Les Frères musulmans appellent à des manifestations. Mais leur capacité à rassembler dans les grandes villes, sous couvre-feu, est amoindrie.
Les partisans du président islamiste Mohamed Morsi destitué par l’arméevont compter leurs rangs en manifestant pour un «vendredi des martyrs», mais la désorganisation des Frères musulmans, réprimés dans le sang et privés de leurs dirigeants emprisonnés, leur laisse peu d’espoirs.
Près d’un millier de personnes ont péri en huit jours, essentiellement des manifestants pro-Morsi, dans les assauts meurtriers des soldats et policiers contre leurs rassemblements, et plus de mille activistes et cadres des Frères musulmans ont été arrêtés, essentiellement les meneurs et organisateurs des manifestations. Une centaine de policiers et soldats ont également trouvé la mort dans les pires violences qu’a connues l’Egypte dans son histoire récente.
Résultat : depuis cinq jours, malgré les appels quotidiens à manifester, les rassemblements font long feu faute de participants. D’autant que les grandes villes – en particulier Le Caire – sont sous le joug de l’état d’urgence et d’un couvre-feu, leurs grands axes bloqués par des chars et des barrages de police. En dehors des activistes purs et durs qui se sont faits rares, les pro-Morsi ont manifestement peur de descendre dans la rue où le nouveau pouvoir dirigé de facto par l’armée a autorisé les forces de sécurité à ouvrir le feu sur les manifestants hostiles.
Et les Frères musulmans, l’influente confrérie de Mohamed Morsi qui avait remporté haut la main les législatives de 2012, sont totalement désorganisés. Les rares dirigeants de leur exécutif qui ne sont pas encore derrière les barreaux se terrent, et les cadres intermédiaires s’avouent paralysés en l’absence des consignes «écrites» qu’ils recevaient jusqu’alors pour guider leurs troupes, lesquelles arrivaient pas autocars entiers des diverses provinces.
«Nous ne recevons plus les consignes écrites habituelles pour les manifestations depuis que la plupart de nos leaders ont été arrêtés», explique à l’AFP Ahmed, un cadre local des Frères musulmans à Menoufia, dans le delta du Nil. «Les forces de sécurité sont venues dans ma rue pour me chercher, on sait que nos téléphones sont écoutés, alors on ne les utilise pas», explique cet homme qui se cache.
« J’ai peur que l’on revienne à l’ère Moubarak »
Outre Mohamed Morsi, destitué le 3 juillet et détenu au secret par l’armée, accusé notamment de complicité de meurtres et de tortures, les plus hauts dirigeants des Frères musulmans, dont le Guide suprême Mohamed Badie et ses deux adjoints, Khairat al-Chater et Rachad Bayoumi, doivent comparaître à partir de dimanche notamment pour «incitation au meurtre». Maher, chef d’une cellule des Frères dans le sud du Caire, reconnaît que la rupture des communications et l’arrestation de l’exécutif du mouvement a réduit quasiment à néant sa capacité à mobiliser. «J’ai peur que l’on revienne à l’ère Moubarak», lâche-t-il.
Justement, l’ex-président Hosni Moubarak, renversé début 2011 par l’une des révoltes populaires du Printemps arabe, a été transféré jeudi de sa prison du Caire dans un hôpital militaire où il est assigné à résidence dans l’attente de ses procès, dont l’un en appel reprend dimanche pour «complicité de meurtres» de manifestants en 2011.
La presse étrangère continue de recevoir des e-mails de l’Alliance contre le coup d’Etat – en réalité les Frères musulmans – annonçant quotidiennement des manifestations, mais la plupart n’ont pas eu lieu ces derniers jours. Et si l’Alliance a appelé à «manifester par millions» dans tout le pays pour le «vendredi des martyrs», prévoyant 28 «marches» pour la seule capitale égyptienne, ces consignes ne parviennent pas à la base.
Les experts s’attendent à des manifestations réduites à la sortie de la prière de la mi-journée et prédisent à la quasi-unanimité un retour progressif de la confrérie à la clandestinité qu’elle a connue la majeure partie de ses 85 ans d’existence. Certains redoutent que les groupes jihadistes et des franges les plus radicales des Frères ne s’orientent ensuite vers le terrorisme. L’armée, qui a nommé un gouvernement civil intérimaire et promis des élections pour début 2014, s’est appuyée sur des manifestations monstres réclamant le départ de Morsi pour justifier son coup de force.
Face à l’engrenage de la violence, l’Union européenne a décidé de suspendre ses exportations vers l’Egypte d’équipements de sécurité et d’armements et va réexaminer son aide financière.