Par Sami SHERIF
Seth Anziska, chercheur américain de l’université de Columbia, tel est le nom qui a signé l’étude publié au New York Times sur le massacre de Sabra et Chatila ayant eu lieu au Liban lors de l’invasion israélienne de ce pays en 1982. Après qu’il ait eu accès à des archives israéliennes relatives à ce massacre, des documents déclassifiés reproduisant des échanges entre responsables américains et israéliens en 1982, le chercheur avance; en en ce 30ème anniversaire de ce drame, que ce massacre était « évitable » si la diplomatie américaine n’avait pas été trompée par les Israéliens ou ne s’était pas laissée tromper par eux.
Dans une série de documents déclassifiés en hébreu et en anglais tirés des « Israël State Archives » et datés des 15, 16, 17 18 et 20 septembre 1982, sont notamment retranscris des échanges entre des responsables américains et israéliens autour de la question du camp de Sabra et Chatila. Entre le 16 et le 18 septembre, furent massacrés dans ce camp de réfugiés palestiniens, entre 800 et 2.000 personnes, dont des femmes, des vieillards et des enfants, par les phalangistes chrétiens et les milices des Forces libanaises, le tout sous les projecteurs des chars israéliens postés autour du camp. Ce en représailles à l’assassinat du président Bachir Gemayel.
« Le verbatim (des conversations entre responsables israéliens et américains, ndlr) montre que les Israéliens ont induit en erreur les diplomates américains sur les évènements de Beyrouth et les ont mis sous pression pour qu’ils acceptent l’affirmation fallacieuse selon laquelle des milliers de +terroristes+ se trouvaient dans le camp. Plus troublant encore, quand les Etats-unis étaient en position d’exercer des pressions diplomatiques sur Israël qui auraient pu mettre fin aux atrocités, ils ne l’ont pas fait. En conséquence, les miliciens phalangistes ont pu assassiner des civils palestiniens, que l’Amérique avait promis de protéger quelques semaines avant seulement », note Seth Anziska.
L’auteur remonte aux évènements de la mi-août 1982, quand les Etats-unis négocient avec l’OLP un retrait de l’organisation palestinienne du Liban. A cette période, le président américain Ronald Reagan dit, selon ses Mémoires, au Premier ministre israélien Menachem Begin que les bombardements de Beyrouth-ouest, qui causent la mort de nombreux civils, « doivent cesser, pour ne pas mettre en danger l’avenir des relations » israélo-américaines.
Le 1er septembre 1982, des milliers des combattants palestiniens quittent le Liban, dont Yasser Arafat. Suite à quoi les Marines se retirent du pays du cèdre le 10 septembre. Mais avant de partir, ils négocient un cessez-le-feu qui comprend des garanties écrites protégeant les civils palestiniens dans les camps.
Le 14 septembre, Bachir Gemayel est assassiné. Israël, violant l’accord de cessez-le-feu, occupe Beyrouth-ouest. « Le principal ordre du jour est de protéger la paix, dit Begin à l’envoyé américain au Moyen-Orient, Morris Draper, le 15 septembre. Sans cela, il y aura des pogromes ».
Le 16, l’armée israélienne contrôle Beyrouth-ouest, une zone qui comprend Sabra et Chatila. Le même jour « le sous secrétaire d’Etat américain Lawrence S. Eagleburger dit à l’ambassadeur israélien Moshe Arens que la +crédibilité d’Israël est sévèrement entamée+ et il semble que les Américains +soient victimes d’une opération délibérée de tromperie de la part d’Israël+ », note l’auteur de l’article.
A Tel Aviv, le ministre de la Défense, Ariel Sharon, dit à l’envoyé américain Morris Draper que l’occupation de Beyrouth-ouest est motivée par la présence de 2.000 à 3.000 terroristes. M. Draper n’est pas d’accord, note Seth Anziska. « M. Draper dit qu’il est horrifié d’entendre M. Sharon considérer la possibilité de laisser entrer les milices phalangistes à Beyrouth-ouest. Même le chef d’état major israélien, Rafael Eitan, reconnait que les Américains craignaient +un massacre acharné+ », poursuite le chercheur.
Au soir du 16 septembre, le cabinet israélien est informé que les combattants phalangistes entrent dans les camps palestiniens. « Je sais ce que le sens de la vengeance signifie pour eux, quel type de massacre elle signifie », dit le vice-Premier ministre David Levy, selon un document déclassifié.
Le 17 à 12h30, le ministre isralien des Affaires étrangères, Yitzhak Shamir, a entendu parler de massacre, mais n’évoque pas ce point lors d’une rencontre avec Morris Draper et Ariel Sharon, écrit Seth Anziska.
L’ambassadeur américain aux Etats-unis, Samuel Lewis, dira par la suite que « la leçon de la tragédie Sabra et Chatila est claire. Parfois, nos proches alliés agissent contre les valeurs et les intérêts américains. Echouer à exercer la puissance américaine pour défendre ces intérêts et valeurs peut avoir des conséquences désastreuses : pour nos alliés, pour notre stature morale et, plus important, pour des populations innocentes qui paient le prix le plus élevé ».
Sami Shérif