LA CRISE ISTIQLAL-PJD, FAUT-IL SOUHAITER L’ARBITRAGE ROYAL ? (2)
Par Mohamed MELLOUKI
Jamais un retour du Roi au pays n’a été attendu avec autant d’impatience et d’intérêt. C’est que depuis la décision du parti de l’Istiqlal de se retirer du gouvernement, les regards sont braqués vers la France où se trouve actuellement le souverain. La vie politique marocaine semble en état de latence, dans l’attente de la sentence royale.
Évidemment qu’il est impensable que le retrait en question puisse s’opérer en passant par-dessus l’épaule du souverain, pour des raisons constitutionnelles et de bienséance. Il a indéniablement son mot à dire, pour la raison minimum qu’un retrait de ministres du gouvernement entraîne ipso facto le même effet au niveau du Conseil des ministres présidé par le Roi. Faut-il, pour autant, souhaiter que celui-ci intervienne à ce stade du différend entre Mr Chabat et Mr Benkirane ? Personnellement, je réponds NON. Il faut surtout espérer qu’il renvoie dos à dos les deux rivaux. Pour CINQ raisons :
– L’article 42, institue le Roi en tant qu’Arbitre suprême entre les institutions. La crise entre l’Istiqlal et le PJD n’affecte nullement le fonctionnement de ces dernières. Il s’agit purement, comme je l’ai précisé dans l’article précédent, d’un grincement de clivage partisan. Quand bien même il se produit au sein du gouvernement, il ne constitue pas, pour autant – du moins pas encore – une crise gouvernementale.
– Si le gouvernement se trouve actuellement dans une impasse, pour cause d’une coalition déglinguée, la solution de la crise doit obligatoirement obéir au schéma constitutionnel; à savoir :
a) possibilité de reconduite de Mr Benkirane, en droit de rempiler et reconstruire une nouvelle majorité avec l’appoint de certaines formations actuellement dans l’opposition;
b) à défaut d’y parvenir, il aura à choisir entre la démission, la dissolution de la 1ère Chambre, ou constituer un Cabinet minoritaire;
c) l’Istiqlal pourra, alors, initier une motion de censure. Si cette dernière est rejetée, le Cabinet minoritaire continuera à gouverner. Si, au contraire, la motion passe, Mr Benkirane, dont le parti reste majoritaire à la 1ère Chambre, conservera toujours l’opportunité de former un nouveau gouvernement disposant de la majorité à la 1ère Chambre- d) s’il y parvient, la crise n’existe plus, à défaut, cette dernière devient ouverte et sujette soit à l’application de l’article 104 par le chef du gouvernement soit à la prérogative royale en vertu des articles 51 et 96. Donc, le schéma est très complexe constitutionnellement et peut nécessiter jusqu’à un an ou plus, avant d’en arriver aux Législatives anticipées qui devront en constituer le dernier épisode.
– Si l’arbitrage royal venait à intervenir avant que tous ces scénarios ne soient empruntés et épuisés, il induirait sûrement un effet politiquement pervers. Il produira indéniablement un double impact négatif : il prouvera que la pratique politique reste soumise à la volonté du Palais, et que tout ce qui a trait à l’indépendance de conception et d’action des partis est pure chimère.
– La crise actuelle est unique en son genre dans les annales de la pratique gouvernementale. Naguère il y a eu quelques manœuvres de déstabilisation de gouvernement par l’institution législative. Mais c’est la première fois que le désaccord vient de l’intérieur de l’Éxécutif. Son évolution dans un sens ou dans l’autre va forcément conditionner le devenir de la démocratie dans le pays. Etouffée dans le statu quo actuel, quelle que puisse en être l’esthétique qui lui sera appliquée, elle fera subir à la notion de démocratie un sévère coup. Le régime aura démontré que l’initiative d’ouverture opérée dans le cadre du ‘ Printemps arabe’ n’a débouché en fait que sur un changement de frigidaires pour mieux congeler la pratique politique.
– Si l’absolutisme, sous toutes ses formes, a pour premier souci de cadenasser les esprits et de glacer l’espoir d’une évolution en dehors de la pensée et du schéma des gouvernants, la démocratie, elle, tend à leur libéralisation. Elle évolue en fonction d’un tas de considérations et de faits qui la stimulent. Son exercice est à l’image d’un couple harmonieux qui s’excite mutuellement pour mieux s’apprécier. Une crise politique, contrairement à ce qu’en pensent les esprits obtus, est un de ces éléments excitants. Tant qu’elle se produit et rebondit pour un meilleur agencement du fonctionnement institutionnel, elle stimule le processus de démocratisation.
Collatéralement à ce qui adviendra de cette crise, tant les détracteurs istiqlaliens de Mr Chabat que les PJdistes braqués contre lui ont tort. En vérité le retrait annoncé est une aubaine pour les deux camps. Il leur permet de faire, à tous les deux à travers cette expérience commune, un bilan qui aura apporté des enseignements édifiants pour réorienter leur stratégie en prévision des futures confrontations électorales. Chacun aura jugé des points forts et des faiblesses de l’autre pour cibler en conséquence sa propre stratégie. Les deux auront fait preuve de courage politique et de vision à long terme. Quant à ceux qui claironnent que le moment n’est pas opportun pour l’organisation des élections anticipées sous prétexte d’une conjoncture défavorable financièrement et aussi en raison du dossier du Sahara, ils font preuve de courte vue en politique s’il en ont une. Le dossier du Sahara n’interfère absolument pas dans ce contexte, il n’est en aucune manière lié de près ou de loin à la réussite ou à l’échec de l’expérience gouvernementale. Il est d’un autre ressort. Mr Benkirane même n’est pas plus informé que le dernier des quidams sur ce sujet. Le Maroc aura, par contre, fait la preuve que le pays est résolument engagé à sortir des sentiers battus jusqu’à présent en matière de gouvernance. Il y gagnerait à la fois à l’interne en encourageant les boudeurs de la Constitution à mettre la main à la pâte de la participation partisane et électorale, et à l’externe en propageant l’image d’un pays résolument engagé dans la voie d’une réelle démocratisation. Pour ce qui est du financement que coûtera l’opération, je répondrai qu’il vaut mieux se soucier, plutôt, de ces milliards de Dh qui passent clandestinement la frontière pour aller renflouer les banques étrangères, ou détournés illicitement ou encore éparpillés dans des gabegies insensées. Autant, donc, les utiliser dans une perspective positive de nature à crédibiliser et dynamiser un tant soit peu la vie politique.
Mohamed Mellouki