Maroc : la crise Istiqlal/Pjd, un cas d’école politique

Le CoLonel de Gendarmerie Mohamed MALLOUKI
Le CoLonel en retraite Mohamed MALLOUKI

Par Mohamed MELLOUKI

Véritable thème de dissertation politique, la crise actuelle entre l’Istiqlal et le PJD, qui n’a pas encore été analysée sous l’angle approprié, a donné, par contre, lieu à un assourdissant concert de pronostics sur ce qui en adviendrait. Tous les intervenants ont pris fait et cause pour une partie ou l’autre, à l’instar des potaches de Terminale, qui par insuffisance de sens analytique ne transcendent pas toujours le contenu littéral du sujet exposé, et optent subjectivement d’emblée pour la thèse ou l’antithèse.

Dans le contexte concerné, le schéma de résolution qui sera adopté à terme du conflit importe moins que la nature de celui-ci ; c’est cette dernière qui a conduit à l’éclatement de l’affaire. Presque tous parlent déjà de crise politique ou gouvernementale. Ce n’est, en fait, ni l’une- parce que le volet idéologique en est absent- ni l’autre- parce que le pays n’est pas ingouvernable-. À l’heure actuelle, il ne s’agit encore que d’un grincement de clivage strictement partisan qui charrie, il est vrai, une volonté manifeste de l’Istiqlal d’en découdre avec la situation malaisée dans laquelle il se trouve. Parce qu’au-delà de la contestation par ce dernier de sa représentation numérique dans le gouvernement, de la divergence sur quelques points du programme gouvernemental et de la propension de Mr Benkirane à une gouvernance personnelle, le véritable enjeu de la mésentente entre les deux formations couve ailleurs : dans la sourde rancœur, pour cause de leadership, que rumine un parti qui s’enorgueillit de son passé historique, se considère toujours majoritaire dans la mémoire populaire, et n’ingère, donc, pas d’avoir été coiffé au poteau par une formation somme toute récente qui lui a ravi la prédominance électorale.

Jusqu’à récemment, Mr Benkirane passait chez le citoyen lambda pour l’homme du changement. Il avait su savamment projeté de lui l’image d’un honnête homme,

Benkirane et Chabat sur le ring
Benkirane et Chabat sur le ring

modeste, sérieux, laborieux et plus est sympathique ; des qualités qui manquent le plus à ses adversaires, qui peuvent constituer une aura pour quelques temps mais n’intercèdent pas longtemps au niveau d’un chef de gouvernement. Son talon d’Achille était apparu dès la constitution de son cabinet. Celui-ci, monté sur un bricolage partisan, branlant, était destiné, inévitablement, à craquer à brève échéance. Sa plateforme politique s’est révélée un simple programme de services à l’instar des gouvernements antérieurs, quelque peu recyclé seulement sous un nouvel emballage. Son incapacité à tenir ses promesses sur l’éradication de la dépravation, la moralisation de la vie publique, la réduction des conflits sociaux, du déficit budgétaire et de l’endettement, et sur l’amélioration du taux de croissance, a progressivement déçu une bonne partie des voix qui l’avaient soutenu, faute de mieux, et érodé son image d’Epinal du début de mandat. Beaucoup lui prédisent une déculottée électorale aux prochaines législatives. Son échec entraînera forcément dans son sillage un Istiqlal qui lui aura apporté jusqu’à la fin sa caution. C’est cette crainte, aux incidences désastreuses pour son parti, qui a motivé Mr Chabat. C’est le risque d’une dérive déjà suffisamment amorcée qu’il veut enrayer, parce que conscient que son parti n’apparaissant pas autrement que tracté par le PJD, ne pourra plus rebondir, comme il l’espère, dans l’électorat s’il ne se libérait pas à temps d’un gouvernement dont il aura des difficultés à dénigrer, par la suite, une gestion calamiteuse à laquelle il aura largement contribué durant cinq ans de gouvernance. D’autant qu’il n’avait cessé de claironner son hostilité personnelle à l’égard du PJD et sa réserve quant à la participation de son parti au gouvernement, bien avant qu’il n’en décroche la direction. De son côté, Mr Benkirane savait bien que Mr Chabat, devenu patron de l’Istiqlal, ne sera pas un interlocuteur commode, ne s’accommodera pas d’un rôle de 2ème violon et sera tenté de lui ravir la vedette pour deux autres raisons subjectives en plus de celles évoquées précédemment : au plan de l’ego, les deux hommes ont une forte personnalité, sont deux grandes gueules les plus en vue sur l’échiquier politique, imbues de leur morgue personnelle- santiha- et maîtrisent, autant l’un que l’autre, parfaitement bien la rhétorique populiste qui conditionne le plus, chez nous, un électorat peu politisé pour qui l’image compte plus que le programme. Ensuite, Mr Chabat, étant arrivé à la tête de sa formation, aidé dans son ascension par ses deux casquettes de maire de la ville de FES et de patron de l’UGTM, court, assurément, le risque de les perdre aussi s’il ne retire pas ses billes avant qu’elles ne s’usent davantage ou n’obtient pas gain de cause dans sa revendication, pour redorer le blason de son parti qui ne s’est pas encore départi de la série de casseroles qu’il traîne derrière lui depuis l’affaire Najat encore présente dans beaucoup de mémoires, et qui a dû fortement peser dans ses deux déconfitures législatives passées.

En tout état de cause, la crise a, apparemment, dépassé les deux antagonistes et semble s’orienter vers l’arbitrage royal, avec la probabilité la plus plausible que cette intervention débouche sur une restructuration de la cohabitation actuelle qui ne pourra se traduire, en l’occurrence, que par un changement de chaises musicales au profit de la revendication istiqlalienne,. Quelles qu’en seront la nature et la dimension, l’ombre de Mr Chabat ne sera que plus pesante sur un Éxécutif qui ne sera que plus bancal, et de nouveau sujet à éclatement à court terme. Le contexte ne sera, donc, que davantage défavorable à Mr Benkirane qui aura du mal à la fois à restreindre ses ambitions et à ingurgiter pour le restant de son mandat la couleuvre d’un allié devenu véritable challenger potentiel, plus exigeant que jamais. Quand bien même, la seule formation – le RNI- en mesure, en termes de sièges parlementaires, de lui sauver la mise, accepte de remplacer l’Istiqlal, Mr Benkirane ne sera encore que plus otage de la nouvelle cohabitation. Il sera pris en sandwich entre deux factions du fameux éphémère G8 qu’il n’avait cessé de brocarder à un certain moment. Quant à une participation du PAM, ce serait tout simplement hallucinant ; bien que dans la realpotik marocaine plus rien n’étonne depuis des lustres. Quelle que puisse être, donc, la solution de rapiéçage à laquelle pourrait recourir Mr Benkirane, il sera dans de mauvais draps. Mais, si à quelque chose malheur est bon, la décision de l’Istiqlal constitue, aussi, une sorte de perche de salut pour Mr Benkirane. À la condition qu’il fasse preuve de bon sens et de courage politiques, en s’éjectant de sa posture actuelle par le haut, pour aller carrément vers le divorce : les élections législatives anticipées. Il aura plus de chances de stopper à moindre frais le flétrissement de sa propre image et de celle de son parti, en exploitant, une fois de plus, la crédulité de la frange qui le prend encore pour le Messie, pour faire endosser son échec à son allié istiqlalien. Il pourra toujours dire que les Tamassih et Aafarit qu’il croyait tapis sur sa gauche l’étaient aussi sur sa droite.

Mohamed Mellouki

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