Par sami SHERIF
Jamais la justice marocaine n’avait trébuché de la sorte sur une affaire d’accident de la circulation, une affaire qui normalement, ne serait pas devenue très particulière sans les péripéties qu’a connues le parcours qu’elle a pris depuis les premiers moments de l’accident. La presse indépendante et nombre d’associations de la société civile ne cessent d’évoquer cette affaire retentissante pour les irrégularités qui l’ont entachée. L’affaire risque de rebondir et nombre de têtes devraient en faire les frais.
Au départ, , il y a deux mois et demi, c’est un terrible accident de circulation causé par un adolescent issu d’une famille très riche conduisant une Jaguar et roulant à 5 h du matin à une vitesse de 140 km/h dans une artère d’un quartier chic de Casablanca. Le chauffard complètement ivre (selon les rares passants sur les lieux) a rattrapé avec sa voiture dans un laps de temps très réduit une petite Golf qui venait juste de prendre sa vitesse de croisière sur l’artère indiqué après y avoir accédé par une ruelle. Il la percute violemment de derrière l’éjectant à plusieurs mètres plus loin et la transformant ainsi en un simple amas de métal compressé. A l’intérieur de la Golf, l’on a découvert trois victimes, deux ayant perdu la vie sur le coup, la troisième est transportée à l’hôpital dans un état comateux. Ils se dirigeaient tranquillement à l’aéroport d’où Mr Bennani jeune étudiant, devait prendre l’avion pour les USA où il réside. Les corps de la maman et de la sœur du conducteur de la Golf ont été transportés à la morgue, quant à leur parent survivant, il ne reprendra conscience qu’à la fin de l’après-midi.
Comme dans pareils cas, la police s’est rendue sur les lieux et a dressé un procès verbal, mais celui-ci s’est révélé biaisé et ne reflétant nullement les vrais circonstances de l’accident. Le conducteur « saoul » est relâché en plus pour qu’il rentre se coucher tranquillement après sa folle nuit blanche devenant rouge et meurtrières pour une famille qui ne s’attendait pas à faire sa rencontre malheureuse. Au fait, rares les cas où un chauffard ivre tuant sur la route avait fait auparavant l’objet d’un traitement de faveur de ce genre. Mais l’affaire va connaitre des péripéties tout à fait particulières. La famille des victimes accablée par la disparition de deux de ses membre dans des circonstances sortant de l’ordinaire, s’est sentie les mains liées face à ces événements qui la dépassaient. Elle ne comprenait pas ce qui est arrivé. Le responsable de ce tragique accident est issu d’une famille fort aisée et influente dans le pays. C’est une famille connu comme ayant la main longue au niveau des tribunaux, de la sûreté nationale… tout leur est permis et octroyé. Le procès maquillé de ce jeune conducteur étant donc loin de refléter les faits avec véracité. Le conducteur ne fut astreint qu’à l’obligation d’assister à deux séances sans être inquiété par la détention, une simple caution de 10 milles Dhs lui a permis de bénéficier du privilège d’être entendu sans faire l’objet d’une détention provisoire comme c’est fait dans pareils cas!
Quelques jours après l’enterrement, un des membres du gouvernement et proche de la famille des victimes s’est trouvé parmi les visiteurs présentant leurs condoléances. Il est immédiatement mis au courant du parcours irrégulier qu’ont pris l’enquête policière et le procès de l’accusé et a promis aux parents des victimes de faire le nécessaire pour que les choses soient rétablies. C’est seulement à partir de ce moment, que le procès verbal a été revu, le responsable poursuivi et arrêté suite à son implication désormais incontestable dans cet acte criminel ayant causé le décès de deux personnes et laissant la troisième entre la vie et la mort.
La famille de l’accusé s’est trouvée dans une situation tout à fait nouvelle où le seul moyen pour elle de sortir de l’impasse est de faire pression sur la famille des victimes pour l’amener à renonce aux poursuites. Le père du chauffard accusé, ne pouvant admettre que son fils puisse être mis à la prison d’Oukacha, tenta ; en présence de l’un des juges du tribunal instruisant l’affaire, en l’occurrence un fidèle du club de football anciennement présidé par ce père, d’offrir 500 millions de centimes à la famille des victimes. Le refus qu’il reçu à sa tentative ne le convaincu nullement de renoncer à sa démarche: il augmenta son offre pour qu’elle
atteigne un milliard de centimes auquel il ajouta une proposition de fonder une institution au nom des défuntes en guise de compensations. Le survivant répondit niet, pour lui la loi devrait être appliquée et le jeune conducteur jugé. Il devrait répondre de ses actes devant la loi, écopé de la peine de prison et sanctions (retrait du permis à vie.. ) prévues par la loi et le code de la route.
La famille de l’accusé S’est mise alors en quête d’un octroi de liberté provisoire pour leur fils, même si sa libération auprès de la chambre correctionnelle et auprès de la cours d’appel lui a été refusée. C’est à ce moment qu’entre en jeu, le juge ami de la famille de l’accusé. Ce dernier, fort de son pouvoir, accorda la liberté provisoire au coupable lors de la seconde audience. Chose qu’il refusa avant la séance dans trois autres cas moins graves. Le malfaiteur ayant tué deux personnes dont l’une est médecin, quitta alors pompeusement sa cellule pour retrouver un foyer luxueux, seul le passeport lui a été retiré.
Pour la famille des victimes, cette libération provisoire accordée par ce juge n’était nullement justifiée. Elle la considéra tout simplement comme une pure insulte à l’égard des victimes et un coup dur à encaisser pour le survivant. C’est ce qui l’amena à porter plainte pour conflit d’intérêt et diffamation contre ce juge ayant lui-même mené le jour de l’enterrement, les tractations pour « régler à l’amiable » cette affaire avec la famille des victimes.
Interrogé par les membres du Conseil Supérieur de la Magstrature sur les raisons de sa présence à la demeure des victimes le jour même de l’enterrement, le juge argua que cette présence se justifiait par le devoir islamique de présenter des condoléances à une famille ayant perdus deux de ses membres! Avec cet argument purement fallacieux, le juge concerné n’a pu convaincre les membres du Conseil. Celui-ci décida alors la mise à pied immédiate du juge. L’affaire est confié alors à un autre juge; qui espérons le, sera cette fois-ci impartial.
Mais jusqu’à présent, l’accusé passe ses agréables journées chez lui dans le confort absolu. Tandis que le survivant de l’accident, Mr Bennani, ayant perdu toute sa famille, se trouve acculé à attendre les bonnes nouvelles depuis les USA ; sachant que cette affaire risque fort bien de traîner jusqu’à ce qu’elle puisse être jetée parmi les oubliettes des tribunaux.
Des histoires comme celle-ci deviennent ces derniers temps de plus en plus nombreuses et souvent les cas se ressemblent. A présent, personne n’est à l’abri des caprices des fils gâtés de ce pays. L’on est là devant une douloureuse réalité qui empêche les citoyens d’accorder un minimum de confiance dans la justice de leur pays. Cette affaire atteste fort bien que notre justice ne peut être responsable et saine qu’une fois une réforme adéquate soit promulguée pour amener les juges à appliquer la loi et pour leur garantir une autonomie leur permettant de gagner en transparence et en justice…
Sami Shérif