Maroc : les droits de l’Homme comme enjeu du conflit du Sahara.

Chahid Bendriss
Chahid Bendriss

Par Chahid BENDRISS

Il est indéniable que les droits de l’Homme se sont progressivement transformés en un facteur déterminant des relations internationales.

Qu’il s’agisse des actions des organisations internationales ou des rapports entre puissances internationales et Etats en développement, les droits de l’Homme deviennent à la fois des alibis de puissance, des facteurs de dynamique et un des fondements théoriques du droit international et des relations internationales.

Bertrand Badie est l’un des principaux auteurs ayant analysé cette évolution. Il l’a notamment expliquée par l’émergence dans lesEmblème des droits de l'Homme relations internationales des facteurs extra-étatiques favorisant la création d’un espace public international qui, affranchi du monopole des gouvernements, a pu mettre en avant les droits de l’Homme comme facteur de poids dans les relations internationales. Cette explication, qui met en filigrane le lien dialectique entre les droits de l’Homme et la puissance, n’explique qu’en partie la focalisation de la question du Sahara occidental autour des droits de l’Homme.

A l’heure actuelle, cette question se trouve dans une situation d’impasse juridique qui résulte du caractère irréconciliable des positions des parties : d’un côté, on assiste à l’intransigeance du Polisario et de l’Algérie faisant une fixation sur une application stricte, erronée et sans esprit créatif du principe des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, d’un autre côté, le Maroc a définitivement rejeté le référendum comme procédé d’autodétermination.

Incapables d’orienter le processus de règlement en leur faveur, l’Algérie et le Front Polisario ont décidé d’explorer de nouvelles voies qui vont de pair avec l’évolution des relations internationales afin de mieux se positionner et renverser l’équilibre des forces. Ils ont ainsi jeté leur dévolu sur les droits de l’Homme tel un ultime cheval de bataille.

Les droits de l’Homme comme élément tactique

Avant d’évoquer l’élément tactique, il faudrait attirer l’attention sur deux éléments d’ordre structurel qui peuvent expliquer la place prise par les droits de l’Homme dans le processus de règlement du conflit.

Premièrement, le Sahara occidental est toujours inscrit dans la catégorie des territoires non autonomes, même si le statut de puissance administrante n’est ni revendiqué ni reconnu au Maroc. Or, pour cette catégorie de territoires, les puissances administrantes sont obligées de tenir les Nations Unies informées de la situation qui y prévaut. Tant que la question de la souveraineté n’est pas réglée, la situation interne au territoire constituera une épée de Damoclès utilisée non pas seulement pas les adversaires du royaume mais également par toutes les organisations de protection de droits humains.

Deuxièmement, l’évolution récente des relations internationales, notamment après la fin de la guerre froide, fait une place de choix au respect des droits de l’Homme, désormais appréhendés comme un élément de résolution des conflits. La décadence des idéologies dites totalitaires et la victoire du libéralisme ont eu pour effet d’inscrire le respect des droits humains en norme du droit international général, c’est à dire en une valeur partagée par la communauté internationale. L’importance prise par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) a eu son influence sur les politiques étrangères des Etats, désormais tournées, au moins au niveau déclaratif, vers le respect des droits de l’Homme comme trame de fond.

Au niveau de la question du Sahara, cette orientation prend l’allure de tactique politique visant à orienter l’équilibre des forces en faveur des parties adverses du Maroc. L’Algérie et le Polisario n’ont cessé de l’utiliser comme une carte de pression.

Les objectifs assignés à cette tactique basée sur les droits de l’Homme sont multiples : – Casser les efforts du Maroc qui visent à améliorer son image. Cet objectif va au-delà de la question du Sahara dans la mesure où il est utilisé par le pouvoir algérien pour ne pas se laisser distancer par son voisin de l’ouest et désamorcer les pressions internes et internationales sur la situation des droits de l’Homme dans le pays. En décrédibilisant l’évolution de la situation des droits de l’Homme au Maroc, le pouvoir algérien se prémunit contre les comparaisons et les pressions qui donneraient l’exemple du voisin le plus proche. Et comme le signale le communiqué daté du lundi 15 avril 2013, diffusé suite à une réunion au Cabinet royal portant sur la question du Sahara marocain, « (…) la question des droits de l’homme a été méthodiquement instrumentalisée par les autres parties au différend, pour tenter de dévier le processus de négociation et de s’en servir comme prétexte pour ne pas s’engager résolument et de bonne foi dans la recherche d’une solution politique ».

Éterniser la perception de la question du Sahara comme un problème d’occupation et par conséquent de décolonisation.

« L’occupant » est ainsi automatiquement désigné responsable d’abus. Le schéma de « David contre Goliath » permet d’inscrire le conflit dans un registre émotif de résistance et de lutte contre l’occupation et l’injustice.

