Par Mohamed Mellouki
Sortie militairement défaite et financièrement exsangue d’une guerre de dix ans, de 1979 à 1989, pour soutenir le régime communiste de Najibullah en Afghanistan, l’ancienne URSS a été aussitôt confrontée à une série de défis qu’elle ne pouvait plus relever, et n’allait pas tarder à entamer son crépuscule. Exposée à des menées déstabilisatrices savamment orchestrées par l’Occident auquel s’était joint, sournoisement, le Vatican sous le pape polonais Jean-Paul II, et défiée par la montée en puissance des courants indépendantistes des États de l’Europe de l’Est et des républiques musulmanes, elle voyait, impuissamment, sauter un à un ses principaux verrous du Rideau de fer mis en place au lendemain de la 2ème Guerre mondiale. Subissant parallèlement les retombées drastiques d’une pensée économique obsolète érigée durant 70 ans en système de vie décadent, elle s’est repliée progressivement comme une peau de chagrin sur son terreau d’origine avant de disparaître définitivement, en 1991, entraînant dans son sillage la dissolution de l’État communiste et de son bras armé, le Pacte de Varsovie. Ce démembrement mit fin à l’état de bipolarité et à la Guerre froide qui régnaient depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale, consacrant le leadership américain sur la planète.
Héritant des oripeaux de ce que l’ancien président américain Reagan appelait l’empire du mal, la Fédération des Républiques de Russie, créée au lendemain de la révolution bolchévique, dont elle constituait le socle, sur les cendre de l’ex empire tsariste, faisait figure de puissance au talon d’argile face à une Amérique victorieuse et dominatrice. Minée par une nébuleuse mafiosi qui a investi un champ économique devenu un gigantesque marché noir et un échiquier politique national cupide et tiraillé entre conservateurs et réformistes , la nouvelle Russie semblait vouée, à son tour, à un sombre avenir. L’arrivée au pouvoir d’Eltsine, tombeur de Gorbatchev qu’il avait sauvé quelques temps auparavant d’une tentative de putsch militaire se présentait quelque peu salvatrice. Sombrant dans l’ivrognerie, Eltsine a vite déteint sur la nouvelle Russie qui dépérissait à son image et semblait définitivement acculée, à son tour, à la dislocation. Bizarrement c’est à ce même Eltsine que le pays va devoir son renouveau actuel. Dans une audacieuse initiative qui n’a jamais été véritablement élucidée et a laissé perplexe le microcosme politique, il se fait assister d’un illustre inconnu sur lequel personne ne misait un copeck et qui ne manque pas depuis de surprendre.
Vladimir Poutine fait son apparition au Kremlin en 1998, en tant que Conseiller d’Eltsine à la sécurité intérieure. Il y paraît comme un cheveu sur la soupe au milieu d’une vieille garde gérontocrate et nostalgiquement brejnévienne pour la plupart. Si cette première nomination au sommet du sérail avait suscité des étonnements, elle semblait simplement coller à une personnalité forgée dans les rouages de l’ex KGB, chargée de remettre de l’ordre dans un foutoir sécuritaire. Elle le fait accéder à la primature l’année suivante. Devenu gâteux à un âge précoce, Eltsine démissionne pour incapacité et ouvre à son poulain la voie de la présidence.
L’avènement de Poutine à la tête de l’État russe, en 2000, déchaîne une vague de spéculations sur le personnage. Le regard perçant, les lèvres à peine entrouvertes quand il parle- peu d’ailleurs- son allure de commando et sa démarche saccadée, presque mécanique, et sa propension pour les armes à feu dénotent indéniablement un profil sec et autoritaire, peu commode et aux dents longues, qui ne semble pas mû uniquement par le pouvoir, bien que cette tendance a l’air de transpirer sur un visage froid et impénétrable de celui qui semble porter la Russie sur son dos. Manifestement il se veut l’incarnation de la patrie, de l’héritage, de la fierté et de l’histoire russes. Et probablement, aussi, celle d’une légende. Mais la situation malaisée, au cours de ses deux premiers mandats, dans laquelle se trouvait son pays sur pratiquement tous les plans vis-à-vis d’une Amérique au faîte de sa puissance et condescendante le mettait indéniablement mal dans sa peau. Elle avait l’air de lui faire la faveur de l’associer aux sujets brûlants de la planète tout en lui signifiant clairement qu’il comptait quelque peu pour du beurre au moment décisif. La décision de Bush Jr d’attaquer l’Iraq malgré le véto russe a dû lui rester en travers de la gorge. Evidemment pas pour les beaux yeux de Saddam, mais pour son impuissance à croiser le fer avec une OTAN technologiquement omnipotente. Ne pouvant accomplir un 3ème mandat consécutif, il procède avec son ami et premier ministre à un changement de chaises musicales qui lui permet de revenir au pouvoir en 2012, plus décidé, cette fois-ci, à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Indéniablement, le Sommet du G20, le 5 septembre 2013 à Saint Petersburg, lui en a offert l’occasion propice. Au-delà du désaccord avec Obama sur la question syrienne, c’est une nouvelle période de tension entre Est-Ouest qui a l’air de pointer à l’horizon. L’ours russe a repris du poil de la bête. Un peu à cause de la bêtise d’Obama qui a assez longtemps tergiversé sur sa fameuse frappe limitée, permettant à la fois à Bachar Al-Assad de dépendre un peu plus de Poutine et à celui-ci d’introduire en force sa flotte en Méditerranée et de consolider ses assises à Tartous. En agitant l’épouvantail d’une implication directe, aux côtés de Bachar, dans une éventuelle ‘ frappe’ contre celui-ci, et en imposant son option politique pour résoudre le cactus syrien, Poutine a indéniablement donné à réfléchir et fait reculer les USA.
Le président russe sait pertinemment que son homologue syrien est définitivement cuit depuis longtemps. Il le maintient, autant d’ailleurs que l’Iran et le Hizbollah, sous perfusion le temps de consolider sa présence sur le terrain pour mieux prendre date dans l’après Bachar. Le drame syrien est devenu un test de leadership entre les deux puissances. L’une tient à son rôle de Gendarme du monde et l’autre manifeste sa volonté à changer la donne. Et si ce n’est pas encore le retour à la Guerre froide, on n’en est pas loin.
Mohamed Mellouki