Maroc : regards d’un grand penseur indépendant sur la presse, Al Bayane comme exemple

Voyons l’organe du parti du progrès et du socialisme ! 

Le Professeur Mohamed Ennaji
Le Professeur Mohamed Ennaji

Par Mohamed ENNAJI

Les vieux rituels touchant aux annonces des réunions des partis communistes sont toujours là. Al-Bayane affiche ainsi à la Une, une réunion du bureau politique pour un anniversaire du parti. Seul détail de taille : le PPS n’est pas le PC chinois dont le gigantisme et le nombre de délégués peuvent expliquer, dans une certaine mesure, la solennité. Mais le ridicule ne tue personne dans une organisation où la lutte des classes n’est même plus de l’ordre du souvenir. Mais lisons attentivement : Al Bayane annonce en grande pompe le départ des festivités commémoratives du 70 anniversaire du parti. Le ramadan est la date choisie, il faut bien s’inscrire dans le contexte quand on est dans un gouvernement dirigé par des islamistes. Les symboles choisis pour la communication sont éloquents. Il s’agit de gagner un public et le manifeste communiste n’est plus à l’ordre du jour. Rien n’est laissé au hasard car ce ne sont plus des penseurs matérialistes qui ont en charge de préparer les plateformes des débats mais les communicants de l’ordre nouveau. 70e anniversaire oblige : le chiffre sept est magique et rejoint l’interpellation du ramadan et donc le lexique religieux. Sept fait référence aux sept cieux et au-delà à Dieu le père.

Le PPS s’inscrit ainsi dans la hiérarchie pyramidale qui confine le peuple au bas de l’échelle. Le chiffre désigne la totalité des ordres planétaires, la totalité des demeures célestes, chez les Egyptiens il était le symbole de la vie éternelle. Le PPS sait concocter ses références : les Chinois organisaient leurs fêtes populaires le septième jour. Qu’on se le tienne donc pour dit, nous sommes bien dans une obsession de l’éternité. Le parti a le sens de la durée. C’est nous qui n’avions pas les yeux pour voir : le fqih Ali Yata revendiquait déjà ses symboles. Aujourd’hui, nous prenons conscience que cette revendication ne relevait pas que du compromis, elle était bien d’ordre structurel. Il y a ainsi une légitimité dont les chefs actuels peuvent se prévaloir : la référence à l’islam n’est pas étrangère au parti du socialisme, elle peut l’illusionner sur son avenir aujourd’hui que le bateau est à la dérive et que les matelots sont sans capitaine qui sait scruter l’horizon. On peut faire miroiter le mirage du paradis, psalmodier des versets au lieu de crier l’Internationale et de défendre les acquis sociaux de la classe ouvrière et des paysans sans terre.

L’allure générale du journal et son contenu ne prêtent pas à la gaieté. Le journaliste est ici étouffé dans cette ambiance quasi morbide d’un organe qui semble avoir abandonné la vie derrière lui. Mais l’organe est là, tout simplement pour marquer une présence, celle d’un parti réduit au statut d’une ombre. Le journaliste soucieux de s’épanouir ne peut séjourner longtemps ici. Ce journal est plus une planque et rien d’autre, il est déplacé de parler de liberté ou d’indépendance d’un journaliste dans cet espace.

De l’ancienne identité, il ne reste que le nom de l’organe « al Bayane», le manifeste. Mais c’est le nom sans mémoire, figé, sclérosé, simplement oublié là. Je ne peux me retenir de penser au grand livre du savant Tabari « al bayane wa tabyine », dont le dernier mot éclaire l’objet en se limitant pas au déclaratif mais en allant au-delà pour expliquer et convaincre. Tabari, un vrai fqih quant à lui, est resté dans l’histoire, comme quoi l’intelligence ne meurt jamais même si la bêtise ne tue pas.

Mohamed Ennaji

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