Fragiliser la position marocaine en prenant pour cible l’unanimité du peuple marocain sur la marocanité du Sahara qui fait figure de point de force du royaume.

La contestation au Sahara pourrait jouer le rôle de rouleau compresseur qui pourrait ouvrir une brèche dans l’unanimité nationale en mobilisant des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur des provinces du sud pour mettre en cause la politique marocaine sur la question du Sahara.

Se focaliser sur la nécessité d’élargir le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). L’objectif étant de parasiter l’écho suscité par la proposition marocaine d’autonomie et de détourner le processus onusien loin de la solution politique réaliste en le cantonnant dans des idéaux juridiques.

– Remobiliser et renouveler les soutiens traditionnels du Polisario notamment dans les pays occidentaux, particulièrement les Etats du nord de l’Europe. Cette catégorie de pays, influencée par la culture protestante et anglo-saxonne, demeure perméable à toutes les doléances qui puisent dans le romantisme révolutionnaire et les souffrances des peuples. Toutes ces considérations, doublées d’une ignorance totale des paramètres de ce conflit ont permis au Polisario de marquer des points dans cette sphère géographique, arrivant même à pousser le parlement suédois à adopter une résolution qui recommande à l’Etat de reconnaître la prétendue république sahraouie.

Les droits de l’Homme comme élément de fragilité

Il est indéniable que la situation des libertés et des droits de l’Homme dans le royaume a connu une amélioration sensible le plaçant à l’avant-garde de la démocratie au niveau régional.

Sans trop s’attarder sur l’énumération des aspects de cette évolution, il convient de souligner que ce constat n’est pas le fruit d’un simple raisonnement littéraire chauvin, mais il fait écho à un ensemble d’éléments concrets. D’ailleurs, et en rapport avec ces éléments, on s’interroge sur l’image internationale qu’aurait eu le Maroc en absence de ces focalisations sur la question du Sahara.

En effet, il faut reconnaître que la non-résolution du conflit du Sahara a freiné toute ambition légitime du royaume à normaliser son image comme un Etat respectueux des droits humains et des libertés. La politisation des droits de l’Homme au Sahara a fait que toute reconnaissance des avancées marocaines dans ce domaine est très vite considérée comme un cautionnement de la politique marocaine au Sahara.

Le jeu d’amplification médiatique des moindres incidents dans les provinces du Sahara a eu pour effet d’égratigner l’image du Maroc. Même si les adversaires du royaume ont échoué à élargir les prérogatives de la MINURSO pour englober la protection des droits de l’Homme, le débat qui s’est déroulé à cet effet et son adoption par de nombreux relais de cette revendication a pu parasiter les efforts du Maroc et orienter le processus de recherche de solution politique vers des questions de droits et libertés.

Le Maroc est prisonnier d’un dilemme qui touche même les Etats avancés démocratiquement à savoir la proportionnalité entre l’état de démocratie et le degré de critiques subies.

En effet, la liberté d’expression, de plus en plus perceptible dans le royaume, a permis au phénomène séparatiste d’avoir de l’écho médiatique. L’ouverture du Maroc à l’égard de plusieurs responsables et organisations qui ont ou pu visiter les provinces du Sahara et y rencontrer des individus représentant les différentes tendances a eu un effet contreproductif. Les témoignages conflictuels et négatifs étant les plus médiatisés.

Ce qui devait être un atout pour le Maroc se transforme ainsi en élément de fragilité. Que faire pour redresser cette situation paradoxale ?

Tout d’abord, il convient de rappeler que le choix de la démocratisation et de l’Etat de droit est irréversible. La Constitution de 2011 a inscrit le choix démocratique parmi les constantes qui ne sont susceptibles d’aucune mise en cause. De même, l’évolution du contexte international et régional constituera un facteur déterminant pour la consolidation de l’Etat de droit.

Aussi, en se montrant aussi bien intransigeant sur la justice de sa cause, que sur son attachement au respect des droits de l’Homme, le Maroc pourrait, à long terme, déconstruire les fondements des arguments de ses adversaires et l’instrumentalisation faite de la thématique des droits de l’Homme.

D’un autre côté, le discours politique et médiatique marocain gagnerait à mettre en avant le contraste entre la position marocaine, ouverte et décomplexée par rapport aux questions de séparatisme, et la position des autres parties, ne tolérant pas l’opinion dissidente. Le Maroc est dans son droit de se montrer plus offensif pour attirer l’attention sur la situation des Sahraouis dans le sud-ouest algérien.

Si la Constitution de 2011 constitue une matrice remarquable, il est néanmoins nécessaire de persévérer dans cette voie en procédant à une mise en œuvre démocratique de ses dispositions. La Constitution ne devrait pas être considérée comme une fin en soi, mais comme un corpus normatif qui sert de base théorique à une construction institutionnelle démocratique et moderne.

Chahid Bendriss

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