Déjà, lors des élections législatives de mai 2012, le taux de participation avait donné le signale d’alarme quant à l’inertie de la vie politique en Algérie. Les fraudes électorales quant à elles, avaient montré au grand jour la tentative des autorités de décryptage des résultats des élections et leurs acharnement à vouloir structurer la scène politique de manière artificielle et de garder ainsi la main haute sur l’avenir du pays.
Plus de 21 millions d’électeurs ont voté, ce jeudi, pour les conseils municipaux et départementaux. Une fois encore, le scrutin semble sans enjeu pour une majorité d’inscrits et le véritable vainqueur est d’ores et déjà connu. C’est en fin de compte l’abstention qui l’emportera, mais ne serait-il pas au dépend de la démocratie réelle et conséquente?
Voter ou s’abstenir ? Pour de nombreux Algériens, la question ne se pose même plus. Le Front de libération nationale (FLN), le parti présidentiel au pouvoir depuis cinquante ans, a eu beau encourager les 21 millions d’électeurs à aller voter, ce jeudi, pour les élections locales en accordant « une autorisation spéciale d’absence rémunérée » à tous les salariés, rien n’y a fait. À 13h, heure locale, le taux de participation était de 14,63 % contre 19 % en 2007 à la même heure, selon le ministère de l’Intérieur. Exit les taux de participation brejneviens des années 1990 : le premier parti politique en Algérie est désormais l’abstention.
« S’abstenir est un acte politique en Algérie », analyse pour FRANCE 24 Lahouari Addi, sociologue et professeur à l’Institut de sciences politiques de Lyon. « De manière générale, les Algériens savent que les partis politiques sont artificiels et qu’ils ne sont pas représentatifs, même si les élections ne sont pas forcément truquées », ajoute-t-il.
Les 52 formations politiques et les 197 listes indépendantes en lice n’ont pourtant pas lésiné sur les moyens pour séduire les électeurs. Meetings, spots publicitaires dans les médias incontournables, collages massifs d’affiches – parfois de manière sauvage – permanences, etc. En vain. Les Algériens n’ont pas été convaincus.
« Les mairies n’ont pas de pouvoirs directs », insiste le sociologue. « Pour refaire un trottoir défoncé à Oran, l’autorisation doit venir du ministère de l’Intérieur, à Alger. Les Algériens ne veulent tout simplement pas participer à la mascarade électorale », tranche-t-il.
Autre facteur important pour expliquer le phénomène : le profil des prétendants. En épluchant les listes, le quotidien arabophone Ennahar a constaté que les candidats n’étaient pas toujours des enfants de chœur. Loin de là. Dans son édition du 11 novembre, le journal a ainsi révélé que plusieurs têtes de liste des villes de Khenchela et de Tlemcen avaient été condamnées pour viol sur mineure, détournement de biens publics et trafics en tous genres. Tous graciés par le président Abdelazziz Bouteflika en 2011, selon Ennahar.
« Les scrutins locaux attirent des opportunistes et des personnes corrompues qui y voient le moyen de s’enrichir », confirme Lahouari Addi. « Quelque 80 % des élus sont impliqués dans des affaires de détournement de biens fonciers. Il n’y a pas de notion de service public. »
Le profil de l’abstentionniste semble, lui, de plus en plus facile à établir. D’après une enquête de l’institut Okba Com menée au lendemain des élections législatives de mai et publiée par le quotidien algérien Liberté, 76,9 % des abstentionnistes avaient entre 18 et 39 ans.
« Les Algériens qui vont voter pensent que, s’ils ne le font pas, ils ne pourront pas refaire leurs papiers d’identité ou obtenir un extrait d’acte de naissance à la mairie », insiste le sociologue. C’est une peur infondée. On ne peut pas refuser des papiers à près de 80 % de la population ! « , ironise-t-il.
Reste que l’issue du scrutin laisse peu de place au suspense. L’omnipotent FLN est d’ores et déjà assuré d’une victoire, qu’il souhaitait « écrasante ». Mais, pendant toute la campagne, si la majorité des formations en lice ont mis en garde contre le risque de fraude, seul le chef historique du Front islamique du salut (FIS), aujourd’hui dissout, Abassi Madani a appelé, depuis son lieu de résidence qatari, au « boycott massif de ce scrutin ».
« Même si on ne sait pas ce qu’ils représentent vraiment dans l’opinion », ajoute Lahouari Addi, » les islamistes diront que les Algériens ont répondu à leur mot d’ordre ».
Reste à comprendre la signification d’un scrutin qui, comme toujours en Algérie, relevait en grande partie du trompe-l’oeil. Difficile de croire au taux de participation annoncé quand on sait l’ampleur de la désaffection pour la chose publique dans ce pays! Seuls votent en général les adhérents des partis et les clients du pouvoir, c’est à dire les fonctionnaires, les militaires et ceux qui ont un intérêt à être bien vus du système. On se déplace, il est vrai, davantage dans les zones rurales, où bien des électeurs craignent, s’ils n’ont pas le précieux tampon sur leur carte, d’éprouver ensuite des difficultés avec l’administration. La faible affluence relevée dans les bureaux des grandes villes peut donc tromper l’analyste. Mais, même en tenant compte de ce correctif, le chiffre officiel de la participation paraît assez irréel. Est-ce parce qu’il s’agit d’un pourcentage de votants et que beaucoup d’Algériens, jeunes surtout, ne sont tout simplement pas inscrits sur les listes? A-t-il été gonflé volontairement comme l’affirment les partis qui appelaient au boycott? En 2007 alors que le chiffre officiel était un peu supérieur à 35%, la participation réelle était estimée, selon de bonnes sources à l’intérieur même du système, à 20% environ…
L’élection présidentielle, fixée en principe en 2014, sera en tous cas la prochaine échéance politique importante. Mais combien seront-ils ces algériens; plus que déçus par un système politique, à aller y exprimer leur voix?
Chahid Bendriss