Maroc : la démission des politiques même attendue, demeure toujours un vœux pieux !

Le  pays où les politiciens ne démissionnent pas !

 

 Yassir KAZAR
Yassir KAZAR

Par Yassir KAZAR

Tout a commencé avec une simple question que j’avais posé sur les réseaux sociaux : combien de politiciens marocains (élus et/ou membres de partis politiques) ont démissionné durant l’exercice de leurs fonctions suite à une crise politique grave ou à un scandale remettant en cause l’intégrité morale de l’homme politique en question ?

J’avais en tête le cas de Mohamed Ziane [1] mais je n’arrivais pas à trouver d’autres exemples… Après plusieurs recherches et discussions, aucun autre cas n’a été trouvé.

Derrière cette simple question sur l’acte de « démission » se cache des défaillances graves de la notion de responsabilité en particulier et plus généralement de la gouvernance au Maroc.

La démission et la responsabilité

En politique, la démission a des significations variées. Un politicien peut par exemple démissionner car il prend en compte la mise en cause irréversible de son intégrité à cause de conflits d’intérêts entre son poste et ses activités personnelles.  La démission peut signifier aussi que un politicien assume l’échec de la méthode qu’il est en train de mettre en place, méthode qui par exemple n’arrive pas à trouver une issue favorable à une situation de crise. Elle peut avoir lieu quand un politicien n’est pas d’accord avec la politique que mène le gouvernement en place et signifie ainsi sa volonté de ne pas contribuer à un tel projet.

Un tel acte, la démission donc, suppose  que la notion de « responsabilité » soit partie intégrante de la culture et de l’exercice politique aussi bien pour les politiciens eux-mêmes que pour les citoyens. En plus d’une responsabilité morale qui est -normalement- intrinsèque au métier, nos politiciens ont des responsabilités légales. D’ailleurs le terme « responsabilité » revient huit fois dans la nouvelle Constitution et on peut en citer quelques exemples :

Article 94

«Les membres du gouvernement sont pénalement responsables devant les juridictions du Royaume pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. La loi détermine la procédure relative à cette responsabilité. »

Article 102

«Les commissions concernées dans chacune des deux Chambres peuvent demander à auditionner les responsables des administrations et des établissements et entreprises publics, en présence et sous la responsabilité des ministres dont ils relèvent. »

Titre XII

De la bonne gouvernance

Principes généraux

Article 154

« Les services publics sont organisés sur la base de l’égal accès des citoyennes et citoyens, de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution. »

Pourquoi alors nos chers (au sens pécuniaire du terme) politiciens ne démissionnent pas ? Ce ne sont ni les scandales ni les déconvenues diplomatiques qui manquent. Encore moins les déclassements dans les différents indicateurs mondiaux, signe des politiques désastreuses qui sont en place depuis des années. Pourquoi donc le verbe démissionner ne se conjugue pas au Maroc ?

Tout d’abord, parce que dans un Etat de non-droit qui se respecte, nos politiciens ne se retrouvent jamais voire très peu devant la Justice. Il ne suffit pas que la notion de responsabilité soit morale ou écrite dans la Constitution. Elle doit être traduite par des procédures pénales qui sont respectées dans les faits.

Ensuite, il est intéressant de noter que le mot responsabilité se dit en arabe «مسؤولية» dérivé du verbe questionner سؤال. La notion de responsabilité implique ainsi que les citoyens questionnent les politiciens et que ces derniers sont tenus de répondre.

Cela suppose alors que les citoyens sont censés être capables d’identifier le périmètre de(s) responsabilité(s) de chaque politicien, d’évaluer son travail et de le questionner sur cette base. Sans cette capacité d’identification des responsabilités de manière nominative, les actions de mobilisation resteront inefficaces. Ceci est d’autant plus vrai que les actions qui ont eu le plus d’impact (depuis le 20 Février 2011) sont celles qui ont identifié clairement des responsables (l’affaire Moncef Belkheyat, l’affaire Mezouar, l’affaire Amina Filali où M. Ramid a été interpellé…. etc.)

