La violence autorisée, la violence hors registres et la connexion narcotique globale
Comme je l’ai défendu dans La Route Vers le Nouveau Désordre Mondial, la principale conclusion que l’on peut tirer d’anecdotes historiques telles que le récit sur Guillen Davila est la suivante :
« le secret dans le processus décisionnel des États-Unis, bien qu’étant parfois nécessaire pour notre sécurité, a évolué jusqu’à devenir une menace considérable pour la sûreté de ce pays. Les États-Unis ne manquent pas d’experts capables de nous montrer une voie raisonnable pour traiter avec le reste du monde. Mais nous souffrons d’une hiérarchie du secret faisant en sorte que ces experts puissent être – et seront – neutralisés par de petites factions ayant des objectifs nettement plus personnels, imprudents et parfois dangereux. Ce détournement de la puissance publique a créé ce que certains ont appelé, en s’inspirant [du Président James] Madison, un imperium in imperio [un État dans l’État].70
Avec ce livre, j’espère persuader les lecteurs de mettre leurs doutes de côté et de comprendre que, pendant soixante ans, les opérations secrètes – et en particulier les liens entre le monde de la drogue et celui de la sécurité – ont eu une influence très importante sur les relations des États-Unis avec le reste du monde. Et si mon exposé s’avère convaincant, nous devrions également nous demander si la catastrophe du 11-Septembre n’est pas aussi, dans une certaine mesure, la résultante d’une connexion entre le monde de la drogue et celui de la sécurité.
Aujourd’hui, il existe dans ce pays des personnes qui défendent bruyamment l’idée selon laquelle, dans une guerre contre le terrorisme, on ne devrait pas porter un regard critique sur les méthodes et les alliances choisies par notre establishment de sécurité nationale. J’espère parvenir à expliquer que les alliances en question ont conduit à engendrer la crise que nous traversons bien plus qu’à la résoudre.
Cependant, l’objectif principal de ce livre n’est pas de critiquer ou de choquer, mais de chercher à établir une meilleure Histoire pour ce pays, une Histoire qui serait moins contaminée par les forces jumelles que sont la violence autorisée et le monde de la drogue. J’ai déjà indiqué que la civilisation et le déni étaient étroitement liés, et le type de la première contribue à déterminer l’ampleur du second – une question sur laquelle je reviendrai dans ma conclusion.
Je souhaite présenter trois propositions sur lesquelles la gauche et la droite devraient pouvoir s’accorder: premièrement, notre pays est aujourd’hui sérieusement affecté par nos institutions de sécurité nationale au point que notre gouvernement constitutionnel en est altéré et – en réalité – menacé ; deuxièmement, ces relations [drogue/sécurité] sont associées avec des épisodes de violence autorisée – une violence ne pouvant pas être résolue par les procédures judiciaires et policières classiques; et troisièmement, aucun progrès ne sera possible dans la manière de traiter ces problèmes et ces menaces si ces interactions ne sont pas publiquement dévoilées et qu’on n’y porte pas remède.
À la fin de ce livre, nous analyserons ce que j’ai appelé jusqu’à présent « la violence autorisée » dans la perspective de ce que j’ai nommé « la connexion narcotique globale » : une connexion et un milieu qui impliquent en réalité bien plus que le seul trafic de drogue inter- national. J’ambitionne de présenter la connexion narcotique globale comme une forme de gouvernance hors registres jusqu’alors autorisée et exploitée par Washington. Les preuves contenues dans les chapitres suivants renforceront – je l’espère – cette dérangeante hypothèse.
Finalement, j’expliquerai que l’implication des agences de renseignement des États-Unis et de leurs opérateurs dans le trafic de drogue global, ainsi que dans d’autres réseaux criminels internationaux, mérite une plus grande attention dans le débat qui émerge aujourd’hui autour de la présence US en Afghanistan.
Notes
1. Il attacha une grande importance au fait que le plancher en bois de la voiture était à peine carbonisé, tandis que la porte en acier avait presque intégralement fondu.
2. J’ai relaté pour la première fois ce souvenir retrouvé dans mon poème intitulé Coming to Jakarta (New Directions, New York, 1989), pp.147-48, puis une décennie plus tard dans Minding the Darkness (New Directions, New York, 2000), p.138.
3. Alfred W. McCoy, The Politics of Heroin: CIA Complicity in the Global Drug Traffic (Lawrence Hill Books/Chicago Review Press, Chicago, 2003), p.xii, citant Scott, Coming to Jakarta, pp.147-48. Lorsque je me suis remémoré pour la première fois cet épisode avec McCoy, il me semble que son souvenir s’arrêtait à notre descente des escaliers de la résidence du vétéran « pour voir quelque chose ».
4. David E. Kaplan, « Spying on the San Diego Street Journal (and other Americans) », US News & World Report, 9 juillet 2006, […] – « Parmi les reporters du Street Journal, il y avait le jeune Lowell Bergman, dont les exploits ultérieurs en tant que producteur de télévision pour l’émission 60 Minutes ont été interprétés par Al Pacino dans le film Révélations. ‘Nous étions des cibles, avec de nombreuses autres personnes’, se souvient Bergman. ‘En 1971, nous avions tous quitté la ville.’»
5. George O’Toole, The Private Sector (Norton, New York, 1978), p.145, cité dans Peter Dale Scott, Deep Politics and the Death of JFK (University of California Press, Berkeley, 1998), p.269. Les États-Unis des années 1960 et 1970 étaient submergés par des violences populaires. […]
Peter Dale Scott