Un miracle économique pour l’espace méditerranéen et l’Afrique

Par Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale

de  l’institut Schiller et le parti BÜSO en Allemagne

Le 1er juin 2012

Une crise existentielle d’une double nature se présente à nous : le système de l’euro et de la zone financière transatlantique est en cours de désintégration, une faillite qui pourra être repoussée de quelques semaines, mais uniquement au moyen d’injections de liquidités hyper-inflationnistes. C’est le résultat des politiques « défaillantes » de l’Empire britannique, par lequel je ne désigne pas la Grande-Bretagne elle-même, mais plutôt le système de mondialisation dont Londres et Wall Street constituent le centre névralgique pour les banques centrales, les banques d’affaires, les hedge funds, les multinationales et les sociétés d’assurances, dont les intérêts visent avant tout à maximiser les profits en faveur d’une classe parasite, et de forcer une gigantesque redistribution de la richesse de bas en haut. En relançant la Doctrine Blair d’ingérence humanitaire au Moyen-Orient et ailleurs, cet Empire menace aussi désormais de nous entraîner vers une confrontation thermonucléaire avec la Russie et la Chine.

Pourtant, une solution existe ; mais son adoption est absolument impossible au sein du système actuel. La mondialisation et l’économie de casino, irrémédiablement en faillite, doivent être remplacées par un système de crédit exclusivement orienté vers les investissements à haute densité de flux énergétique [1] dans l’économie réelle. Le rétablissement de la souveraineté nationale est la pré-condition pour assurer à la fois la reprise économique et la sauvegarde de la paix.

Comme l’a fait Franklin Roosevelt en 1933 (le Glass-Steagall Act), nous devons introduire immédiatement une séparation entre banques d’affaires d’un côté, et banques de dépôt et de crédit de l’autre puis rétablir l’émission de crédit productif public dans la tradition de l’économiste américain Alexander Hamilton, et de la Reconstruction Finance Corporation sous l’ère Roosevelt. Nous devons revenir aux monnaies nationales, avec des taux de changes fixes et lancer un programme de reconstruction économique pour l’Europe du Sud, la Méditerranée et le continent africain.

L’euro a engendré un monstre

Le titre de la plus célèbre gravure de Francisco Goya décrit bien le résultat des politiques que mène l’Union européenne : le sommeil de la raison économique engendre des monstres.

Qui peut encore douter que l’euro soit un échec ? La situation en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie et dans les Balkans, est un véritable carnage : elle a déjà coûté de nombreuses vies humaines. La faute n’est pas imputable aux citoyens de ces pays ; il s’agit plutôt du résultat d’un défaut de conception de l’Union monétaire, des politiques monétaristes de l’UE et des gouvernements européens, qui ont tout simplement continué, suite au déclenchement de la crise financière en juillet 2007, une politique favorisant les spéculateurs et les banques, contre l’intérêt général.

La zone euro, même à sa naissance, n’était pas une « zone monétaire optimale. » Il aurait dû être clair dès le début, pour toute personne douée de bon sens économique, que des Etats si différents par leurs structures économiques, leurs langues et leurs cultures, ne pourraient pas se développer de manière harmonieuse au sein d’une union uniquement monétaire.

L’euro n’est pas né sur de solides considérations économiques, mais plutôt d’une intention géopolitique de mettre l’Allemagne réunifiée dans le corset de l’UE et de la forcer à abandonner le deutschemark. Jacques Attali, ancien sherpa de François Mitterrand, a admis plus tard qu’il était clair pour nombre des acteurs de l’époque, qu’une union monétaire ne pourrait pas fonctionner sans une union politique, et que ce défaut de naissance de l’euro avait été conçu intentionnellement afin d’obliger par la suite l’Europe à entreprendre une union politique !

C’est précisément à cela que nous assistons aujourd’hui alors que, dans des conditions d’urgence, les défenseurs de cette union tentent d’utiliser l’introduction des euro-bonds comme le dernier pas vers un Etat fédéral européen.

