Par MOHAMED MELLOUKI
Le Maroc vient de passer un mauvais quart d’heure à l’ONU ; heureusement qu’il y a eu plus de peur que de mal. Il s’en est même sorti quelque peu victorieux. Mais il ne doit pas trop jubiler, parce que la menace contre la souveraineté nationale que charriait le projet américain d’étendre aux prérogatives de la MINURSO le droit de
surveillance des droits de l’homme, si elle a été remisée n’a pas pour autant été définitivement écartée. Le Maroc est sommé de parvenir d’ici avril 2014 à un consensus avec l’autre partie, c’est-à-dire le tandem Algérie-Polisario. Nous savons qu’en fait celui-ci n’est que la marionnette de celle-là. S’en tenant à sa prétendue neutralité dans ce dossier, l’Algérie compte sur le temps, poussant à un enlisement du conflit tel qu’il finirait par devenir un casse-tête pour l’instance onusienne qui n’aurait pas d’autre choix pour s’en débarrasser que de recourir à l’application des stipulations du chapitre 7 de la Charte des N-U pour imposer l’organisation du référendum d’autodétermination.
Notre voisin sait pertinemment que le Sahara est un territoire marocain depuis des temps immémoriaux. Le président algérien ne s’en est pas caché. Dans l’entretien qu’il a accordé, en juin 2012, à Mme Gizele Khouri, journaliste libanaise, il en avait consacré une partie à la question du Sahara marocain. Reconnaissant sans détours que ce territoire était marocain de père en fils, il a avoué qu’il était obligé de se positionner dans le camp adverse à cette vérité historique évidente et de s’aligner sur le Polisario et sur la ligne de ceux qui l’ont fabriqué pour des raisons strictement politiques, parce que parmi les militaires- algériens- il compte des amis en qui il a une grande confiance, qui pensent qu’il y va de l’intérêt de l’Algérie qu’elle s’oppose au Maroc dans cette affaire du Sahara, et qu’il ne pouvait, du fait, déroger à cette conception. De même qu’il a confirmé que cette terre était marocaine et que le monde entier l
e reconnaîtra tôt ou tard, parce que les cahiers de l’Histoire le confirme, et qu’un droit est un droit quelle que soit l’injustice qui cherche à s’en emparer.
Si Mr Bouteflika n’était pas Président de l’Algérie, le Maroc n’aurait pas trouvé meilleur avocat de sa cause saharienne. Il en connaît les tenants et aboutissants sûrement mieux que nombre de nos responsables, d’autant qu’il avait en tant que Ministre des Affaires étrangères sous Boumédienne déployé des trésors de diplomatie pour précisément contrecarrer le Maroc et cadenasser le dossier du Sahara dans l’impasse où il se trouve jusqu’à présent. Sa position sur la question n’ayant, donc, rien avoir avec le volet humanitaire, comme elle ne cesse de le claironner publiquement, l’Algérie vise de toute évidence deux objectifs : user le Maroc financièrement, en le contraignant à un endettement extérieur qui hypothéquerait à terme son économie et sa souveraineté, et susciter conséquemment un ras-le-bol populaire contre le régime. Sa véritable stratégie est là et non ailleurs, et aussi immorale qu’elle soit elle a le beau rôle et joue sur du velours. En croyant que l’Algérie était le seul os dans ce dossier, et en s’entêtant à vouloir la ramener à la raison, le Maroc, assuré d’être suffisamment couvert sur sa droite, ne pouvait, donc, être que tétanisé par le camouflet que s’apprêtaient à lui asséner les USA. Le revirement de dernière minute dans l’attitude américaine ne doit pas, pour autant, nous voiler la face. La dernière déclaration sur le sujet de l’ambassadeur Kaplan, à la veille de son départ de Rabat, en fin de mission, qui considère que le plan marocain d’autonomie n’est pas la seule base pour le règlement du dossier saharien doit nous maintenir sur nos gardes. Sans oublier également la position de l’Union Européenne qui ne nous est pas non plus favorable ; de même que celle du groupe ‘ Les Amis du Sahara’ constitué des USA, précisément, de la Grande-Bretagne, France, Espagne et Russie. Contrairement à ce que croit ou veut nous faire croire la version marocaine, la dénomination de ce groupe ne fait pas allusion au Maroc en tant qu’État, mais à l’entité sahraouie. Nombre de Marocains échaudés par l’attitude américaine n’ont pas manqué de concevoir une méfiance à l’égard de La France, aussi, jusqu’au moment du vote, et se demandent pour combien de temps encore ne se défausserait-elle pas à son tour ?
