Nous progressons entre Tikrit et Baiji, qui se trouve plus au nord. Un des hommes d’Ahmad connaît un pont, où franchir le fleuve Tigre, un pont qui n’est pas gardé par Daesh. L’armée irakienne mène en ce moment une offensive entre Tikrit et Samarra, ville située plus au sud, offensive qui nous empêche de prolonger encore notre route en territoire kurde, ce qui aurait pourtant raccourci notre parcours dans le Califat, et donc limité les risques.
Le Kurdistan est maintenant derrière nous…
Le Kurdistan (bientôt) indépendant : la « petite Suisse du Moyen-Orient »
Au Kurdistan, relativement épargné par l’État islamique, le front est interdit aux journalistes, qui traînent dans les hôtels de luxe d’Erbil, accrochés aux climatiseurs ; dehors, il fait 43°C à l’ombre…
Mais j’ai un atout dans ma manche, un ami de notre correspondant à Erbil : Barzan. Il connaît tous les chefs militaires kurdes. Pour nous, les check-points sont ouverts.
Cela ne m’a pas coûté cher : Barzan ne m’a pas demandé d’argent ; il voulait seulement le maillot officiel de l’équipe de France… Et j’en ai trouvé un in extremis, dans la « duty free zone » de l’aéroport de Bruxelles… Le « foot » est décidément la nouvelle religion mondiale.
??????????????????????????????? C’est un front diffus, mal défendu.
Voilà peut-être la raison pour laquelle les journalistes n’ont pas l’autorisation de s’y rendre. Les Peshmergas, les célèbres combattants de la résistance kurde à toutes les oppressions, sont de redoutables guerriers. Mais, sans matériel lourd, ces fiers soldats, habitués à se battre dans les montagnes, ne pourront pas grand-chose si l’État islamique décidait de s’attaquer au Kurdistan, dans les plaines de la région de l’antique Ninive.
Les Peshmergas sont en outre fort peu nombreux.
Depuis quelques mois, Kirkouk et les « territoires disputés » ont été occupés et « annexés » par les Peshmergas, mais sans coup férir : le rêve d’unification d’un Kurdistan indépendant, dans les faits en tout cas, s’est réalisé à la faveur de la débandade de l’armée de Bagdad, apparemment terrorisée par l’avancée aussi spectaculaire que brutale des combattants de l’État islamique. Et, jusqu’à présent, l’État islamique n’a pas encore mené d’offensive d’envergure contre les forces kurdes…
Ce qui fait dire à certains leaders kurdes qu’un arrangement aurait été négocié entre les dirigeants de l’État islamique et le président du gouvernement autonome du Kurdistan, Massoud al-Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), très lié à Ankara. C’est du moins ce qu’insinuent plusieurs personnalités de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), proche de l’Iran, et du Gorran, nouveau parti qui se veut indépendant, le troisième grand mouvement politique du Kurdistan, tous les trois se disputant la domination sur le pays…
Ce qui expliquerait pourquoi l’État islamique a principalement concentré ses rares attaques dans le sud de la région kurde de Souleymanieh, fief de l’UPK ; et pourquoi des cargaisons entières de vivres et de matériels divers, de l’essence aussi, transitent depuis la Turquie par Erbil pour franchir ensuite la frontière en direction de Mossoul, ville aux mains de l’État islamique…
???????????????????????????????Avec ses réserves pétrolières, largement augmentées par la récente « conquête » de Kirkouk, le Kurdistan pourrait désormais être qualifié de « petite Suisse du Moyen-Orient ». Certes, un esprit critique qualifierait autrement la chose : le « Dubaï du pauvre », peut-on parfois entendre dans les salons des hôtels de luxe d’Erbil ; comme l’illustrerait somme toute assez bien la construction du « prestigieux » hôtel Grand Millenium, une tour de 150 mètres (contre 828 mètres pour la plus haute tour de Dubaï), qui domine la ville de Souleymanieh (le cœur culturel du Kurdistan), avec son restaurant motorisé qui tourne sur lui-même à 360° et fait la fierté des habitants. Les problèmes techniques qui ont retardé sa construction ont été surmontés, mais la gérance peine à remplir l’hôtel…
C’est que le Kurdistan, qui ne vit que de son pétrole, importe de Turquie plus de 80% de ce que l’on trouve ici dans les commerces. En outre, cette société tribale, également construite sur la base d’un clientélisme particratique éminemment prégnant, assure à la plupart des Kurdes un revenu suffisant, par la redistribution de la manne pétrolière, qui grève l’entreprenariat et limite les perspectives de développement industriel.