Algérie : pour l’éminent Professeur Ahmed Mahiou, il y a lieu de « s’inquiéter pour la démocratie en Algérie… »

L’Éminent Professeur Ahmed Mahiou

Par Sami SHERIF

Jamais un débat n’a été aussi franc et conséquent que celui tenu  par le cercle «Défendre l’entreprise», un think tank indépendant initié par le quotidien Liberté lors d’un déjeuner-débat à l’hôtel Sofitel d’Alger, le samedi dernier.

Le débat est sorti de l’habituel tant par les qualités de l’invité d’honneur qui n’était que l’éminent professeur Ahmed Mahiou, que par les précieux profils des membres de l’assistance. Il est sorti de l’ordinaire aussi par le thème choisi en rapport avec l’avenir du pays : «Que peut attendre la communauté économique algérienne d’une prochaine révision de la Constitution et de quel mode de gouvernance a-t-on besoin ?» Il est vrai que le thème du jour a trait à l’entreprise et à la chose économique à la lumière de la prochaine révision constitutionnelle dont on ne connaît pas encore les contours, mais quand on parle de la Constitution on ne peut que déborder sur ses aspects éminemment politiques.

Cet enchevêtrement des questions ainsi choisies, n’avait pas échappé à l’analyse faite par le l’éminent professeur Ahmed Mahiou, qui est agrégé

Sofitel Alger

des facultés de droit et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, directeur de recherche émérite au CNRS et ancien directeur de l’Institut de recherches et d’études sur le Monde arabe et musulman (Iremam) à Aix-en-Provence. Sa valeureuse intervention sous forme d’un véritable cours magistral en la matière, fait d’un verbe aussi simple que clairvoyant, a cerné toutes les révisions constitutionnelles depuis l’indépendance, en exposant les points forts et les faiblesses de chacune d’elles.

Pour lui, si la scène constitutionnelle en Algérie n’a dès le départ pas répondu aux aspirations du peuple algérien et aux rêves et espérances des deux millions de martyres pour l’indépendance, c’est parce que le premier texte l’avait biaisé  au lendemain de la victoire sur le colonialisme. De surcroît, la révision constitutionnelle de 2008, qui avait permis au président Bouteflika de briguer un troisième mandat, est celle, qui a eu «une portée beaucoup

Carte Administrative Algérie 2001

plus importante en remettant en cause l’équilibre des pouvoirs». Ayant été adoptée d’en haut, par les seules chambres parlementaire sans le moindre débat, la nouvelle Loi fondamentale est née d’un processus autoritaire pour institué un régime de confusion des pouvoirs, a-t-il affirmé. De son avis, avec ce texte, l’on « n’est même pas devant le modèle du régime présidentiel français ou du parlementaire à l’anglaise, ni dans le modèle américain, mais on est allé beaucoup plus loin dans le présidentialisme, où le chef de l’Etat concentre tous les pouvoirs, y compris celui de dissoudre le Parlement ». Quant au Premier ministre, sans prérogatives, il n’est en fait; selon notre professeur, qu’un ministre parmi d’autres. Les amendements apportés à la Constitution en 2008 de «bouleversement» ont ainsi, mis fin à la limitation des mandats et au dualisme de l’Exécutif, le Président et le chef du gouvernement. Les prérogatives de ce dernier, souligne-t-il, ne sont plus telles qu’on pouvait les concevoir. Le Premier Ministre  pouvait dans le temps présenter son programme devant le Parlement, aujourd’hui avec ces amendements, il n’a qu’à se contenter de celui du le chef de l’Etat qui pourrait même le cas échéant se passer de ses services en le court-circuitant, précise l’ancien doyen de la faculté de droit d’Alger. «Une pareille situation, selon lui, pourrait déboucher sur des blocages en supposant que la majorité qui arrive au Parlement est en opposition au programme présidentiel.»

Mettant l’accent sur les incohérences du système politique algérien, Ahmed Mahiou dit «s’inquiéter pour la démocratie en Algérie». A cet effet, il évoque la création d’une multitude de partis politiques qui fractionnent les opinions, alors qu’on pouvait contrôler et avoir un paysage politique fait de partis sérieux. «Ce qui se fait, c’est l’anti-démocratie», souligne l’invité de think tank de Liberté. Quant à la position du pouvoir algérien à propos du  régionalisme, le Professeur Agrégé des Facultés de Droit a indiqué que «l’Etat s’en méfie toujours, pour des raisons historiques, il a peur du wilayisme et de la cession d’une telle ou telle région du pays».

En organisant cette manifestation des plus opportune en  ce 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le Quotidien « Liberté » a lui-même tenté de sortir; ne serait-ce que pendant un moment de réflexion conséquente, de  la léthargie politique et économique qui traverse ce pays condamné à vivre depuis sa délivrance du colonialisme sous un régime autoritaire, tenu par une poignée de généraux ne voulant guère s’effacer pour laisser la société algérienne choisir ses gouvernants et son projet de société, capable de lui permettre d’entrevoir et d’emprunter la voie du progrès et de l’épanouissement de ses citoyens.

Sami Shérif

 

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