Ceci nous renvoie à un autre problème qui est que le Marocain, moi le premier, reste prisonnier du terme-valise « Makhzen », sur lequel il rejette tous ses malheurs.  « Le Makhzen veut… », « Le Makhzen fait si… », « Le Makhzen fait ça… » etc. Le flou artistique du terme Makhzen arrange aussi bien ceux qui profitent de ce flou pour faire fructifier leur « business » que les citoyens qui se trouvent ainsi affranchis de toute réflexion pénible sur les mécanismes d’une telle entité.

Le prisme déformant du terme « Makhzen »

Dès le XXe siècle la structuration du Makhzen a commencé à se complexifier : « […] au Maroc par exemple, jusqu’au XXe siècle. Ce makhzen, expression d’une étiquette très étudiée et d’un formalisme de plus en plus subtil, s’uniformise au Maghreb et ne semble nullement dépendre de la faiblesse intrinsèque d’une entité étatique, comme celle par exemple des Zayyanides. D’une manière presque générale, la structure gouvernementale était tripartite : un groupe très restreint, formé de deux ou trois personnes, s’occupait réellement de la politique extérieure ; ce rôle était dévolu au wazir-s et hajib-s, qui par ailleurs le devait soit à une réelle influence politique sur une partie de la population, soit à une fidélité à toute épreuve à la personne du souverain (c’était le cas des affranchis), soit à leur qualité d’étranger ne présentant donc aucun danger pour le trône ; la mise en forme de cette politique était confiée à la chancellerie, où différentes sortes de katib-s se spécialisaient selon les destinataires de la correspondance, avec souvent une division du travail entre la rédaction elle-même (insha) et le paraphe (alama) ; les moyens de cette politique était administré par des préposés au fisc et à l’intendance (Ashghal ou a’mal) ; politique fiscale et politique militaire étaient intimement liées parce que souvent la perception des impôts faisait partie du service militaire ; des impôts étaient perçu en nature, gardés dans des entrepôts et servaient au ravitaillement des soldats. » [2]

Le site Wikipédia en donne une définition plus moderne : « Avant l’indépendance marocaine, le Makhzen était l’appellation du gouvernement du sultan du Maroc, alors sous protectorat français. Le Makhzen était un ensemble d’institutions régaliennes »« Depuis l’indépendance et la construction de l’État marocain moderne, avec des institutions modernes (justice, DGSN, gendarmerie royale, Forces armées royales, protection civile, etc…), l’institution traditionnelle du Makhzen a cessé d’exister ; le terme devint alors utilisé pour désigner les aspects les plus traditionnels et vieillis du fonctionnement de l’État au Maroc. »« Lors des manifestations de 2011, le terme est utilisé pour désigner les fonctionnements archaïques et traditionnels du Système et de la Monarchie et le pouvoir décisionnel des conseillers du roi et des hauts fonctionnaires nommés par ce dernier. » [3]

Mais la définition de Wikipédia me semble éloignée de l’entité contre laquelle une partie des Marocains semblent vouloir lutter. De plus il est nécessaire aujourd’hui de s’éloigner de la définition historique pour en proposer une nouvelle.  J’ai essayé de formuler une définition qui ne demande qu’à être discutée :

Le Makhzen est un ensemble de réseaux de notables, d’hommes politiques et d’hommes d’affaires liés par des liens familiaux et/ou des intérêts communs.  ils profitent des institutions et des moyens humains, financiers, légaux et illégaux -vis-à-vis du droit marocain et international- pour conserver leurs pouvoirs et leurs privilèges en influant sur le  processus – déjà opaque- de prise de décision politique au Maroc et ceci en l’absence de contre-pouvoirs forts (justice et médias indépendants, oppositions effectives …etc.).

