Née à Bcharré (Liban) en 1937, Vénus Khoury-Ghata est l’auteur d’une vingtaine de romans et d’autant de recueils poétiques. Elle vient de livrer son dernier roman « Le facteur des Abruzzes », Paris, Mercure de France, 2012. 146 pages. 15 euros.
Le roman sent du Marquez et aussi du Dante. l’histoire qu’il rapporte se passe à Malaterra, un village antique, creusé dans le roc et peuplé d’hommes et de femmes à la fois fantasques et émouvants. La vie y est régie par des superstitions et des coutumes d’un autre temps. Laure y fait la connaissance d’un bouquiniste kosovar, d’un boulanger musulman qui propose de l’épouser. Mais c’est l’histoire de la vieille Helena qui l’interpelle. Celle-ci attend depuis trois décennies pour faire payer l’impôt du sang au violeur de sa fille. L’histoire d’Helena est emblématique de la loi implacable d’œil pour œil et de dent pour dent qui règne à Malaterra. Les immigrés albanais ayant fui du Kosovo, pendant les évènements sanglant qu’a connus le pays pris en otage entre deux prétentions, l’une Serbe voulant le garder sous souveraineté et l’autre albanaise tenue par le mouvement nationaliste kosovare voulant précipiter l’indépendance de son pays, se sont facilement acclimatés avec la tradition locale qui ne diffère pas assez de la leur. Le sens de l’honneur, valeur incontournable au Kosovo, elle l’est aussi ici, dans les Abruzzes en Italie des années 90 du siècle précédent.
Vénus Khoury-Ghata entraîne ses lecteurs au fin fond de la région sauvage des Abruzzes, dans un village au nom prémonitoire : Malaterra, la terre maudite. Le site doit son nom à la misère qui y règne et qui a poussé ses jeunes à le quitter pour aller chercher du travail en ville.
C’est dans ce bourg abandonné par ses forces vives que débarque Laure. Parisienne, elle est sur les traces de son mari disparu dans des conditions mystérieuses. Biologiste d’origine albanaise, Luc faisait des recherches sur des Albanais implantés dans les Abruzzes depuis un siècle, tous dotés des mêmes groupes sanguins O-. Sa curiosité piquée par les notes laissées par son scientifique d’époux sur les habitants, leurs maladies, les déficiences immunitaires, les mariages consanguins ou les incestes, Laure a décidé de venir voir de ses propres yeux.
Il y a du Macondo marquézien (le lieu où se déroule Cent ans de solitude, le célébrissime roman de Gabriel Garcia Marquez) dans Malaterra, mais aussi de L’Enfer de Dante. Telle Orphée, Laure est venue chercher son Eurydice dans cette terre ingrate et violente. Mais sa quête de retrouver les traces de ce mari qu’elle a tant aimé et si peu connu, ne peut aboutir.
Bref, un roman tragique, mais qui s’inscrit dans cette œuvre crépusculaire qu’a bâtie Vénus Khoury-Ghata, avec pour seul matériau sa poésie et ses thèmes obsessionnels tels que la quête de l’être aimé. Une thématique qui a des résonances autobiographiques car elle la renvoie à son frère aîné. Celui-ci l’avait initiée à la poésie avant de s’engouffrer dans la violence et la folie. Devenue poétesse à son tour, l’auteur de A quoi sert la neige et Les Obscurcis a longtemps pensé que son frère écrivait à travers elle et qu’elle n’était qu’un relais de sa parole !
Le facteur des Abruzzes , est un récit dramatique de libanaise Vénus Khoury-Ghata sur le thème de la souffrance, la vengeance et la mort. Admirablement servi par une écriture évocatrice et poétique.
« Pour moi, écrire un roman, c’est escalader une montagne pas à pas, lentement, en faisant des efforts, alors qu’écrire des poèmes, c’est dévaler des pentes à toute vitesse, dégringoler », a coutume de dire Vénus Khoury-Ghata. La romancière et poétesse libanaise est l’auteur d’une vingtaine de romans et d’autant de recueils de poèmes. Des romans lyriques et une poésie qui puise son inspiration dans le quotidien avec son lot de tragique et de désespoir. Tels sont les deux versants du projet littéraire de l’écrivain libanaise, un projet d’exploration des mystères du monde et de l’identité.
L’originalité de ce projet réside aussi dans son double langage, au sens littéral. Née au Liban, Vénus Khoury-Ghata vit en France depuis 1972. Elle a abandonné l’arabe pour écrire en français, mais sa langue maternelle n’a cessé de hanter son écriture. L’arabe est devenu, comme elle aime le rappeler, « une langue clandestine qui continue à infuser son miel et aussi son amertume ». D’où le choix qu’a fait la romancière de situer ses récits dans le monde méditerranéen, ce qui est le cas de son nouveau roman Le facteur des Abruzzes.