La langue est le support d’une culture. Elle recouvre à ce titre, une dimension identitaire. Chaque peuple se reconnait en principe dans sa langue. Les langues sont comme les choses, elles naissent, grandissent et le cas échéant s’affaiblissent et meurent. Il y a des plus anciennes et des « récentes ». Il y en a celles qui résistent, combattent et ne se laissent pas surclassées par d’autres. Leur existence est facteur de l’effort des nations qui les véhiculent de les préserver.
Au cours de l’histoire humaine, ce sont les grandes nations qui ont toujours parvenues à préserver leur langues, à les développer et à étendre la sphère géographique où elles pourraient s’implanter. Le facteur économique, l’intérêt linguistique des grands leaders et les grands projets de société que ces derniers pourraient imaginer pour leur nation, ont été toujours des facteurs clefs pour leur survie. Ainsi, une langue pourrait se développer, se propager et surclasser d’autres suivant le développement économique de la nation qui la parle, la puissance et la volonté de l’élite et des chefs politiques de cette nation; ainsi que de la volonté d’expansion de cette dernière hors de ses frontières. De même, une langue peut s’affaiblir suite à l’affaiblissement de l’économie du pays qui la parle et de son élite politique. Les langues de la Mésopotamie, celles de l’Egypte pharaoniques et bien d’autres, ont complètement disparu avec la disparition de ces civilisations. Par contre, nombre d’autres ont survécu à travers des millénaires, en l’occurrence, le Chinois, le Japonais, le perse, le Turque et l’Arabe pour ne citer que ces exemples les plus en vue. De ces cinq langues qui persistent encore depuis les temps anciens, quatre correspondent à des pays qui n’ont jamais été colonisés et dont les élites avaient combattu pour leur préservation. L’on citerait pour le Japon du 19ème siècle l’Impératrice Meïji qui; entrevoyant d’une manière précoce la montée de la puissance européenne et américaine dans le Pacifique, s’était immédiatement mise à l’oeuvre pour faire de son pays une grande puissance dont l’identité culturelle devait être sauvegardées et soignée. D’où son intérêt pour la généralisation de l’enseignement et l’encouragement de l’élite intellectuelle pour qu’elle produise dans langue du pays. Pour la Chine, nombre d’empereurs étaient de vrais intellectuels et faisaient tout ce dont – il étaient capables pour préserver leur langue. Avec la révolution chinoise, est venu le Grand Timonier Mao Tsetong pour réadapter le chinois à l’ère contemporaine en procédant à la rectification des règles d’utilisation de l’alphabet chinois. Pour la Perse, nous citerons surtout l’empereur Safavide Ismail qui 1551 était allé jusqu’à décréter le Chiisme religion d’Etat, rien que pour préserver une certaine différence identitaire par rapport eaux arabes et surtout par rapport aux turcs qui; tout puissants à cette époque, menaçaient d’occuper son pays et de surclasser sa culture. Son intérêt pour les facteurs identitaire l’avait poussé également à encourager le Perse et non la langue du Coran. Par la suite, est venu Ataturk (le père des turcs) pour donner une impulsion à l’identité turque en modernisant le pays et en abandonnant l’alphabet arabe utilisé depuis l’avènement de l’Islam dans son pays pour l’écriture de la langue anatolienne.
Quant aux arabes, l’histoire de leur langue; vielle de milliers d’années, est des plus compliquée, de par les nombreuses péripéties qu’elle avait connues. Parlée au départ seulement dans les frontières de la péninsule arabique, c’est l’Islam qui la portera aux frontières perses et romaines d’Asie Mineure au nord, et jusqu’à la côte océanique, en Afrique du nord, à l’ouest.
Par Léa ASSIR | 08/06/2012
Jamais écrire en français n’aurait dû poser problème. Et pourtant, me voici, libanaise inquiète du déclin de la langue arabe, incapable d’écrire en arabe. Cette situation reflète pourtant parfaitement le problème auquel cette langue fait face aujourd’hui au pays du Cèdre.
À l’image de cette constellation de communautés qu’est le Liban, les Libanais s’expriment dans un dialecte lui-même composé de plusieurs langues, à savoir l’arabe agrémenté de français et d’anglais. Cet amalgame linguistique n’est pas une nouveauté au Liban où la fameuse expression « Hi, kifak, ça va ? » est tellement typique qu’elle est désormais imprimée sur les tee-shirts souvenirs. Aujourd’hui toutefois, le français et surtout l’anglais font de plus en plus d’ombre à l’arabe, tout particulièrement chez les jeunes des classes aisées.
