Par Laetitia GRTTI (TEL Quel ONLINE)
Émancipées, les Sahraouies le sont depuis des lustres. Héritières d’une société matriarcale, elles ont su conserver leurs droits bien avant la nouvelle Moudawana (droit de la famille marocain codifié en 1958). Visite guidée dans un univers profondément ancré dans le féminisme.
Ce que femme veut, Dieu le veut
« Si ta femme te dit de te jeter dans un puits, espère seulement qu’il n’est pas profond »énonce le dicton sahraoui, soulignant derechef le rôle primordial et partant, original de la femme dans ces sociétés nomades.
Certes, n’idéalisons pas ! Il existe chez les Sahraouis une image première des femmes qui est semblable à l’opinion dominante dans la plupart des cultures du monde, l’idée qu’elles sont physiquement moins fortes que les hommes. A la différence fondamentale« qu’argument est tiré de cette faiblesse pour justifier tous les moyens et les institutions capables d’assurer le pouvoir économique et social des femmes » explique l’ethnologue Hélène Claudot-Hawad.
Ce que confirme Elazza Likhili, de l’Union Nationale des Femmes Marocaines (UNFM) section Laayoune, « la femme sahraouie a toujours eu un rôle dans notre société et dans nos familles. Elle joue le rôle de l’homme dans une société nomade ». La même souligne, « qu’historiquement, la seule activité était le commerce, via les caravanes. Or, il fallait trois mois pour rejoindre Goulmime qui était le premier point commercial. Du coup, il incombait à la femme la gestion des biens et de la tente. C’est ce qui a donné sa force et son indépendance à la femme sahraouie ».
Ce raisonnement conduit à une représentation donnant au pôle féminin une nécessité vitale, image pour le moins marginale dans la pensée du monde méditerranéen. « La femme représente le chaînon stable et permanent de la communauté, le point fixe autour duquel évolue et s’agite le reste du monde » précise encore Hélène Claudot-Hawad.
Le Maroc, matriarcal jusqu’au 17ème siècle
Pour Batoul Daoudi, de la tribu des Aït Lahcen et responsable de l’Agence de développement social des provinces du sud, il faut remonter dans le temps pour comprendre cet état de fait. « N’oublions pas que jusqu’à l’arrivée des Beni Hassan au 17ème, venant d’Arabie, les tribus sahraouies, essentiellement senhaja, étaient régies selon le modèle matriarcal. Ce n’est qu’avec les Beni Hassan que les tribus basculeront peu à peu vers le modèle patriarcal, tout en gardant des caractéristiques senhajas, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes ». Ainsi, même si la législation islamique a gagné du terrain et se trouve adoptée partout, la construction du monde autour du principe féminin résiste encore sur le plan idéologique.
Pour preuve, Salka Benabda, de l’association Basmat Al Amal, section Laayoune précise que « depuis sa naissance, la fille sahraouie est sacrée, elle est placée au centre de l’attention familiale. D’ailleurs, insiste-t-elle, les tribus les mieux cotées sont celles qui prennent soin de leurs filles ». Ainsi, toutes sont unanimes pour dire que de l’enfance à l’adolescence, la fille sahraouie est choyée et qu’une fois devenue femme, son avis est primordial. Elle est d’ailleurs consultée pour toutes les affaires du foyer comme de la tribu. Ce que relève une fois encore notre ethnologue, « dans les assises ou les conseils, qui réunissent hommes et femmes d’une même lignée, la voix féminine pèse autant et même davantage que celles des hommes. Une décision ne peut être arrêtée que si les femmes sont d’accord ».
Autant dire que la femme sahraouie jouit d’un respect, tant familial que tribal, que peuvent lui envier bien des femmes du « dakhil ». C’est, à n’en pas douter, ce qui explique l’absence quasi-totale du phénomène de la violence conjugale chez les Sahraouis, « les relations de mariage empêchent les relations guerrières entre tribus, d’où le respect envers la femme, car la violenter, reviendrait à infliger cette violence à toute la tribu » détaille Batoul Daoudi.
Le divorce, fête de la liberté des femmes
Et a contrario, c’est aussi ce qui justifie le taux si élevé de divorces dans la région. La même souligne, « la femme sahraouie quitte le foyer à la moindre injure qui touche sa dignité ou en cas d’adultère ». Loin de lui valoir l’infamie, le divorce est souvent l’occasion de faire la fête. « On signifie à l’ex-mari que ce n’est pas la fin du monde, que la vie de son ex-femme vient à peine de recommencer » explique Batoul. Pour l’anthropologue Mohamed Naïmi, cette fête symbolise également l’acquisition d’une entière liberté, « quand elle se marie, la femme passe de la tutelle du père à celle de son mari. Une fois divorcée, elle devient libre. C’est précisément ce que l’on célèbre ».