Par le Colonel en retraite Mohamed Mellouki
Pendant longtemps, chaque fois que je voyais l’égyptien Tantaoui se tenir devant Moubarak comme un petit enfant intimidé par un personnage de haut rang, et le saluer dans un garde-à-vous gauche de soldat qui n’a pas encore parfait sa formation de base, je me demandais ce que valait, au juste, ce Maréchal de pacotille. Lorsque je l’ai vu, à la TV, débarquer en pleine crise du ‘ printemps arabe’ dans les parages immédiats de la place Tahrir, inspectant les troupes qui étaient déployées autour, je me suis dit qu’il y était venu pour prendre de visu la température avant de balayer les hommes et l’espace. L’image me paraissait conforme à un personnage docile et effacé, formaté à l’exécution des ordres. Et depuis qu’il a pris les rênes du pouvoir, je suis revenu régulièrement sur son CV sur Internet dans l’espoir de tomber sur une étude ou information récente qui puisse l’élever un peu dans mon estime ; mais rien d’appréciable ; seulement une carrière
militaire classique dont n’émane aucun charisme. Son passage, pratiquement de deux décennies dans les gouvernements successifs, n’a, apparemment pas impacté un personnage qui demeurait, comme beaucoup d’autres,certes, dans des systèmes similaires, un simple gardien du temple à qui on ne demandait pas de réfléchir. Ses déclarations rassurantes et favorables, par la suite, à l’esprit de la révolution m’ont fait sincèrement regretter le préjugé que j’avais porté initialement sur lui. J’ai cru voir en lui l’autre aspect qu’il aurait soigneusement caché en attendant son heure pour dévoiler le vrai visage d’homme intrinsèquement nationaliste et patriote. Il me rappelait Khroutchev à qui Staline faisait ‘avaler des couleuvres’ avant de prendre sur lui sa revanche, le démolir, au point de le sortir de l’Histoire non pas par la petite porte, mais par les égouts. Au fil des semaines, Tantaoui redevenait de nouveau indéchiffrable, de plus en plus empêtré dans les contradictions entre ses promesses et ses actes, jusqu’au jour fatidique où coup sur coup, il fait valider la candidature de Ahmed Chafiq, invalider l’Assemblée du peuple, pourvoir la Sécurité militaire de compétences judiciaires, promulguer ce qui est convenu d’appeler ‘ le Communiqué constitutionnel complémentaire’ et autres mesures pour cadenasser le futur Chef de l’Etat, et le réduire, comme du temps de la junte turque ou celle en cours en Algérie, à un simple rôle de marionnette d’une armée qui, s’attribuant plus de pouvoirs et de privilèges qu’elle n’en avait reçus de Nasser, Sadat et Moubarak réunis, s’érige carrément en Etat au dessus de l’Etat. Tantaoui apparaît, alors, dans une stature véritablement inédite ; celle d’un homme considéré globalement borné politiquement, néanmoins enclin à l’exercice du pouvoir absolu ; décidé, donc, à aller à contresens de l’Histoire. L’énigme de cette métamorphose a, vraiment, de quoi surprendre. A-t-il jugé que le temps était venu pour lui de monter au créneau et prendre le taureau par les cornes? Est-ce la Junte militaire qui l’a placardé dans une situation aussi manifestement embarrassante? Est-ce la crainte pour lui-même, ou pour la Junte, de prendre, un jour, la relève de Moubarak derrière les barreaux, dans l’éventuelle perspective d’une mainmise islamiste sur l’Etat ? Est-ce une exigence externe liée tant à des intérêts nationaux qu’à la géopolitique régionale ? Seule certitude, pour le moment, est que l’intrusion de l’armée égyptienne de cette manière pratiquement abrupte dans le contexte politique, n’est autre qu’un véritable coup d’Etat pour rogner les ailes d’une révolution à la recherche de ses marques. Les partisans du coup de force, nostalgiques de l’ère Moubarak ou rétifs au pouvoir islamiste, ont, indéniablement, pour leur part des raisons de se sentir rassurés, et de claironner que cette intrusion procédait du souci de répondre à une revendication légitime d’une importante fraction populaire aspirant à l’instauration d’une représentation équilibrée entre les forces politiques en compétition. Nombreux, néanmoins, les Égyptiens qui doivent difficilement ravaler leur rancœur devant ce qui a tout l’air d’une confiscation pure et simple de leur ‘ Révolution’, et, sûrement aussi, regretter de n’avoir pas opté pour la formule libyenne. Celle-ci a le mérite d’avoir vite fait de clarifier la situation dans ce pays, au plan institutionnel. Et même si des antagonismes s’y disputent encore la représentation politique, il n’en demeure pas moins que les conflits de prépondérance ont de tout temps jalonnés les bouleversements révolutionnaires dans les différentes parties du globe. Le chaos que connaît cette expérience finira bien par se tasser sur une base d’où seront éradiquées pour de bon toute séquelle et nostalgie de l’ancien régime. En tout état de cause, elle peut être considérée en voie de clôture et a de forte chance de rester intra muros quelle qu’en sera son évolution, alors que l’Egyptienne, elle, risque de faire rebondir le ‘ Printemps arabe’ dans la version violente des premiers jours où furent incendiés le siège du parti de Moubarak et autres édifices publics, avec de forts probables ricochets sur le monde arabe, lorsqu’on connaît la place et l’influence que ce pays y exerce. Le report de l’annonce officielle des résultats définitifs de l’élection présidentielle s’inscrit probablement dans cette crainte. Si l’Egypte est indéniablement à la croisée des chemins, sa Junte militaire, elle, semble se trouver dans de bien mauvais draps. En louvoyant à outrance, elle ne tardera pas à se rendre compte qu’elle s’était piégée. Apparemment, elle a poussé ses pions trop loin pour pouvoir les retirer sans s’attirer l’effondrement du toit sur sa tête. Elle ne peut non plus soutenir pour longtemps une position raisonnablement et politiquement intenable. La fuite en avant est une issue à laquelle a recouru Moubarak, elle l’a conduit en prison. Indéniablement, que quel que sera l’élu présidentiel, la Junte laissera ses plumes à court ou moyen terme ; avec de forts risques d’une répercussion négative sur l’ensemble de l’institution militaire que toutes les tendances politiques ont convenu, jusqu’à présent, d’en préserver l’aura.