Par Sami Sherif
Premier doyen de la faculté des lettres de l’université de Tunis, l’histoirien et islamologue tunisien Mohamed Talbiil vient d’affirmer, au micro d’une journaliste d’une chaîne de télévision tunisienne privée, Asma Rihane dans le cadre de son émission “Fi Kilmtine”, qu’il avait reçu des menaces de mort et a indiqué que plusieurs organisations à vocation religieuse appellent à l’assassiner.
Il a annoncé par ailleurs que le refus du gouvernement de ne pas accorder l’autorisation pour la légalisation de son association internationale de Quranisytes musulmans dont la principale activité est la résistance pacifique contre l’extrémisme religieux, est une affaire politique.
Le professeur Talbi était entré au Conseil National pour les Libertés en Tunisie (ONG), qui n’était pas reconnue par le gouvernement de l’époque (1995). Il prône une lecture vectorielle du Coran qui consiste à prendre en compte l’intentionnalité du livre saint et non pas les jugements émis à une époque révolue.
Nous insistons pour que notre imminent professeur puisse bénéficier de l’attention requise de la part du gouvernement tunisien, et ce, pour lui garantir la sécurité, l’intégrité et la dignité qu’il mérite. L’équipe de Jwek.com lance un appel pour qu’une compagne de solidarité avec ce grand intellectuel tunisien, puisse être déclenchée le plutôt possible dans tous les pays du Maghreb.
Nous lui publions ci-dessous en signe de solidarité avec sa personne un texte des plus intéressant, celui où il avait voulu dire que le voile ne fut pas évoqué dans le Coran et que de ce fait, il serait facultatif. C’est dans nombre de textes de ce genre que notre imminent professeur avait montré du doigt la direction des lumières qui doivent nous éclairer en cette phase des plus délicate de notre histoire, marquée par un renouveau d’un obscurantisme ombrageant et handicapant notre marche vers le devenir heureux et salutaire de notre grande nation.
Sami Shérif
« Que dit le Coran sur le voile ?
Par Mohamed TALBI
Que dit le Coran sur le voile ? Rien. Mais strictement rien. Nulle part, il n’est question de la tête de la femme. Le mot « cheveux » (sha’ar) n’y existe tout simplement pas. Dieu ne dit ni de les couvrir ni de les découvrir. Ce n’est pas Sa préoccupation principale, et Il ne fit pas descendre le Coran pour apprendre aux gens comment se vêtir. Le terme ash’âr, pluriel de sha’ar, n’y intervient qu’une seule fois (XVI : 80) pour désigner le poil de certains animaux domestiques. Rien, donc, dans le Coran, ne dit aux femmes explicitement de se couvrir les cheveux.Le terme voile, dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui, ne fait pas partie du vocabulaire coranique. Le voile est une création de la charia. Le Coran emploie trois termes que l’on a interprétés, à notre sens, d’une façon abusive dans le sens de voile : hijâb ; jilbâb ; khimâr.Voici les premiers textes, qui concernent les épouses du Prophète exclusivement :« Croyants ! n’entrez pas dans les appartements du Prophète, sauf si vous êtes invités à un repas, sans être là à en attendre la cuisson. Si vous êtes invités, entrez. Le repas terminé, retirez-vous, ne vous attardez pas à converser familièrement. Cela importune le Prophète, et il a honte de vous le manifester. Mais Dieu n’a pas honte de la Vérité. Si vous demandez quelque chose à ses épouses, faites-le derrière une tenture (hijâb) : c’est plus pur pour vos cœurs et pour les leurs. Il n’est pas convenable pour vous d’importuner le Messager de Dieu, ou de vous marier avec ses épouses après lui. Cela, jamais ! Cela, auprès de Dieu, serait une grave offense. Du reste, que vous manifestiez quelque chose, ou que vous le cachiez, Dieu est, de toute chose, omniscient. Nul blâme pour elles en ce qui