Posée ainsi, cette définition fait ressortir les éléments suivants :

  1. On ne peut pas parler d’un noyau central de pouvoir, mais d’une multiplicité de centres de décision au Maroc.
  2. A partir du moment où les moyens utilisés sont aussi bien légaux qu’illégaux, le Maroc ne peut pas être considéré comme étant un Etat de droit.
  3. Ce système perdure grâce à l’opacité des mécanismes de prise de décision politique.

Concernant ce troisième point, le Premier Ministre lui-même reconnaît que le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre quasi-inexistante :

Abdelilah Benkirane ne cherche même plus à cacher son désarroi. Il avoue désormais (à mots à peine couverts) le manque de cohésion entre les membres de son M. Elyazghi12gouvernement, l’ingérence des conseillers royaux dans la gestion des affaires publiques et les difficultés rencontrées pour combattre la corruption et l’économie de rente. Pour se justifier, l’homme fort du PJD met de côté son ego et affirme n’être qu’un « simple Chef de gouvernement », laissant ainsi entendre que sa marge de manœuvre est extrêmement réduite et que le Palais garde la main sur les principaux secteurs de la vie publique. [4]

4. La prédation économique est le moteur de l’entité qu’est le Makhzen.

5. Il semble donc nécessaire de développer les contre-pouvoirs au Maroc :

  • Proposer une information alternative, à même de palier aux faiblesses du « 4ième pouvoir » dans sa structuration actuelle afin de pouvoir investiguer et analyser les quatre premiers points cités plus haut.
  • Faire pression pour que le Maroc respecte le Droit International, c’est-à-dire les différentes Conventions Internationales dont il est signataire. La diaspora marocaine qui représente un poids économique  important devra se mobiliser dans ce sens [5]*.

Ces éléments pointent les manquements graves en termes de « Gouvernance » au Maroc.

Gouvernance, alternatives et révolution

Les défaillances pointées plus haut doivent être analysées dans un cadre plus global qui est celui de la Gouvernance, cette dernière étant : « la manière dont le pouvoir est exercé pour gérer les ressources nationales économiques et sociales consacrées au développement.» [6]

dimensions_gouvernanceIl est possible de définir trois principales dimensions du concept de gouvernance (Cf. Schéma ci-dessous [7])

 […] La seconde dimension met l’accent sur un ensemble de principes de gouvernance bien connus : « participation » ; « inclusion » ; « transparence » et « responsabilité ».En ce qui concerne la troisième dimension, elle souligne l’aspect pluridisciplinaire du concept de gouvernance, qui recouvre plusieurs thèmes de gouvernance : (i) la démocratisation ; (ii) la promotion et la protection des droits de l’homme ; (iii) le renforcement de l’État de droit et de la justice ; (iv) le renforcement du rôle de la société civile ; (v) la réforme de l’administration publique, de la gestion des finances publiques et de la fonction publique ; (vi) la décentralisation et la gouvernance locale. [8]

Les modèles d’analyse mettent généralement les acteurs non étatiques au cœur des relations de gouvernance comme le montre  schéma [9] ci-dessous :

Or, nous arrivons aujourd’hui à une situation extrêmement conflictuelle d’exclusion mutuelle : d’un côté un système de gouvernance défaillant qui a enfanté un gouvernement incapable de fournir d’autres réponses que l’approche sécuritaire face aux revendications des citoyens, et qui ne dispose d’aucun levier pour faire face à la prédation économique qui asphyxie le pays. De l’autre une opposition qui, sans avoir une masse critique qui luimodele_gouvernance donnerait la légitimité du nombre, rejette le système actuel mais est incapable de fournir et/ou de s’inscrire dans un projet de société (peut-être par manque d’intellectuels éminents capables d’une telle production) qui emporterait l’adhésion d’une grande part de la population.

Les membres du mouvement du 20 Février ont toujours insisté sur le fait qu’ils ne souhaitaient pas devenir un parti politique. C’est un choix qui se respecte parfaitement et qui a d’ailleurs permis au mouvement de ne pas se faire happer à la naissance par des desseins opportunistes. La question reste cependant posée : Quelle organisation politique est à même aujourd’hui de porter les revendications du mouvement dans l’arène politique ?