Les pouvoirs extensifs dont le Mécanisme européen de Stabilité (MES) doit être doté – l’immunité à vie pour le conseil de gouvernance et le directoire – fera d’un tel Etat fédéral une véritable dictature servant les intérêts des banques de la City de Londres et de Wall Street. Cela conduirait fatalement Europe vers un chaos économique, politique et social.

Vingt ans après la signature du traité de Maastricht, un monstre est créé ; et onze ans après l’instauration de l’euro, de nombreuses nations de la zone euro risquent de basculer dans des conditions semblables à celles de l’Afrique : effondrement social, augmentation du taux de mortalité, décomposition des infrastructures, ralentissement brutal de l’activité économique, chômage massif avec un jeune sur deux ou sur trois sans emploi, et des employés qualifiés, privés de futur, obligés de quitter leur terre natale.

En réalité, le soi-disant boom des nations émergentes de la zone euro n’était qu’une bulle – et cette bulle vient d’exploser. Quand le flot de touristes commencera à s’assécher, quand les gens ne pourront plus s’offrir de résidences secondaires pour leurs vacances, on réalisera qu’il n’y a pas eu de réel accroissement de la richesse sociale dans ces pays et qu’il n’y a toujours pas d’infrastructures adéquates ni de capacités industrielles. La Grèce, par exemple, n’a aucune connexion ferroviaire avec le reste de l’Europe, ou avec l’Asie !

Même les citoyens du prétendu profiteur de l’euro, l’Allemagne, se retrouvent les mains vides. Depuis onze ans au sein de l’euro, le marché intérieur allemand s’est contracté, les revenus et le pouvoir d’achat ont baissé, le système de santé publique s’est détérioré, et l’ensemble de la structure de l’emploi s’est dégradé en faveur des emplois à bas coût. La prétendue position spéciale de l’Allemagne en tant que « champion mondial des exportations » – qui a davantage bénéficié aux 500 sociétés du DAX qu’aux petites et moyennes entreprises industrielles – s’effondre, comme on pouvait s’y attendre, alors que le marché des exportations s’assèche. Les politiques de l’UE n’ont pas contribué à assurer la paix en Europe, comme ont voulu nous le faire croire les propagandistes de l’intégration européenne ; au contraire, l’hostilité entre les nations n’a jamais été aussi grande depuis la IIe guerre mondiale.

Plutôt que d’encourager le bien-être général et un sens de solidarité, la loi de la jungle se répand, chacun essayant de sauver sa propre peau. La continuation de cette politique, sous la forme d’une austérité brutale dans la tradition de Brüning [2] ou sous celle d’une mutualisation hyper-inflationniste des dettes, représente une haute trahison contre la véritable conception de l’Europe, fruit de la tradition humaniste chrétienne.

Vers une confrontation stratégique

L’assujettissement des nations européennes au diktat de l’Empire britannique ne provoque pas seulement des conflits internes ; il nous entraîne également inexorablement vers une confrontation stratégique avec la Russie, la Chine et d’autres nations d’Asie. Le président russe Vladimir Poutine et son premier ministre Dmitri Medvedev ont tous deux clairement affirmé que la Russie n’acceptera pas que la loi internationale défendue par la charte de l’ONU soit bafouée, et qu’une politique violant la souveraineté nationale conduise à l’utilisation d’armes nucléaires, sous prétexte d’ « interventions humanitaires ».

L’administration Obama a fait sienne la « doctrine Blair » décrétant que l’ère de la Paix de Westphalie (définie par la souveraineté des Etats) est terminée et que les « interventions humanitaires » deviendront une arme de choix aux mains des Empires pour opérer la destruction des Etats-Nations. Le Atrocity Prevention Board (Conseil de prévention des atrocités) de l’administration Obama a établi une longue liste d’Etats, incluant la Syrie, le Soudan et beaucoup d’autres, comme autant de cibles en vue d’interventions militaires.

