Par Khaled AMAYREH
Tandis que les protestations continuent dans tous les territoires occupés contre la hausse du coût de la vie, un nombre croissant de Palestiniens exigent ouvertement l’annulation des Accords d’Oslo. Signés entre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Israël en août 1993, les accords autorisaient la création d’une Autorité Palestinienne (AP) autonome sous l’occupation militaire israélienne. Les Palestiniens espéraient que les accords finiraient par les libérer du joug israélien et conduiraient à la création d’un État palestinien indépendant et souverain avec Jérusalem-Est pour capitale.
Israël a toutefois adopté une politique de procrastination et de tergiversations, se lançant dans une campagne intensive de construction et d’expansion des colonies juives, dont les experts disent qu’elle a de fait tué toute perspective réaliste d’établissement d’une entité palestinienne viable et territorialement contiguë en Cisjordanie.
Ces deux dernières semaines, des dizaines de milliers de Palestiniens, de toute origine et orientation politique, sont descendus dans les rues pour protester contre la crise la plus grave qui ait frappé les territoires occupés depuis l’occupation israélienne de 1967. Les manifestants ont protesté contre les prix ridiculement élevés, en particulier ceux des denrées alimentaires, ainsi que ceux du carburant et des frais d’éducation. Ils demandaient également des augmentations de leurs maigres salaires en baisse.
Quelques manifestants indisciplinés ont attaqué des policiers et dégradé des biens publics, générant la consternation parmi l’opinion publique palestinienne, des actes que l’AP a utilisé dans une campagne intense de relations publiques visant à discréditer ce qui ressemblait à un soulèvement tant contre Israël que contre son propre régime.
L’AP a semblé réussir à pacifier les protestations, sa police s’étant maîtrisée et s’étant abstenue de tirer à balles réelles contre les manifestants. A Hébron, des centaines de policiers ont laissé des milliers de manifestants « évacuer leur frustration« , contrairement aux instructions qu’auraient semble t-il donné les chefs de la sécurité à Ramallah. Le résultat de cette approche sage du gouverneur d’Hébron, Kamel Hemid, fut que pas un seul manifestant n’a été blessé. Lors d’une conférence de presse dans la salle du gouvernorat à Hébron en début de semaine, Henid a accusé « la cinquième colonne » d’incitation, d’attaque de la police et de vandalisme des biens publics.
Hemid a dit qu’Israël ne voulait pas détruire l’AP ni provoquer son effondrement. « Ils veulent seulement l’affaiblir jusqu’à ce qu’elle soit obligée de se soumettre aux diktats et conditions israéliennes. » L’analyse d’Hemid semble tout à fait logique. Cette semaine, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a ordonné le transfert de quelques 63 millions de dollars à l’AP pour « aider à alléger sa crise économique. » La décision du transfert a été prise après consultation entre Netanyahu et le ministre israélien des Finances Yuval Steinitz sur la question.
Le gouvernement israélien a déclaré que l’argent était une avance sur les recettes fiscales perçues parIsraël pour l’AP. « Nous travaillons sur plusieurs fronts pour aider l’AP à faire face à ses problèmes économiques, » a dit Netanyahu lors d’une rencontre avec le Premier ministre bulgare Boyko Borissov. « Nous avons procédé à plusieurs modifications des accords sur les taxes. Nous faisons l’avance de certains transferts. Nous avons également aidé les ouvriers palestiniens par une série d’autres démarches pour leur faciliter les choses. Il y a bien sûr une réalité mondiale et c’est aussi lié à la gestion interne de chaque économie, mais pour notre part, nous nous efforçons d’aider l’Autorité palestinienne à survivre à cette crise. J’espère que nous réussirons ; c’est notre intérêt commun.«
Netanyahu a ajouté qu’aucun dirigeant israélien sensé voudrait voir l’effondrement de l’économie palestinienne, qui entraînerait l’extension de l’influence iranienne et la récurrence en Cisjordanie de ce qui s’est produit à Gaza – une allusion au contrôle du Hamas de l’enclave côtière. Les États-Unis semblent s’être hâté de venir à la rescousse de l’AP. Le Département d’État a dit cette semaine qu’il travaillait avec le Congrès pour libérer des fonds à hauteur de 200 millions de dollars pour aider l’AP à résoudre sa crise financière paralysante. « Nous sommes convaincus que cet argent doit bouger. Nous y travaillons avec le Congrès, » a dit la porte-parole du Département d’État Victoria Nuland.
En avril, le Président Barack Obama a signé une dérogation pour lever les restrictions sur les fonds destinés à l’AP, déclarant que l’aide était « importante pour les intérêts sécuritaires des États-Unis. » Néanmoins, la plupart des Palestiniens, y compris certains responsables de l’AP, savent bien que l’aide américaine et le paiement par Israël des recettes fiscales palestiniennes ne sont rien d’autres qu’un pis-aller temporaire à effet à court terme et qu’il faut trouver des solutions radicales.
La question est loin d’être théorique. Des protestations dans diverses parties de la Cisjordanie ont déjà repris, exigeant une solution radicale, ce qui largement en deçà de la capacité de l’AP puisque le problème est politique et qu’il est inextricablement lié à l’occupation israélienne. Sans lumière au bout du tunnel, les syndicats palestiniens ont déjà relancé des mots d’ordre de grève illimitée couvrant les écoles, les hôpitaux et autres services publics.
La direction de l’AP, qui a fait des déclarations désespérées ainsi que des signaux énigmatiques sur ces plans dans le cas où les efforts politiques déboucheraient sur une impasse, espère que l’aggravation de la crise obligera les pays donateurs à venir la sauver. Ses calculs politiques sont probablement corrects, puisque maintenir le contrôle de la situation dans les territoires occupés (c’est-à-dire empêcher une conflagration sérieuse) est l’intérêt international primordial. Toutefois, il est aussi vrai que remplir les coffres de l’AP ne sera pas motivé par des considérations altruistes, peu importe les affirmations rhétoriques de l’AP sur le libre arbitre palestinien et les décisions souveraines.
En fin de comptes, rien n’est gratuit. Les Palestiniens devront faire des concessions politiques en échange de l’aide qui renflouera l’AP et sauvegardera sa « pertinence ». Cette semaine, deux leaders palestiniens ont appelé à l’annulation des Accords d’Oslo et de la stratégie de deux-États.
Le premier était Ahmed Qurei, le vieux leader Fatah de l’ère Oslo, qui a affirmé que les Palestiniens devraient maintenant adopter la stratégie d’un État puisque l’établissement d’un véritable État palestinien était pratiquement impossible au vu de la phénoménale expansion des colonies juives en Cisjordanie occupée. Il est intéressant de noter que les remarques de Qurei coïncident avec la décision israélienne de transformer en colonies quelques 40 camps militaires situés en Cisjordanie.
L’autre leader palestinien appelant à la fin d’Oslo est Mustafa Barghouti, qui a déclaré que s’accrocher aux accords était la recette pour un suicide national. Les accords, a dit Barghouthi, furent « un désastre politique, économique et moral pour notre peuple et notre cause nationale. » Beaucoup – et probablement la plupart – des Palestiniens sont d’accord avec le pronostic de Barghouthi. Cependant, nombreux craignent qu’il soit impossible de revenir en arrière à l’ère pré-Oslo par un simple trait de plume, ou une déclaration de la direction de l’OLP.
Khaled Amayreh (collaborateur d’AlterInfo)