On ne peut pas faire l’impasse sur cette analyse juste parce que le système en place semble « irréformable » ou « vicieux ».  J’en veux pour exemple l’opposition en Egypte qui a été moteur de la révolte. Cela dit, elle est aujourd’hui prisonnière d’une posture de « s’opposer pour s’opposer » car elle a été incapable de fournir une vision claire du projet de société qu’elle défend et qui lui aurait permis de remporter les suffrages.

Vouloir changer radicalement un système quand on a une mobilisation massive peut avoir du sens. Encore faut-il avoir une alternative à proposer. Vouloir le faire quand on n’est (plus) qu’ une centaine d’individus ne servira que les intérêts des organisations qui ont déjà un nombre important de militants disciplinés et regroupés autour d’un projet commun (ce qui s’est produit en Egypte et en Tunisie).

En cette fin 2012, au moment où la crise économique s’accentue,  où les affrontements entre manifestants et force de l’ordre deviennent de plus en plus violents, où un énième appel à sortir manifester le 22 Janvier prochain (dont l’authenticité est remise en question au moment où ces lignes sont écrites) fait le tour de la toile,  la suite des événements dépendra en 2013  en partie du choix entre deux approches que feront la majorité des individus :

Une approche à long terme, où une  jeunesse  intègre (**) acceptera de rentrer dans l’arène politique et d’expérimenter différentes options jusqu’à trouver une offre idéologique couplée  à une action terrain qui remporterait l’adhésion des prochaines générations. L’une des toutes premières tentatives post 20 Février est certainement le parti pirate au Maroc [10].

Une autre approche à court terme est celle de la rupture avec le système actuel. Une telle conception ira certainement en se radicalisant car chaque jour qui passe voit s’amoindrir les chances qu’un dialogue puisse être établi entre le gouvernement et les manifestants. A supposer qu’une  telle situation débouche sur une révolution,  l’organisation politique qui semble aujourd’hui avoir une présence massive et organisée sur le terrain lui permettant d’emporter un suffrage est bien celle d’Al Adl Wal Ihsane.

La question est donc bel et bien : quelle(s) approche(s) permettrai(en)t de faire éclore une bonne gouvernance dans laquelle la « responsabilité » (et donc la démission) serait centrale pour que le jeu politique reprenne tout son sens ?

(*) : La diaspora Marocaine est l’une des quatre plus grande d’Afrique en termes de pourcentage du PIB.

(**) : Je ne parle pas uniquement des jeunes du mouvement du 20 Février mais aussi de celles et ceux qui souhaitent changer les choses sans pour autant porter la casquette du mouvement.

Références:

[1] : Le grand oral de Mohamed Ziane. Emission Luxe Radio

[2] : Abdallah LAROUI, L’Histoire du Maghreb : Un essai de synthèse, Centre Culturel Arabe, Casablanca, 2011, Distribution, p. 194

[3] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Makhzen_%28Maroc%29

[4] : http://www.telquel-online.com/En-couverture/PJD-Monarchie-Fin-de-la-recreation/535

[5] : Diasporas et Transfert financiers des migrants, Atlas Géostratégique 2013.

[6] : Rapport « Gouvernance et développement », la Banque mondiale, 1992.

[7][8][9] : Analyse et prise en compte de la gouvernance dans les interventions sectorielles – Commission Européenne.

[10] : http://partipirate.ma/ le site n’a pas été mis à jour depuis un moment.

P.S. : Ce texte est une modeste tentative qui, loin du chaos des réseaux sociaux et du diktat de l’instantané, ne cherche ni à convaincre ni à dicter une ligne de conduite à suivre mais uniquement à réfléchir sur les différents scénarios qui se profilent pour l’avenir du Maroc.

Yassir Kazar

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