Au cours de son voyage aux Etats-Unis en mai, Tony Blair, l’auteur des mensonges ayant conduit à la guerre contre l’Irak, a proposé à Obama d’être son conseiller électoral pour les six prochains mois et il a déclaré qu’après avoir aidé Obama à se faire réélire, il briguera de nouveau le poste de Premier ministre. Il apparaît ainsi clairement que leur stratégie vise à contrôler le monde sur la base de la « relation spéciale » anglo-américaine. Cependant, deux doctrines intrinsèquement opposées se confrontent actuellement : la doctrine Blair d’un monde sans Etats-Nation souverains, mais sous contrôle d’un empire, et la doctrine Poutine, basée sur la défense de la loi internationale et de la souveraineté nationale.

La conjonction de la doctrine Blair – d’après laquelle des interventions de l’OTAN contre les « Etats voyous » peuvent être engagées partout dans le monde même si les Etats membres ne sont pas « directement affectés » – et de la politique de l’OTAN vis-à-vis de l’UE (surtout depuis l’adoption du traité de Lisbonne en 2009), signifie que tous les pays européens seront entraînés dans des confrontations potentielles avec la Russie, la Chine, et d’autres pays d’Asie, sans qu’on leur demande leur avis et sans aucun droit de véto.

Le processus visant à déléguer progressivement la souveraineté nationale à la dictature supranationale de Bruxelles –qui échappe largement aux yeux du public – nous a conduits dans une situation dangereuse. L’établissement politique européen, dans sa volonté de se maintenir au pouvoir, s’est tellement habitué à abandonner sa souveraineté, que la résistance contre cette politique d’intervention impérialiste – illustrée par le refus de l’ancien chancelier Gerhard Schröder d’aller en guerre en Irak, ou celui du ministre des Affaires étrangères allemand Guido Werterwelle de participer à la guerre en Libye – s’est progressivement érodée.

Dans un contexte un peu différent, le mutisme des dirigeants européens face au déploiement de systèmes anti-missiles américains en europe révèle pourquoi lorsque le gouvernement russe le dénonce comme un casus belli potentiel, ce n’est en aucune façon une simple « propagande », comme certains politiciens irresponsables l’affirment.

La même tendance apparaît avec le nouveau concept stratégique de « défense intelligente », présenté par le chef des forces armées britanniques, le général Sir David Richards, entre autres, au récent sommet de l’OTAN à Chicago. D’après ce concept, les 28 Etats membres de l’OTAN doivent renoncer à tous leurs droits souverains concernant le déploiement de leurs propres troupes et l’utilisation du matériel de guerre. Richards a annoncé que la conférence de l’OTAN prévue pour septembre prochain devra résoudre cette question d’un accès sans limites accordé à l’OTAN, sans que les gouvernements et les parlements nationaux élus ne puissent le bloquer par véto.

Le monde occidentale, ainsi qu’une grande partie du reste du monde, est dominé par les institutions de l’Empire Britannique. Dans la pratique, l’UE, telle qu’elle a évoluée depuis le Traité de Maastricht jusqu’à celui de Lisbonne, n’est rien d’autre que l’expression régionale de ce système.

Sur la base de ces deux questions – l’intérêt économique bien compris et celui de la sécurité nationale – il n’y a plus aucune raison pour des nations européennes de coexister avec cette Union européenne. Chaque nation a donc le droit, du point de vue de la loi internationale, de se retirer de cette union.

D’un autre côté, la soumission volontaire à ce régime de mondialisation de l’Empire Britannique, et à l’UE en tant que son expression régionale, ne peut que nous conduire à l’opposé de l’objectif affiché de préserver la paix en Europe, c’est-à-dire vers le chaos économique et la guerre, ce qui représente une haute trahison contre ses peuples.

