutile de multiplier le risque d’être repéré par un des groupes de combattants islamistes qui vont et viennent dans la cité.

Mais Ahmad veut absolument me montrer l’hôpital central de Fallujah. Nous entrons dans le parc qui entoure l’hôpital ; l’endroit est très à découvert… Ahmad désigne du doigt les impacts, très nombreux, sur les murs de l’édifice, des impacts de différentes tailles.

Je remarque aussi les cratères, les trous d’obus, tout autour de l’hôpital, le toit a également été endommagé. « Ça, ce n’est pas Daesh, précise Ahmad ; c’est l’armée chiite d’al-Maliki ! Cela fait des mois qu’ils visent régulièrement l’hôpital. Ce ne sont pas des accidents ; c’est intentionnel… »

Nous regagnons la rue. À partir d’ici, il faut être plus discret. Autre coup de téléphone et une voiture surgit, qui nous embarque. Plus nous nous approchons des quartiers est, plus la présence de Daesh est visible, et plus les tirs de mortiers sont fréquents : j’en reconnais le sifflement caractéristique, qui précède l’impact, c’est comme à Alep, lorsque j’y couvrais les combats qui opposaient les rebelles aux forces de Bashar al-Assad. Il y a beaucoup de combattants dans Fallujah : assis devant les maisons, le dos appuyé aux façades, le visage emmitouflé, des groupes de miliciens de l’État islamique attendent ; peu de civils, mais beaucoup de djihadistes. Et des chars… et des véhicules blindés, ceux dont parlait Omar, pris à l’armée irakienne… Des Hammers et des Cougars, dont les Américains avaient équipé l’armée irakienne… Ce sont de redoutables machines, qui, bien utilisées, peuvent donner un avantage certain à Daesh. Je constate aussi que Daesh détient des chars russes, de l’ancienne armée de Saddam… Cachés dans les garages ou sous des abris couverts de draps, de tôles, de branches de palmier.

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