concerne leurs pères, fils, frères, fils de leurs frères, fils de leurs sœurs leurs servantes ou leurs esclaves. Et qu’elles craignent Dieu, Dieu qui de toute chose est témoin » (Coran XXXIII : 53-55). À propos de la descente de ce verset, des commentateurs rapportent cette anecdote, qu’il faut situer en mai 627, après la bataille d’Al-Khandaq : un jour, le Prophète était assis avec Aïcha (614-678) à ses côtés. Le chef des Ghatafân, qui avait participé aux côtés des Mecquois au siège de Médine deux mois plus tôt, fit brusquement irruption dans sa chambre. C’était la coutume et le Prophète en souffrait sans oser se plaindre. Aïcha avait alors 13 ans. Elle était une adolescente, une ravissante rousse. Ébloui par sa beauté, le chef des Ghatafân, selon l’usage courant, fit au Prophète une proposition d’échange avec son épouse qui, dit-il, était la plus belle créature du monde. À Médine, on spéculait alors sur sa mort pour se partager ses épouses. Aïcha fut accusée d’adultère et l’on jasait dans la ville. C’était trop. Il fallait mettre fin aux atteintes à l’honneur du Prophète et soustraire ses femmes aux convoitises dont elles étaient ouvertement l’objet. Le vase était déjà plein. Il déborda, et ce fut la descente du verset susmentionné, dit du hijâb, qu’il faut situer dans son contexte historique et social. Quelque temps après, dans la même sourate, un verset vint fixer, pour les femmes en général, y compris les épouses du Prophète, quelques règles de décence dans leur tenue vestimentaire hors du foyer, vu les conditions de vie à Médine :« Ceux qui offensent Dieu et Son Messager, Dieu les maudit ici-bas et dans l’au-delà, et leur a préparé un châtiment humiliant. Ceux qui offensent les croyants et les croyantes,pour des méfaits qu’ils n’ont pas commis, ils se rendent coupable d’une calomnie et d’un péché avéré. Prophète ! dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rapprocher sur elles une partie de leur mante (yudnîna alayhinna min jalâbîbihinna). Cela est plus sûr pour qu’on les reconnaisse. De la sorte, on ne les offensera pas. Et Dieu est Pardon et Miséricorde. S’ils ne cessent pas ? les hypocrites, ceux dont les cœurs sont malades et ceux qui propagent des rumeurs à Médine ?, nous t’inviterons alors à sévir contre eux, et ils ne t’y voisineront pas longtemps. Ils sont maudits. Partout où on les attrape, on s’en empare, et on les met à mort sans pitié. » (Coran XXXIII : 57-61).Il faut penser que ces mesures et ces menaces de sévir contre les dépravés de Médine n’avaient pas suffi pour moraliser les mœurs dans la ville, car les recommandations de décence furent reprises quelque temps plus tard dans la sourate Al-Nûr (« La Lumière ») :« Dis aux croyants de retenir leurs regards et de préserver leur sexe. Ils n’en sont que plus purs ainsi, et Dieu est bien informé de leurs agissements. Dis aussi aux croyantes de retenir leurs regards, de préserver leur sexe, de n’exhiber de leur beauté que ce qui habituellement en apparaît, et de rabattre leurs voiles sur leurs décolletés (li-yadhribna bikhumûrihinna ?alâ juyûbihinna). Qu’elles n’exhibent leur beauté que devant leur époux, leur père, beau-père, fils, beau-fils, frères, neveux par les frères ou les sœurs, leurs servantes, leurs esclaves, parmi les hommes, aux gens de leur maison non sujets à suspicion, et aux enfants qui n’ont pas encore découvert l’intimité des femmes. Qu’elles ne claquent pas des pieds pour attirer l’attention sur leurs beautés cachées. Revenez tous à Dieu ? croyants ! ? pour espérer être parmi les heureux » (Coran XXIV : 30-31).Pas un mot dans ces textes ne concerne la coiffure de la femme. Le Coran ne parle pas du voile.
Mohamed Talbi a publié cet article dans Jeune Afrique
en mars 2004, extrait du site officiel