L’alternative

C’est seulement une fois que l’on a digéré le fait que ce système monétaire transatlantique est totalement en faillite, que notre esprit est en mesure de se tourner vers des solutions constructives. Grâce à la mise en place d’une séparation bancaire, dans la tradition du Glass-Steagall Act que Franklin Roosevelt établit en 1933, les banques de dépôt et de crédit seront d’abord mises sous la protection de l’Etat, alors que les « instruments financiers créatifs » et les contrats de dérivés seront effacés de leurs bilans. Un moratoire sur la dette publique doit être déclaré et la part de l’endettement liée aux renflouements doit également être effacée.

Les Traités européens, de Maastricht à Lisbonne, doivent être annulés, et la souveraineté nationale sur la monnaie et la politique économique rétablie. Des études de faisabilité compétentes pour un « plan B », incluant les préparations techniques et la mise en œuvre d’une sortie de l’euro, ont déjà été réalisées par des experts comme le professeur Dirk Meyer du L’Académie militaire fédérale de Hambourg. Un week-end étendu pourrait servir de banking holiday (vacances des banques) pour préparer la conversion monétaire et faire face aux questions de soldes des comptes et des dépôts. Les citoyens allemands, et les résidents étrangers, pourraient voir leurs liquidités garanties sur une carte magnétique. Des contrôles, limités dans le temps, sur le transfert de capitaux et sur les échanges frontaliers pourraient empêcher l’introduction d’euros « hors secteur », et des procédures repoussant les créances dans le temps pourraient être engagées en vue de préserver l’ordre public.

La sortie de l’euro doit être suivie par un retour de la souveraineté monétaire, qui fut transférée à l’UE, vers les Etats-nations respectifs ; ceci peut être réalisé par une résolution rapide adoptée par le Conseil européen. Une loi pour instaurer une nouvelle monnaie nationale doit permettre de légiférer sur l’adoption d’un nouveau Deutschemark, de même pour les autres monnaies respectives. L’euro pourrait continuer à être utilisé en tant qu’unité de comptabilisation entre banques nationales, comme c’était le cas avec l’Unité de compte européenne (ECU).

Les procédures de retour aux monnaies nationales seraient relativement aisées, car nous pourrons utiliser l’expérience de la mise en place de l’euro. Le coût en sera relativement modeste, comparé à une désintégration chaotique de la zone euro.

Les exemples de réussite, ou d’échec, du système de crédit Franklin Roosevelt, s’aidant d’un ensemble de mesures – la commission Pecora, la loi Glass-Steagall, le New Deal, la Reconstruction Finance Corporation et la Tennessee Valley Authority – réussit à sortir les Etats-Unis de la dépression. Mais comme nous le savons pendant ce temps l’Allemagne s’engageait sur la voie des politiques d’austérité de Brüning, puis de Hjalmar Schacht et d’Hitler. Malheureusement, le gouvernement allemand actuel ne semble guère avoir retenu quoi que ce soit, et la Troïka de mauvaise réputation – BCE, Commission européenne et FMI – est en train d’imposer, sur toute l’Europe cette fois-ci, ces mêmes politiques qui menèrent l’Allemagne à la catastrophe.

Mais, même à l’époque, il y eut en Allemagne des critiques contre Brüning mais aussi des propositions de politique économique semblables à celle de Roosevelt. Vladimir Woytinsky, originaire de Saint Petersbourg en Russie, directeur du département des statistiques du principal syndicat allemand (ADGB), Fritz Tarnow, directeur de l’association des travailleurs du bois, et le porte-parole pour la politique économique du Parti Social-démocrate (SPD) Fritz Baade, conçurent un programme international visant à résoudre la crise économique mondiale qu’ils baptisèrent de leurs initiales : WTB.

Lisons Woytinsky : « tous les peuples souffrent du fait que l’économie mondiale est malade. Ils doivent donc concentrer tous leurs efforts sur une action conjointe pour sortir de la crise mondiale. (…) Les fonds qui seront libérés par une politique internationale de création de crédit doivent être utilisés pour créer des emplois et mettre en œuvre un plan ambitieux d’une reconstruction européenne. »

Ce plan prévoyait la création d’emplois productifs pour un million de chômeurs, financés via un prêt de deux millions de Reichsmarks. De plus, des crédits à long terme et faibles taux d’intérêts devraient être émis contre des obligations négociables auprès de la Reichskredit AG, et réescomptées à la Reichsbank. L’ADGB donna son accord pour le plan, mais il fut rejeté par les responsables du SPD, sous la direction d’Otto Wels, et par leurs « experts économiques » Hilferding, Naphtali et Baueur.

