Turquie : L’arlésienne du miracle économique

 Leaders Turcs
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Par Salem BEN AMMAR

Alors que son pays est secoué par de graves troubles, violents et sanglants, sans précédent depuis l’accession de son parti l’AKP à la tête de la Turquie en 2002, Recep Tayyip Erdogan maintient sa tournée officielle de 4 jours dans les pays du Maghreb, entamée le 3 juin 2013 jusqu’à jeudi inclus, comme si de rien n’était ou que ces pays étaient des provinces turques et cela en dit long sur sa véritable stature d’homme d’Etat.

En effet, cette visite inopportune et surannée ne peut que témoigner surtout de son mépris pour son peuple. Aucun chef de gouvernement au monde ayant le sens du devoir ne se serait permis d’effectuer une tournée à l’étranger en pleine tourmente politique dans son pays.
Il y a tout lieu de croire qu’il se comporte comme un V.R.P. de luxe plus préoccupé par la réussite de sa campagne publicitaire que par l’environnement politique défavorable.

Il semble plus préoccupé en tout état de cause par la réussite de son opération de séduction auprès de ses anciens dominions que le climat insurrectionnel qui frappe son pays où l’on vient d’enregistrer le premier mort.
Il va vouloir assurément leur vendre les bienfaits du miracle turc que seuls y croient les crédules et les naïfs.

Un miracle qui devient de plus en plus une calamité pour le peuple turc, synonyme de la boucherie syrienne et du retour néocolonial de l’Empire Ottoman en Tunisie avec des tentatives d’incursion en Libye, en Algérie et au Maroc.

Pourquoi parle-t-on de miracle, alors que le tableau de bord de l’état économique, social et des libertés publiques et individuelles de la Turquie est suffisamment éloquent quant aux performances quantitatives et qualitatives de ce pays tombé sous le joug des islamistes qui n’ont de la modération que le costume-cravate ?

Comme si c’était un fait un inédit, insensé, inattendu, surprenant, inexpliqué qui serait d’origine surnaturelle, échappant à la raison humaine. Là où l’on doit parler d’une tragédie turque tout au moins pour les populations qui ne sont pas turkmènes.

Un miracle qui se conjugue avec le cauchemar du peuple turc. De ses femmes, de ses opposants laïcs, de ses artistes, de ses minorités ethniques et religieuses et de la petite enfance. Un miracle qui vaut à la Turquie de détenir le record du monde en matière d’atteintes à la liberté de la presse et de détention de journalistes juste devant l’Iran, l’Erythrée et la Chine. 76 journalistes ayant été emprisonnés en 2012 selon le Comité pour la Protection des journalistes. Un pays où l’on condamne pour délit de blasphème.

Une Turquie qui a vendu son âme et perdu son honneur pour l’attrait de l’appât du gain que lui font miroiter les pétromonarchies wahhabites, est-ce cela le vrai sens du miracle turc ? Servir de vitrine au wahhabisme arrogant et impérial.
Une Turquie qui se veut un pays phare dans le monde musulman et pièce maîtresse dans le puzzle de l’O.C.I. mais incapable d’éclairer la voie de son peuple et de passer définitivement du Moyen-Age à la modernité.

Un miracle des disparités économiques régionales insolentes avec un rapport de richesse de 1 à 10, des inégalités sociales criantes qui la placent au second rang des pays de l’O.C.D.E et de la corruption érigée en mode de gouvernement qui lui vaut la palme d’or du pays le plus corrompu de l’O.C.D.E.
Le miracle turc qui a toutes les tares d’un régime d’apartheid digne de l’ancienne Afrique du Sud, dont font les frais les Kurdes d’Anatolie, les parias de la Turquie d’Erdogan avec les Roms ; dont le revenu médian per capita représente le tiers de celui d’Istanbul.

Un miracle turc qui n’offre aucune sécurité aux enfants non-trucs surtout charriant tel un torrent de boues des dizaines de milliers d’enfants de rues à Istanbul et Ankara.
Un miracle qui n’est pas tout le monde et surtout pas pour les minorités non-turques, où des enfants kurdes et roms sont sacrifiés sur l’autel du capitalisme sauvage, déréglementé et méprisant des conventions internationales sur le droit de la protection de petite enfance et l’âge obligatoire au travail de 15 ans tel que le fixe l’Organisation Internationale du Travail.

Est-ce encore cela le miracle turc qui met en péril la santé et la sécurité des enfants et qui discrimine en déscolarisant les enfants non-turcs de préférence comme le relève l’observatoire de la vie politique turque dans sa livraison du 15 avril 2013 ? « En 2011, 16% de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Chez les travailleurs agricoles, ce chiffre atteignait 40% en 2008. Les zones rurales sont, en effet, particulièrement exposées à la pauvreté. Celle-ci incite les familles à faire travailler leurs enfants. Et si le travail infantile a tendance à baisser en Turquie, il reste important et représente 18% de la force de travail du pays.

Avec une inflation à deux chiffres et un chômage endémique est-ce qu’un taux de croissance économique à deux chiffres a du sens ?
Une concentration de richesse de plus de 75 % autour des seules régions d’Istanbul et de la région égéenne est significative du développement inégal entre les régions.
Le secteur agricole emploie plus de 30% de la population active pour même pas 10% du PIB et c’est à lui seul une illustration parfaite du mythe du miracle turc.
Un Tsunami à retardement le jour où il sera soumis à la concurrence européenne où le taux de chômage atteindra des sommets himalayens;

Sa prospérité apparente est certainement le prix de son inféodation aux deux colonies américaines le Qatar et l’Arabie Saoudite, héritiers du wahhabisme qui est, ironie du sort, le virus létal que les anglo-saxons avaient inoculé dans le corps musulman dès le 18e siècle pour achever l’Empire Ottoman. C’est comme si l’histoire était en train de se répéter.

Salem Ben Ammar

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