Tunisie : femmes, vers l’asservissement total

Par Chahid Bendriss

Ne touchez pas à notre parité !

Des milliers de Tunisiennes ont manifesté, le 13 août, contre l’article 28 de la future constitution du pays qui fait de la femme “un complément de l’homme”. Pour ce journaliste, en tentant d’éliminer l’égalité homme-femme, les islamistes s’attaquent à un pan entier de la modernité du pays et aux droits de celles qui, en nombre égal et à sacrifice égal avec les hommes, ont mené la révolution du 14 janvier.

C’est à l’aune de l’égalité entre les deux sexes que s’apprécie le degré de solidité d’un système démocratique. A travers le

monde, au moins depuis le début du siècle dernier, des hommes et des femmes ont fait des lois défendant le principe cette égalité, en attendant et en espérant que les mentalités et les comportements puissent un jour suivre. L’égalité femme-homme n’est jamais parfaite. Le sera-t-elle un jour ? Il importe, cependant, de s’assurer que le législateur inscrira

Femmes tunisiennes manifestant pour l’égalité

cette valeur dans les textes qui régissent l’organisation de la cité et ordonnent les relations de ses membres.

En Tunisie, on a pris l’habitude de croire que cette obligatoire égalité légale entre les deux sexes était une affaire réglée et que, moyennant un peu de vigilance, d’assiduité et de bonne volonté, tous les droits de la femme deviendraient, tôt ou tard, des réalités comprises, assimilées et palpables. On a innocemment ou naïvement sous-estimé, depuis l’indépendance, l’étendue et l’influence du conservatisme de notre société. On pouvait, par intuition, reconnaître l’existence d’un certain traditionalisme fort.

Antiféminisme primaire

Au lendemain de la révolution, l’insoumission conservatrice a retrouvé “ses honneurs” auprès d’une certaine frange de la société tunisienne et a pu ainsi entamer la reconquête du terrain perdu. Même si cette “renaissance” antiféministe n’ose pas encore afficher ouvertement sa misogynie, même si elle souffre quelque peu d’un manque de fondement théorique, elle semble avoir pour le moins trouvé des adeptes et quelques porte-parole.

La reprise de service de cet antiféminisme primaire, au lendemain de la révolution, a construit un argumentaire de vente facile pour écouler ses produits périmés auprès d’une catégorie de consommateurs bien déterminée. Le rejet de l’égalité femme-homme fera par exemple usage, pour convaincre les centaines de milliers de sans-emploi, de poncifs aussi éculés et rétrogrades que : “S’il y a du chômage, remettons les femmes à leur place. Renvoyons-les au foyer !”

Pour restaurer un certain ordre et une certaine stabilité dans notre société déséquilibrée par plus d’un dysfonctionnement, les réactionnaires suggèrent de rétablir la polygamie, de refaire découvrir au “deuxième sexe” le véritable respect de soi dans une certaine interprétation de l’islam. Cette lecture de la religion viendra dicter le hijab, puis le niqab, avant d’en arriver à cette idée réductionniste de la “complémentarité” de la femme que les nahdaouis [partisan du parti islamiste Ennahda] comptent inscrire dans notre constitution révolutionnaire.

Le « complément » de l’homme

Qu’en est-il exactement de cette nouvelle trouvaille d’Ennahda ? Poussons, nous aussi, notre raisonnement jusqu’à l’extrême simplification. Un complément est une quantité qui s’ajoute à l’essentiel. Un complément n’existe pas indépendamment de l’essentiel. Reformulons cette vision pire que réactionnaire. Nos mères, nos sœurs, nos épouses – pardon, notre épouse ! – et nos filles ne seraient pour ainsi dire rien sans nous, les hommes.

En tentant d’éliminer l’égalité homme-femme, les” islamo-démocrates” frappent ici un grand coup : ils s’attaquent, en effet, à un pan entier de notre modernité tunisienne et aux droits de celles, en nombre égal et à sacrifice égal avec les hommes, ont mené de bout en bout la révolution du 14 janvier. Que disent, en définitive, les nahdaouis aux femmes de la révolution et aux défenseurs de la modernité ?

Ils leur proposent de construire un nouvel ordre social “harmonieux” où chacun des deux sexes occupera une sphère bien déterminée : à l’homme revient la charge de gérer l’espace public ; la femme, elle, devra développer dans l’espace privé ses rôles de reproductrice, de nourricière et d’éducatrice…

Nous estimons, quoi que puissent nous répondre les stratèges et autres têtes pensantes d’Ennahda et les petites gens d’obédience nahdaouie, que la frontière séparant la “complémentarité”, ainsi que l’envisagent les disciples de Rachid Ghannouchi, de la “supplémentarité” de la femme est trop vague, et que l’on basculerait facilement et rapidement dans la seconde dimension, dans le détestable revers de l’obscurantiste asservissement total de la femme.

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