Comme l’écrivit Woytinsky dans son autobiographie : « c’était comme si je voyais, sous mes yeux, Brüning conduisant l’Allemagne à la catastrophe… Mais il ne faut pas être trop dur avec Brüning et ses erreurs. Ses idées erronées étaient partagées par nombre de ses conseillers au sein de son propre parti, tout autant que parmi les sociaux-démocrates. De plus, il les aurait certainement abandonnées s’ils n’avaient pas soutenu sa politique. »

En tandem avec le plan WTB, un économiste, Wilhelm Lautenbach, du ministère allemand de l’économie, présenta un mémorandum basé sur des principes similaires, intitulé « Possibilités de reprise économique grâce à l’expansion de l’investissement et du crédit ».

Ce mémorandum affirmait : « la voie naturelle pour résoudre l’urgence économique et financière est… non pas la contraction, mais plutôt l’accroissement de la productivité. » Il montrait qu’il existait une « situation paradoxale » où, « malgré un extraordinaire étranglement de la production, la demande continue d’être à la traîne derrière l’offre, étranglant ainsi davantage la production. »

Dans de telles conditions de dépression, il existe « un surplus de biens, d’usines, d’équipement non utilisés et une force de travail qui reste inutilisée. » L’exploitation de ce secteur productif, solide mais inactif, représente « un véritable défi de politique économique, urgent, et en principe relativement facile à résoudre. »

L’Etat doit « créer une nouvelle demande économique représentant économiquement un investissement de capital. De ce point de vue, nous pourrons envisager des projets comme… des travaux publics, ou des travaux privés avec un soutien public. Ces grands travaux – construction de routes, amélioration et extension des voies ferrées, etc. – qui entraîneront une hausse de la valeur des actifs engagés, devront être lancés une fois que des conditions normales auront été rétablies. »

Lautenbach écrit dans sa conclusion : « Avec une telle politique d’investissement et de crédit, le déséquilibre entre l’offre et la demande intérieure sera résolu et toute la production aura ainsi une direction et un but. Si nous renonçons à cette politique positive, nous nous engagerons irrémédiablement dans la voie de l’effondrement économique et de la ruine de notre économie nationale – une situation qui nous poussera, afin d’éviter une catastrophe économique, vers de nouveaux endettements publics à court terme dans le but de soutenir la consommation – alors qu’il est encore aujourd’hui possible de s’appuyer sur ce type de crédit de telle manière que les projets productifs puissent ramener à l’équilibre tant notre économie que nos finances publiques. »

Lautenbach affirmait également qu’à ce stade précoce la création de crédit pouvait toujours être utilisée pour financer l’investissement productif, alors que plus tard, elle devrait servir à soutenir le chômage.

Si le plan WTB ou le plan Lautenbach avaient été adoptés en 1931, les conditions sociales ayant rendu possible le coup d’Etat d’Hitler deux ans plus tard n’auraient pas pu être réunies. Aujourd’hui, nous savons à quoi ressemblait la catastrophe pressentie par Woytinsky, alors, soit nous fonçons tête baissée vers une catastrophe bien pire, soit nous choisissons de suivre la voie tracée par Roosevelt.

Le système de crédit

En 1923, les Allemands devaient découvrir, à travers une expérience douloureuse, que la monnaie n’a aucune valeur intrinsèque. En quelques semaines, ils virent s’évaporer le travail de toute une vie, malgré le fait que, nominalement, ils devinrent milliardaires, et même multimilliardaires. Aujourd’hui, à l’ère de la création monétaire électronique, de la titrisation et des contrats dérivés, la nature virtuelle de notre argent est encore plus évidente.

