Par Sami SHERIF
Je me rappelle qu’au début des années 1970, moi qui n’était encore qu’un simple sympathisant de l’UNEFP, Si Lachguer et Si Sassi, étaient des amis intimes qui ne se séparaient jamais à la Faculté de Droit de l’Agdal à Rabat. Tous deux des militants convaincus des thèses d’une frange révolutionnaire officiellement non affirmée au sein de l’UNFP durant ces années difficiles, ils menaient une lutte au quotidien pour marquer la
présence de leur organisation sur la scène estudiantine où celle-ci allait être supplantée par un extrémisme idéologique et politique très violent, celui des frontistes. Le congrès extraordinaire qui allait sceller la rupture avec l’ancienne organisation et ouvrir une perspective nouvelle rompant avec nombre d’anciens unefpeistes, les uns pour leurs pratiques syndicalistes et politiques bureaucratiques (courant des défunts Mahjoub Ben Saddik et My Abdellah Ibrahim), les autres taxés
d’être des utopistes voulant renverser le régime par la violence (courant de Fkih Basri), n’avait pas encore eu lieu.
Si Lachguer et Si Sassi, ne ménageaient aucun moyen pour lutter contre la présence à la Faculté de Droit, des agents de l’autorité de Basri, alors Secrétaire d’Etat à l’Intérieur. Même le jet de pierres à l’endroit de ces représentants de la sécurité était pratiqué par ces militants profondément convaincus de la lutte contre les symboles d’un régime paraissant chancelant après les deux coups d’Etat des militaires.
Cette image de ces deux jeunes militants que je devançais à peu près d’un an ou deux, m’est revenue aujourd’hui à l’esprit. C’est aujourd’hui, que Mr. Lachgar est élu par ses paires comme Secrétaire Général de l’USFP, mais c’est aujourd’hui que cette famille de militant a décidé de rompre avec toute une histoire, celle d’un parti
politique historique dont les luttes et les souffrances avaient contribué à certaines ouvertures du régime marocain.
Les deux amis s’étaient à vrai dire séparés d’abord professionnellement, puis politiquement. Il faut reconnaitre un fait sournois dans
nos conditions d’humains, celui de l’influence du choix professionnel sur les positions politiques de chacun de nous. Être professeur à la faculté acquiert nécessairement un certain confort, celui d’avoir un revenu stable et régulier pouvant permettre de s’accrocher à ses convictions, même si le choix de cette profession paraitrait lui-même dicté par un souci de rester fidèle à telle ou telle ligne politique. Par contre, être avocat, dans une profession aléatoire où le revenu n’est pas quotidien et sûr, implique des rapports commerciaux qui font place à la ruse et à l’audace politicienne qui ne fait pas toujours place à l’engagement moral de droiture, et qui comporte une expression d’un désir de gains matériel et symbolique immédiats. C’est pourquoi Lénine; lui-même avocat dans ses débuts, répugnait les professionnels du barreau! Tout en reconnaissant qu’une frange de ces professionnels garde intactes leur moralité, force est de reconnaître que de par ses comportements et son discours, Si Lachgar ne peut pas s’apparenter à cette frange minoritaire au sein du métier. Aussi s’avère-t-il presque acquis le fait que Si Sassi; en choisissant une carrière d’enseignant, voulait s’épargner les risques professionnels sur ses convictions et que Si Lachgar avait opté pour le barreau parce qu’il avait un penchant pour le commerce où des opportunités de diverses natures ne manqueraient pas!
Si Sassi, est à présent au sein du Parti Socialiste Unifié et parait continuer le même trajet qu’il avait choisi au temps où il était encore étudiant. La formation dont il a contribué avec nombre d’autres militants historiques de l’USFP, à dessiner la ligne politique opposée à l’absolutisme, se compte à présent parmi les formations de gauche qui animent principalement le mouvement contestataire du 20 Février.
Si Lachgar avait pris une autre voie, celle prise avant lui par d’autres figures historiques de l’Unefp et par la suite de l’Usfp, entre autres Mrs El Yazighi et Radi. Ces deux leaders du parti avaient sûrement contribué à l’émergence au sein de cette organisation de gauche d’une génération de militants et de responsables dont l’opportunisme est presque visible, mais que l’on s’efforce de cacher à travers de slogans, rappelant les positions historiques de l’Unefp des années 60. Il fallait que ça prenne cette direction : nombreux au sein du parti qui appelaient à sa réintégration intégrale sur la scène politique configurée artificiellement par feu Hassan II. Ils estimaient que leur parti était le seul à présenter des sacrifices et que d’autres en récoltaient les bénéfices.
Aujourd’hui, c’est cette ligne qui l’emporte au sein de l’Usfp, comme l’a emporté une certaine ligne opportuniste du même genre, au sein d’un parti politique historique non moins important que celui-ci (l’Istiklal avec Chabat). Ce 16 décembre 2012, avec l’élection de Mr Lachgar à la tête de ce célèbre parti, une page de l’histoire est tournée. Le parti de Ben Barka, Yousfi, Fkih Basri, Abderrahim Bou3bid, Lahbabi et nombre d’autres célèbres personnes, n’est plus ! Si Sassi et Si Lachgar ont grandi au sein de l’UNFP, puis il ont atteint leur lucidité (à chacun la sienne!) au sein de l’USFP, l’un est resté sur sa ligne, celle du militantisme sincère et fidèle aux principes, l’autre s’est laissé emporté par la nouvelle vague du militantisme rétributeur et opportuniste. L’on y voit deux anciens amis unis devenus deux rivaux se répugnant l’un l’autre! En fait, il s’agit de deux profils différents d’une même génération, représentant chacun une école politique : celle de l’Engagement politique conduit par la morale et celle du Machiavélisme dans tous ses états!
Sami Shérif