Le Maroc se doit, donc, de repenser sa stratégie. Il ne peut continuer à accorder une confiance aveugle à ses alliances. Sa force doit rester interne, basée sur la mobilisation populaire et ses propres stratèges. Il a réussi à neutraliser le Polisario militairement grâce à l’édification du fameux ‘mur de défense’, plus ou moins le long du tracé frontalier algéro-marocain. Nul ne lui en a tenu rigueur au plan international. Nul ne pouvait s’opposer à une telle démarche destinée à instaurer la stabilité dans la région et la sécurité de la population locale. Cette fois-ci, aussi, après le coup de semonce américain, il est acculé de changer de fusil d’épaule et de s’inscrire dans le court terme de manière audacieuse. Il est un adage militaire qui dit : ‘ lent à la réflexion, rapide à la détente’. Maintenant qu’il a été miraculeusement conforté par la dernière résolution du Conseil de Sécurité, laquelle peut bien être assimilée à une adhésion de jure à son plan d’autonomie de la part de l’ONU qui le confirme comme seule alternative à l’autodétermination, le Maroc est obligé de s’engager dans une course contre la montre et d’instrumentaliser rapidement le sursis qui lui a été accordé. À l’instar de Hassan II pour l’organisation de la Marche Verte suffisamment pensée en amont de l’Avis de la Cour internationale de Justice et menée dare-dare en aval, le Pouvoir se doit cette fois-ci de mettre en application sur le terrain son plan d’autonomie, pour gagner la bataille politique et se présenter à la prochaine échéance devant le Conseil de Sécurité dans une posture consolidée par des avancées irréfutables en matière des droits de l’homme. Que risquerait le Maroc ? Un embargo dont l’ONU même connaît bien les imperfections, qui privera l’Europe, pour le moins, de poisson, la Russie et autres pays d’agrumes et phosphate marocains, et inondera le marché clandestin national de produits chinois, au grand dam de l’économie occidentale ? Une frappe de l’OTAN comme pour l’Irak de Saddam et la Libye de Khaddafi qui ont massacré leurs propres peuples, alors que lui se sera inscrit dans la droite ligne du concept libéral. Toute une guerre, qui fermerait les bases militaires marocaines à l’US Army, nonobstant les risques d’une éventuelle déstabilisation de la navigation maritime à hauteur du Détroit de Gibraltar, pour les beaux yeux d’un Polisario dont l’implication est avérée dans le conflit saharo-sahelien? Qui oserait-il en fait reprocher au Maroc l’instauration sur le terrain d’institutions locales et de leurs mécanismes fonctionnels prévus dans un plan agrée par la dernière résolution onusienne ? Qui pourrait-il contredire une initiative qui aura concrétisé matériellement et ancré dans la pratique la démocratisation de la vie politique. Qui dénierait-il à la collectivité sahraouie, une fois aux commandes, le droit de gérer ses affaires internes ? Qui penserait-il l’obliger à y renoncer ? Que vaut-il ce Polisario devant autant d’atouts majeurs que détient le pays ? Sûrement moins qu’un grain de sable. L’ONU finira bien par bénir cette étape, même si elle soulève quelques remous contestataires du bout des lèvres, le temps que les choses s’entassent. Le Polisario sera du coup acculé au mur. Ce sera pour lui à prendre ou à laisser. Même ses réseaux auront du mal à le soutenir. Le pouvoir tel que prévu dans le plan d’autonomie, passant dès lors de l’État à la collectivité sahraouie, la porte de la compétition politique sera, ainsi, ouverte à tous les courants idéologiques. Il ne tiendrait, dès lors, qu’au Polisario de s’y engouffrer en se muant en force politique et de démontrer son véritable degré de représentativité au sein de cette collectivité.
Quand bien même l’ONU ne reconnaîtrait pas un tel état de fait et s’en tiendrait à la réalisation du référendum au Sahara, elle aura forcément comme interlocuteurs sur place les tenants du pouvoir qui auront suffisamment œuvré pour influer sur le cours du processus et préserver leurs acquis. Ils ne pourront encourir le risque de brader ceux-ci et des positions privilégiées par simple plaisir de céder place à un Polisario dont l’idéologie est de toute évidence de nature à les mettre sur la paille.
Cette stratégie sera mieux payante au niveau national si elle s’inscrit en plus dans le contexte d’une régionalisation généralisée qui fera passer le cas du Sahara d’une sorte d’appendice institutionnelle à une composante territoriale normale, intégrée dans le même processus juridique, bénéficiant des mêmes droits et soumise aux mêmes obligations que l’ensemble du pays.
Hassan II était indéniablement un souverain absolu, mais faisait preuve quand il s’agissait de l’intérêt national d’un courage politique que lui reconnaissaient ses ennemis avant ses amis. En appliquant la stratégie suggérée ci-dessus, le Roi Mohamed VI aura couronné, à son tour, son règne par un acte que lui conservera l’Histoire pour la postérité. Comme pour la Culture, quand tout le reste sera oublié.
Le Colonel Mohamed Mellouki