Comment les pouvoirs publics, en dépensant près de 700 milliards dollars – plusieurs fois le plan Marshall qui a servi à la reconstruction de l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale – n’ont-ils pas pu construire une vraie économie et mettre en place une gouvernance capable d’assurer la transparence dans la gestion des affaires de l’Etat ?
L’Algérie vit depuis quelques semaines une situation particulièrement tendue. Enfin rendus à l’évidence, les Algériens vérifient, à leurs dépens, la vulnérabilité dans laquelle est définitivement installé leur pays. Après quinze années de règne, le président Bouteflika n’a pas seulement fait régresser la pratique politique et dérégulé les mécanismes constitutionnels d’alternance au pouvoir en supprimant la limitation des mandats présidentiels de la Constitution de 1996, mais aussi consacré une économie de rente aléatoire, incapable de survivre aux fluctuations des marchés internationaux.
Le gouverneur de la Banque d’Algérie vient d’étaler au grand jour toute l’étendue du désastre de la «gouvernance bouteflikienne».
L’information est passée presque inaperçue à cause d’une actualité très chargée et tumultueuse.
Pourtant, la sentence de Mohamed Laksaci, qui a présenté la semaine dernière le rapport trimestriel sur les tendances monétaires et financières du pays, est sans appel.Ainsi, «la balance des paiements extérieurs globale a clôturé 2013 avec un excédent de seulement 0,13 milliard de dinars, soit un quasi-équilibre après les importants excédents des années 2012 (12,6 milliards de dollars) et 2011 (20,14 milliards de dollars)».
M. Laksaci, qui a confirmé à l’occasion toutes les inquiétudes et les craintes soulevées par de nombreux experts économiques depuis des années, a imputé cette baisse importante au fort recul des quantités d’hydrocarbures exportées qui ont baissé de 7,3%. En valeur, a-t-il ajouté, «les recettes des exportations d’hydrocarbures se sont contractées de 10,2%, s’établissant à 63,3 milliards de dollars en 2013 contre 70,5 milliards en 2012».
Le gouverneur de la Banque d’Algérie a expliqué aussi que le recul de la balance des paiements a été «aggravé par une hausse des importations de biens qui se sont chiffrées à 55,1 milliards de dollars en 2013 contre 51,5 milliards en 2012». Pour lui, le «niveau des importations atteint en 2013 est non soutenable eu égard au profil des exportations tant en volume qu’en valeur».
On le sait, M. Laksaci, étant commis de l’Etat, n’aurait pas hésité à embellir une conjoncture s’il y avait matière à le faire. Mais les chiffres sont têtus. Et ceux qu’il a livrés sont incontestablement alarmistes et surtout indicateurs que la politique économique – s’il y en a eu une – du président Bouteflika n’est en réalité qu’une accumulation d’échecs. Le bilan, il y a lieu de le dire, est indéfendable. Et pour un Président sortant, nonobstant dans le cas qui est celui du locataire d’El Mouradia dont l’état de santé s’est considérablement détérioré depuis son AVC, un bon bilan aurait suffi pour défendre une éventuelle option de reconduction à la tête du pays. Ce n’est visiblement pas le cas.
Aucun chef de l’Etat algérien n’a eu les atouts dont a bénéficié celui qui est en poste depuis 15 années : un large consensus politique et une manne financière abondante qui si elle avait été exploitée à bon escient aurait certainement mis le pays sur la voie du développement et de l’indépendance vis-à-vis de la rente pétrolière.
C’est un pays en friche que s’apprête à léguer la gérontocratie au pouvoir aux générations futures. L’échec est cuisant. Personne ne peut expliquer, aujourd’hui, comment les pouvoirs publics, en dépensant autant d’argent – près de 700 milliards dollars, plusieurs fois le plan Marshall qui a servi à la construction de l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale – n’ont pas pu construire une vraie économie ni mis en place une gouvernance capable d’assurer la transparence dans la gestion des affaires de l’Etat, et des contrepouvoirs à même d’en garantir le contrôle.
Les partisans du quatrième mandat n’ont aucun argument à faire prévaloir, sinon une bien visible cupidité à continuer à se servir de la rente, et ce, au détriment de la stabilité du pays.
Chahid Ben Driss