Le système monétariste actuel a accumulé un volume si gigantesque de ces instruments financiers que toute tentative d’honorer l’ensemble de cette dette nous conduira fatalement vers l’hyperinflation. La seule différence par rapport à 1923 est qu’il ne s’agit pas d’un seul pays, mais de toute la zone transatlantique.

Le système de crédit devant remplacer ce système monétaire faillit sera basé sur des principes complètement différents. L’argent en tant que tel possède bien une fonction dans les échanges, mais l’aspect fondamental de ce système sera le crédit qu’une banque nationale d’un Etat souverain émettra pour la production future. L’objectif de cette création de crédit est d’organiser une montée en puissance de l’économie réelle, de créer le plein emploi et d’accroître l’ensemble de la productivité de la force du travail, grâce à un vecteur scientifique et des objectifs fondamentaux dans la recherche. Cela représente une mise en œuvre des principes d’économie physique tels qu’ils sont développés depuis Leibniz, List, Carey, Witte, jusqu’à Lyndon LaRouche aujourd’hui.

Les crédits émis seront dirigés pour la production future – une valeur réelle, où les pouvoirs productifs des hommes, la transformation des matières premières, les capacités industrielles, créent une valeur ajoutée qui croît en tandem avec le niveau scientifique et technologique appliqué à la production.

Chaque pays devra créer une Banque nationale dans la tradition de celle du premier secrétaire au Trésor américain, Alexander Hamilton. Elle ouvrira des lignes de crédit pour financer des projets bien déterminés, tel le NAWAPA (Alliance Nord-américaine pour l’eau et l’énergie), la construction d’un tunnel sous le détroit de Béring, le programme de reconstruction pour l’Europe du Sud, l’Africa Pass, Transaqua, etc. (Voir les articles suivants). Via les banques régionales et locales, ces crédits seront ensuite distribués à l’ensemble des entreprises participant à ces projets, lesquelles pourront à leur tour engager des contrats avec leurs clients et embaucher la main-d’œuvre nécessaire, les revenus de cette dernière permettront à leur tour une élévation du niveau de vie.

Ainsi, au-delà d’une stimulation de la production, résultat direct de ces projets, il se produira une seconde reprise de l’économie dans son ensemble. Compte tenu du large éventail de projets tels que ceux cités ci-dessus, nous retrouverons un plein emploi durable, et en même temps les emplois de services repasseront proportionnellement en-dessous des emplois productifs dans l’industrie, la recherche, et l’agriculture. Les exemples historiques où cette création de crédit productif fut employée démontrent que les bénéfices engendrés par ce progrès économique global, ajoutés à l’augmentation des revenus fiscaux, dépassent largement le volume des crédits émis au départ. Contrairement à la création monétaire visant à soulager les vieilles dettes du système monétariste, ce système de crédit est anti-inflationniste, car l’effort mis en priorité sur le progrès scientifique et technologique augmentera la productivité.

Pour les générations futures

Cependant, il s’agit également de grands projets qui amélioreront la vie des êtres humains pendant plusieurs générations. Pour ceux qui vivent dans le monde virtuel des agents de change et préfèrent s’adonner à la danse hédoniste autour du Veau d’or, cela peut paraître une idée bizarre, mais le but sous-jacent d’une économie est en réalité de garantir la survie à long-terme de l’espèce humaine, avec une amélioration continue de génération en génération. L’objectif d’un système de crédit est de se saisir de la richesse créée par les générations antérieures et de « la transmettre, grandie et enrichie, aux générations futures », comme le disait Friedrich Schiller lorsqu’il parlait du sens de l’histoire universelle.

L’humanité n’est pas une espèce animale parmi d’autres, se reproduisant elle-même en gardant un niveau de développement identique à travers les siècles et les millénaires ; au contraire, elle est la seule espèce douée du pouvoir de créativité, c’est-à-dire de la capacité à développer ses propres ressources naturelles vers un niveau supérieur d’organisation. Cette créativité nous rend capables de créer quelque chose qui subsiste au-delà de notre vie mortelle : nous investissons dans quelque chose qui bénéficiera aux futures générations, qui leur donnera un degré de liberté matérielle et intellectuelle largement supérieur à celui que nous, en tant qu’initiateurs, auront pu atteindre durant notre propre vie.

