Egypte : le pays s’installe dans la crise politique

Par Sami SHERIF
Les oppositions libérale et de gauche qui s’attendaient à un recule du Président Morsi sur sa position quant à sa déclaration constitutionnelle et  son projet de constitution, viennent d’être déçues et se trouvent acculées à prolonger leur campagne de protestation. Le président  Morsi  vient de réaffirmer en effet ce  jeudi que les pouvoirs élargis qu’il s’est attribués par décret étaient « temporaires » et qu’ils ne seraient plus valides après l’adoption de la Loi fondamentale, attendue dans les semaines à venir.
« Je ne tolèrerai plus que des manifestants tuent d’autres et que des bien publics soient endommagés et pillés et je n’admettrai pas que les choix exprimés par le peuple d’une manière démocratique soient bafoués » a-t-il martelé avant de proposer le dialogue avec l’opposition. Le Président est ainsi resté campé sur ses positions initiales, n’a consenti la moindre concession et s’est cru en mesure de convaincre les égyptiens de « sa bonne volonté », éloignant toute intension d’instaurer la dictature.  « C’est une étape exceptionnelle, nous sommes dans une phase de transition ; et cette déclaration constitutionnelle est temporaire et va se terminer dès que le peuple approuve la nouvelle Constitution », a déclaré le président islamiste dans une interview à la Télévision officielle égyptienne. M. Morsi faisait référence au décret du 22 novembre par lequel il a placé ses décisions et la commission constituante à l’ abri de la justice , pour éviter notamment tout blocage du processus constitutionnel par des recours en justice. La commission constituante, dominée par les islamistes, a, elle, entamé dans la journée le vote d’un projet de Loi fondamentale, en maintenant la référence aux « principes » de la charia comme « principale source de la législation », qui y figurait déjà sous Hosni Moubarak.
Manifestation anti islamiste à la Place Tahrir

L’article 2 du projet de Constitution voté par la commission prévoit que les « principes de la charia » constituent la « principale source de la législation », une formulation assez consensuelle en Egypte, qui ne fait pas des préceptes au sens strict de la loi islamique la source unique de la loi. L’article a été adopté à l’unanimité. D’autres dispositions non encore votées, pourraient permettre d’élargir les domaines d’ application de la charia. Les fondamentalistes salafistes souhaitaient ainsi rendre la référence à la charia plus contraignante. Mais de nombreux libéraux et nationalistes, de même que l’église copte orthodoxe -qui représente 6 à 10% de la population- qui ont boycotté l’assemblée constituante,  avaient dit ne pas vouloir aller au delà de la formulation de l’ ancienne Constitution.

Certaines dispositions sur la liberté d’ expression ont également soulevé l’inquiétude dans les milieux de la presse et les défenseurs des droits civiques. Les quotidiens al-Masry al-Yawm et al-Watan, ainsi que les hebdomadaires al-Ousboue et al-Fajr ont ainsi décidé de ne pas paraître mardi prochain pour protester contre le manque de liberté de la presse dans le projet de Constitution. En début de soirée, la moitié des 231 articles avait été adoptée. Le projet une fois voté sera transmis au président Morsi, qui doit le soumettre à référendum sous deux semaines. Ce vote d’un projet en panne depuis des semaines en raison de profondes divergences entre islamistes et non-islamistes, a été annoncé mercredi à la surprise
Violence sur la place Tahrir entre pro et anti Morsi

générale, alors que le pays traverse une grave crise politique déclenchée par le renforcement des pouvoirs du président, accusé de se comporter en dictateur, et que de nouvelles manifestations sont attendues. Les anti-Morsi qui occupent la place Tahrir au Caire depuis une semaine dénonçaient une procédure hâtive, qui aggrave les tensions. »Il n’est pas logique de passer au vote alors que le pays est aussi divisé », affirmait un manifestant, Abdel Nasser Zidane , un chômeur de 42 ans. « Les Frères musulmans font leur propre Constitution, pas celle de l’Egypte », assurait de son côté Tamer Harby, 30 ans.

L’Egypte est secouée depuis plusieurs jours par de nombreuses manifestations, assorties parfois de violences qui ont fait cinq morts et plusieurs centaines de

Violence au tour du Palais Présidentiel

blessés. Certains opposants appellent à une nouvelle manifestation anti-Morsi vendredi place Tahrir, tandis que les islamistes préparent de leur côté un rassemblement ailleurs près de la mosquée principale du Caire, loin de la célèbre place Tahrir  rassemblements de soutien au président samedi.
Les Frères ont toutefois indiqué jeudi que leur manifestation au Caire ne se tiendrait pas sur Tahrir, contrairement à ce qui avait été annoncé, laissant entendre que les risques d’affrontements étaient trop élevés.

Commentant ces manifestations, le président islamiste s’est réjoui du fait que le peuple réagisse de la sorte. « Tout cela est positif , le peuple exprime son opinion, dit ce qu’il pense, le climat est sain ». « Je vois que l’opposition exprime ses idées et les partisans (du pouvoir ) disent leur opinion et assument leurs responsabilités », a-t-il encore remarqué.

Mais cette réflexion du Président ne peut cacher le fait évident  que l’Égypte est désormais divisée plus qu’elle ne l’avait jamais été. Les conditions et les ingrédients de confrontations violentes entre « pro » et  « anti » islamistes, sont en train d’être réunies et amplifiées. En prévision de nouvelles émeutes et confrontations, les blindés et les soldats de la Garde Républicaine ont pris position tout au tour du palais présidentiel ce jeudi matin. Le pays s’installe dans l’une des grandes crises et semble s’y engouffrer de plus en plus.

Sami Sherif

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