Interview de Nadia Geerts, Le Vif – L’Express (journal hebdomaire belge)
De plus en plus de Belges se convertissent à l’Islam. Ce sont de jeunes et de femmes pour la plupart. Selon Nadia Geerts, initiatrice de « R.A.P.P.E.L » (le Réseau d’Action pour la Promotion d’un État Laïque), cette recrudescence du religieux s’explique d’abord par une recherche de sens. Interview.
Selon une étude réalisée voici quelques années par l’ULB pour la Fondation Roi Baudouin, les convertis à l’Islam en Belgique seraient environ 30.000. Mais le phénomène est en croissance surtout chez les jeunes et chez les femmes entre 18 à 25 ans. Comment expliquez-vous cela ainsi que le renforcement des convictions religieuses dans notre société ?
Nadia Geerts: Je pense que la montée du religieux est liée à des questions de sens. De tout temps, les hommes ont cherché un sens à leur vie et la religion a le mérite de leur donner des réponses à ces questions. Le développement du féminisme, en particulier, ramène la question « Qu’est-ce qu’être femme aujourd’hui ? ». Et peut-être certaines femmes sont-elles rassurées par une réponse de nature religieuse, qui nous assigne un rôle à la fois défini et valorisé dans une société où se développe de plus en plus l’indifférenciation des rôles masculin et féminin. Personnellement, j’ai du mal à comprendre ces conversions à l’Islam de la part de femmes occidentales parce que je les perçois comme un recul par rapport à l’émancipation rendue possible par le mouvement féministe, mais je pense qu’il faut chercher du côté de l’angoisse devant le « manque de sens » une réponse à la question du « pourquoi ? ».
J’imagine qu’en tant que féministe vous n’êtes pas rassurée par cette montée de l’Islam…
Je pense qu’aucune religion – en tout cas parmi les trois monothéistes – n’est un terrain favorable à l’émergence du féminisme, dès lors que toutes partent du principe que Dieu a créé l’homme et la femme en leur attribuant à chacun un rôle spécifique lié à leur « nature » voulue par Dieu. Le féminisme, pour moi, c’est précisément le refus de voir des rôles assignés à un rôle en fonction de leur sexe, rôle qui les contraindrait et les emprisonnerait dans celui-ci. S’agissant plus particulièrement de l’Islam, je pense qu’il peut y avoir des musulman(e)s féministes, mais qu’il est difficile de trouver dans les textes fondateurs de l’Islam eux-mêmes un fondement du féminisme. Autrement dit, je pense que le « féminisme musulman » est une imposture, au sens où il consiste la plupart du temps à valoriser le rôle des femmes, tout en les enfermant dans celui-ci et en leur déniant donc le droit de sortir du rôle qui leur a été assigné. En revanche, je pense qu’on peut très bien avoir une lecture de genre du Coran, dont il est clair qu’il a constitué pour les femmes une indéniable avancée par rapport à la manière dont elles étaient traitées avant l’émergence de l’Islam. Mais cela implique évidemment une contextualisation du texte coranique.
De manière générale, pensez-vous que la sécularisation risque d’être mise en discussion ?
La sécularisation est un processus par lequel les individus, dans leurs comportements et choix de vie, se réfèrent de moins en moins à la religion. Tout dépend de la place que les individus accordent aux prescrits religieux dans leur vie quotidienne. Il faut donc voir quel type d’Islam se développera les prochaines années en Belgique. Si un certain Islam est parfaitement compatible avec la sécularisation, l’Islamisme, en tant que projet politique, est quant à lui incompatible avec la sécularisation, puisqu’il propose la religion comme seule référence du musulman, lui disant comment se comporter à tout moment de sa vie.
À cet égard, vous avez écrit dans votre blog : « Je ne suis pas sûre que le projet de société des salafistes et autres frères musulmans soit moins effrayant que celui des intégristes chrétiens, en particulier pour les femmes. Je suis même sûre du contraire. Quand donc se décidera-t-on à les combattre tous avec la même énergie ? » Pourquoi ce projet est-il si dangereux ?
Les intégrismes religieux constituent un danger, car ils visent à imposer à tous la loi de Dieu. De ce fait, ils nient la liberté de conscience de chacun et s’opposent à un certain nombre de principes démocratiques fondateurs de nos sociétés modernes, au premier rang desquels les droits de l’homme, qui ne sont pas d’essence divine, mais d’essence humaine. Tant que des intégristes font ce choix pour eux-mêmes, sans visée prosélyte, on pourrait considérer cela comme un choix personnel qui n’engage et handicape socialement que ceux qui le posent. Mais dès lors que l’intégrisme musulman est prosélyte, c’est l’ensemble des fondements de nos sociétés qui est mis en cause et menacé. Sans même parler du recours à la violence de certains radicaux. La liberté religieuse ne peut pas permettre de diffuser des messages haineux ou contraires à la démocratie et aux droits de l’Homme. Parallèlement à cela, je pense qu’il est urgent de mettre en place un cours d’éducation à la religion et à l’humanisme contemporain, car l’instruction est une arme contre l’intégrisme.