Le système de crédit ne représente donc aucunement une simple amélioration technique de notre système bancaire ; il s’agit plutôt d’une harmonisation de la partie financière de l’économie avec l’existence continue de l’humanité à travers les générations. Autrement dit, il existe une dimension spirituelle. Le système de crédit est ainsi l’instrumentarium qui nous aide à transmettre la richesse créée par une génération vers les générations suivantes. Afin de rendre clair le fait qu’un système de crédit doit être vu comme un concept humain, plaçant l’humanité au cœur de l’économie, j’aimerai citer la conclusion de l’essai de Friedrich Schiller intitulé Qu’est-ce que l’histoire universelle et pourquoi l’étudie-t-on ?

« Il faut qu’une noble ardeur s’allume en nous à la vue de ce riche héritage de vérité, de moralité, de liberté, que nous avons reçu de nos ancêtres, et qu’à notre tour nous devons transmettre, richement augmenté, à nos descendants : l’ardeur d’y ajouter chacun notre part, de nos propres moyens, et d’attacher notre existence éphémère à cette chaîne impérissable qui serpente à travers toutes les générations humaines. Quelques diverses que soient les carrières qui vous sont destinées dans la société civile, vous pouvez tous apporter votre tribut à ce but. Le chemin de l’immortalité est ouvert à tout mérite, je veux dire de l’immortalité véritable, de celle où l’action vit et se propage, quand bien même le nom de son auteur devrait se perdre et ne pas la suivre. »

L’effondrement du système financier transatlantique qui nous entraîne dans une crise de civilisation devrait nous rendre conscients, même pour les plus demeurés, que nous devons harmoniser nos affaires politiques et économiques avec les principes de l’univers physique – si nous voulons conjurer le sort qui, dans le passé, a fait disparaître des espèces entières. L’univers n’est pas un système fermé, avec un « budget devant être équilibré », il s’agit plutôt d’un univers créatif, en développement anti-entropique, dont la densité de flux énergique et la complexité des structures organisationnelles sont en perpétuelle croissance.

Il est grand temps que nous adaptions notre économie humaine à ces lois de l’univers. L’objectif concret d’un système de crédit pour reconstruire l’Europe du Sud, la région Méditerranéenne et l’Afrique, découle directement de cette orientation universelle. D’un côté, les Banques nationales de chacun des Etats participant doit financer les projets décrits ci-dessous, en ouvrant les lignes de crédit nécessaires ; de l’autre, des Traités de coopération à long terme seront signés entre des Etats souverains, afin d’unir leurs efforts dans des projets internationaux traversant les frontières, telle l’extension des corridors de transport du Pont terrestre eurasiatique (une grande vision d’industrialisation que nous proposons pour ces régions) vers le Moyen-Orient, et, via des ponts et tunnels, vers l’Europe et l’Afrique. La durée de ces Traités devra être de l’ordre d’une à deux générations.

Si nous abandonnons la recherche de gains financiers immédiats et nous engageons à mettre fin aux conditions misérables du sous-développement dans le monde, grâce à un programme de reconstruction qui sera la pierre angulaire pour l’expansion des infrastructures et pour bâtir des « locomotives économiques », avec des projets comme le NAWAPA et le Pont terrestre eurasiatique étendu à l’échelle mondiale, alors nous pourrons susciter le plus grand miracle économique de l’histoire humaine. Une nouvelle ère pour l’humanité pourra alors commencer.

Notes:

[1] Densité de flux d’énergie. Bien que la même unité de mesure soit utilisée pour des énergies d’origines différentes, une source d’énergie ayant une densité de flux supérieure à une autre permettra d’accomplir un travail que cette dernière ne permettrait pas.

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