Par Sami SHERIF
Bientôt le pays sera étranglé, tel est le constat que tirent nombre d’observateurs égyptiens ayant peur pour l’avenir de leur pays. Aux crises politique, économique et sociale que traverse l’Egypte depuis la chute du dictateur, est venu se greffer l’un des graves problèmes que le pays n’en a jamais connu depuis son apparition comme un Etat moderne sous Mohamed Ali au début du XIX ème siècle. Le projet éthiopien de construction du plus grand barrage d’Afrique et du deuxième mondialement risque de mettre l’Egypte tout entière dans une situation dramatique : ou bien le pays sera assoiffé ou alors dans le pire des cas inondé! Aucune de ces deux alternatives ne lui laisse un brin d’espoir quant à son avenir.
Le 2 avril 2011, le gouvernement éthiopien a lancé les travaux de construction d’un nouveau barrage sur les eaux du Nil Bleu, dans l’État du Benshangdul Oumuz situé au nord du pays et à 40 km de la frontière soudanaise.
L’ampleur du projet et sa position stratégique ont des implications géopolitiques pour la région, d’abord pour l’Éthiopie qui verra son poids s’accroître par rapport à ses voisins, ensuite pour l’Égypte et le Soudan qui craignent une perte de leurs prérogatives sur le fleuve et une réduction draconienne de leurs flux en eau sur le Nil menaçant même leur existence, puisque le barrage éthiopien retiendra dans son étendu lac presque 63 milliards de m3.
Au terme de sa construction – prévu pour 2016, le barrage du « Millénaire » ou barrage de la « Renaissance » sera le premier barrage hydroélectrique d’Afrique et le dixième du monde en termes de puissance. Ses objectifs sont doubles : prévenir les inondations (il permettra de retenir 62 milliards de m3 d’eau), et augmenter la production d’énergie électrique (sa puissance électrique devrait atteindre 5 250 mégawatts).
Ainsi, l’Éthiopie pourra à la fois satisfaire ses propres besoins énergétiques et commencer à exporter de l’électricité aux pays voisins. Le projet s’inscrit dans le plan quinquennal de croissance et transformation (GTP) lancé en septembre dernier par le gouvernement éthiopien : une augmentation de la capacité de production d’électricité de 2 000 à 8 000 mégawatts à l’horizon 2015 (et jusqu’à 10 000 mégawatts d’ici 2018) est prévue, pour un coût total de 14 milliards de dollars.
Le barrage Renaissance, dont la construction a été confiée à la compagnie italienne Salini Costruttori, représente à lui seul 4,8 milliards de dollars. Les organismes internationaux se sont désolidarisés du projet car ils reprochent à l’Éthiopie l’absence de prise en compte des conséquences environnementales : aucun rapport d’évaluation des risques n’a été fourni alors qu’une vaste zone pourrait être inondée et une partie de l’écosystème disparaître. C’est donc l’État éthiopien qui finance entièrement le projet : outre les fonds publics, la Banque éthiopienne de Développement émet des bons du Trésor afin que la population participe également au financement du projet. Il est néanmoins prévu que la Chine finance les turbines et les systèmes électriques pour un total d’1,8 milliard de dollars ; de son côté Djibouti a versé un million de dollars au gouvernement éthiopien en avril dernier, devenant ainsi le seul pays contributeur de la région.
Pour l’Egypte et le Soudan c’est une situation des plus délicate qui s’installe à leur flanc sud. La construction de ce gigantesque barrage constitue d’ores et déjà un épée de Damoclès les menaçant quoi qu’ils fassent. Les appels répétés qu’ils ont fait à l’Ethiopie pour qu’elle sursoit à son projet se sont révélés vains. Le gouvernement éthiopien bénéficiant d’un appui en sous-mains d’Israël et des Etats-Unis, s’est montré intransigeant. D’éventuelles négociations sur une réduction de la retenue en eau du future barrage ne pourront nullement avoir lieu dès lors que le projet sera construit dans son envergure initiale. La volonté éthiopienne de continuer son projet ne laisse pas d’autres perspectives à ces deux pays qui risquent un double défit, celui d’être à la fois assoiffés et menacés d’être complètement inondés au cas ou le barrage viendrait à être détruit soit par un tremblent de terre dans une zone sismique à risques, soit alors par un des ennemis de l’Ethiopie ou du Soudan ou de l’Egypte.
Cette dernière voit Israël derrière la volonté de l’Ethiopie de construire ce barrage. Dans le quotidien Al-Masry Al-Youm, selon le politologue et universitaire Hassa Nafea, la thèse qu’il défend depuis longtemps, la sécurité nationale égyptienne, est menacée par un seul ennemi : Israël. « Il est faux de croire que les menaces qui soufflent sur l’Égypte du côté de ses frontières sud via l’Éthiopie peuvent être séparées de celles qui soufflent du côté nord-est via le Sinaï. L’Éthiopie, à mon avis, n’aurait jamais ni osé prendre la décision unilatérale de changer le cours du Nil Bleu, ni risqué d’entrer dans un conflit ouvert avec l’Égypte si elle n’avait été soutenue par son allié Israël. Voir, ce dernier est peut-être l’instigateur d’une telle décision. L’ennemi de l’Égypte sur la frontière nord-est est le même qu’à sa frontière sud. C’est un ennemi qui agit selon une vision stratégique étudiée. Je suis donc presque certain que l’attitude de l’Éthiopie est reliée d’une manière ou d’une autre au conflit en cours en Syrie … ».
Le comble pour ces deux pays, c’est qu’ils doivent; une fois réalisée l’entrée en service du barrage être vigilants à son propos et doivent le défendre par tous les moyens de peur qu’Israël ne soit pas tenté de le détruire pour que ses milliards de m3 d’eaux ne viennent détruire à leur tour les barrages situés en aval, celui de Djebel Aulia au Soudan et celui d’Assouan en Égypte.
Sami Shérif