Le martyr de Fallujah. …

La ville n’est pas très grande et, en nous tenant éloignés de l’artère principale, qui coupe la ville en deux et file vers Bagdad, nous progressons vers le centre. L’ampleur des destructions est effarante ! Depuis le 3 janvier 2014 et la prise de Fallujah par Daesh, l’armée irakienne bombarde inlassablement l’agglomération : l’aviation, mais aussi les chars, utilisés comme artillerie. Des immeubles en partie effondrés, des magasins éventrés, des conduites d’eau crevées, qui déversent leur précieux liquide sur le tarmac…

Le gouvernement de Bagdad a coupé l’eau et l’électricité pour « punir » les « rebelles » de Fallujah ; « Ça va un peu mieux maintenant, précise Ahmad. Daesh s’est emparé de plusieurs barrages sur l’Euphrate et nous sommes à nouveau approvisionnés ; pas tous les jours, mais ça va… » Fallujah manque aussi d’essence, mais pas plus qu’au Kurdistan, où le flot des réfugiés, combiné à la prise de la raffinerie de Bayji par les islamistes (principale raffinerie du nord de l’Irak), a entraîné une augmentation du prix du litre de gasoil qui a presque triplé.

Plus nous avançons et plus l’air devient irrespirable, chargé de particules âcres, qui font tousser et brûlent les yeux. Ce sont les fumées des explosions et des bâtiments incendiés qui brûlent, dans les faubourgs orientaux. Le vent d’est les rabat sur la ville et elles s’engouffrent dans les rues, comme un brouillard noirâtre qui limite la visibilité. Peu de gens, dans ces rues enfumées. Beaucoup ont fui les combats. Mais Fallujah n’est pas une ville fantôme, non ! Des milliers de personnes y demeurent, qui n’ont nulle part où aller. À Bagdad, devenue très majoritairement chiite depuis 2003, on ne voudrait pas d’eux.

Ahmad passe un rapide coup de téléphone. Nous entrons dans un immeuble ; quelques volées de marches et nous pénétrons tous les quatre dans un appartement. Une autre famille sunnite s’y terre. On fait les présentations : Omar, le père, c’est un ancien officier de l’armée de Saddam. Il ne comprend pas pourquoi beaucoup d’anciens officiers –et des Baathistes, de surcroît- collaborent avec Daesh.

« Il paraît qu’à Mossoul, il n’y a presque plus d’islamistes dans la ville ; ils sont tous venus ici pour combattre et prendre Bagdad.

Ce sont donc les Baathistes, les partisans de Saddam, qui gardent la ville à leur place. On dit qu’il y a eu des accrochages entre Daesh et Naqshbandi [groupe islamiste, d’obédience soufie, éminemment lié à la guérilla baathiste regroupant d’anciens militaires sunnites de l’armée de Saddam Hussein, éléments nationalistes opposés à la conquête américaine et, aujourd’hui, à l’influence que l’Iran exerce sur l’Irak à travers le gouvernement de Nouri al-Maliki], mais c’est sans importance. Ces types n’ont pas encore compris ce qui va se passer… »

Omar a sa théorie : « On a remarqué des choses bizarres… Au début, on n’y a pas trop prêté attention, mais ça s’est répété. Tu as vu, dans la rue, les véhicules de Daesh ?

Ces gros tout-terrain blancs, des Hyundaï 240 tout neufs… On les repère très facilement. Hé bien… Quand l’aviation d’al-Maliki bombarde la ville… Tu dois me croire : elle bombarde les maisons, mais jamais les véhicules de Daesh. Ils ont bombardé l’hôpital ! Mais, les véhicules de Daesh… Jamais !

Ici, il y avait des soldats chiites, des soldats d’al-Maliki, quand Daesh a pris Fallujah. Ils en ont capturé plusieurs. Et qu’ont-ils fait avec eux ? Ils les ont laissés partir ! Ils sont repartis à Bagdad !

Quand Daesh a pris Samarra, les tombeaux des trois imams chiites, ils ne les ont pas détruits !

Daesh n’est pas utilisé par l’Iran ; Daesh reçoit des ordres de l’Iran et d’al-Maliki !

Je te demande : qui est perdant, qui est gagnant ? Les Sunnites d’Irak sont perdants. Et c’est l’Iran, le gagnant ! L’Iran a envoyé des troupes en Irak. Daesh, c’est financé par l’Iran pour justifier son influence en Irak !

Tu vois… Tout ça, c’est un grand jeu, entre l’Iran et al-Maliki, contre les Sunnites. Ils utilisent Daesh comme un outil, pour briser les Sunnites, c’est ça que les Sunnites d’Irak n’ont pas encore compris…

Daesh, ce n’est rien. Ces types ne sont que quelques centaines ; ils n’avaient pas de matériel lourd. Rien… Et, là, tout d’un coup, ils envahissent l’Irak. Et, en quelques mois, ils s’emparent de la moitié du pays et de sa seconde ville, Mossoul. Oui, mais, à Mossoul, il y avait 60.000 soldats de l’armée irakienne !

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