Ce phénomène découle de nombreux facteurs, parmi lesquels la méthode d’enseignement de l’arabe, qui semble favoriser la mémorisation au détriment du raisonnement, rendant la relation des élèves à la langue fastidieuse et rebutante. À la question de savoir s’ils aimaient les cours d’arabe, Philippe Saliba, ancien élève du Grand Lycée franco-libanais, et Arine Baghdoyan, ancienne élève du Collège arménien évangélique (AEC), ont la même réaction : un rire suivi d’un simple « non. » Pour Saliba, le brevet libanais se résume en quatre mots : « Tu retiens, tu recraches. » Baghdoyan s’explique : « La façon dont l’arabe est présenté aux Libanais est la pire méthode. La seule capacité que l’on développe est la mémorisation. » Pour Sara Ammar pourtant, enseignante d’arabe au Collège protestant français, le problème n’est pas propre au Liban. « Les autres pays arabes ont le même problème. Nous manquons de matériel pédagogique moderne et interactif pour enseigner l’arabe », dit-elle.
Trois cas de figure permettent une dispense du programme libanais : ne pas avoir la nationalité libanaise, avoir une autre nationalité en plus de la libanaise ou ne posséder que la nationalité libanaise mais avoir suivi un programme à l’étranger pendant au moins trois ans. Un élève libano-syrien par exemple peut donc légalement être dispensé du programme libanais, et donc d’arabe. En 2011, 4 539 demandes de dispense ont été adressées au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, dont 73 % pour le programme américain et 27 % pour le programme français. Parmi ces demandes, presque autant provenait de Libanais (45 %) que de non-Libanais (55 %).
Beaucoup de parents libanais ont désormais tendance à parler français ou anglais avec leurs enfants, au point parfois de les réprimander s’ils s’expriment en arabe. Cela s’explique par le fait que pour certains parents, les langues étrangères sont la garantie de la réussite professionnelle de leur progéniture, oubliant le fait que l’arabe est un atout non négligeable dans le monde du travail, en Orient comme en Occident. Ammar explique que certaines compagnies qui ont à faire avec les pays arabes font désormais passer des tests d’arabe à leurs candidats. « D’anciens élèves viennent me voir et me disent qu’il aimeraient réapprendre l’arabe. » Bien souvent les parents prennent pour acquis le fait que leurs enfants apprendront l’arabe de toute façon. Pour Souheila Tohmé, du département des équivalences pré-universitaires au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, le système éducatif est bon, « mais les parents aggravent problème en ne parlant plus l’arabe à la maison ». Pour d’autres parents enfin, le français et l’anglais sont synonymes de statut social élevé. Comme le dit Henri Zoghaib, directeur du Centre du patrimoine libanais, « c’est en grande partie une question de snobisme ». Quelle que soit la raison, le résultat est là, et certains jeunes ne sont simplement pas capables de s’exprimer de façon correcte et continue en arabe, voire de s’exprimer tout court. Pour Wafa Abdel Nour, professeure d’arabe à l’Université libano-américaine (LAU), le problème se situe plutôt au niveau de la langue classique. Zoghaib : « C’est l’arabe classique qui se perd, pas le dialecte libanais, même si le dialecte est aussi moins employé du fait que les Libanais soient polyglottes. » Pour Ammar cependant, les élèves de petite section de son établissement comprennent mais ne maîtrisent pas l’arabe dialectal. « Typiquement, ces enfants de trois ans ont des nounous qui parlent un anglais approximatif et des parents qui parlent souvent un très mauvais français. Ils arrivent à l’école avec une langue hybride, ni anglais, ni français, ni arabe. » S’ajoute à cela la complexité même du Liban : dans un pays où la définition de l’identité nationale semble toujours accompagnée d’un point d’interrogation, l’arabe ne fait pas l’unanimité en tant que langue identitaire. Pour Baghdoyan, la question n’est pas simple : « Je me considère comme une Arménienne libanaise. L’arménien est la langue à laquelle je m’identifie et dans laquelle je pense, mais je suis libanaise dans mes valeurs, mes traditions et mon mode de vie. » Mais le phénomène ne serait pas confiné à l’intérieur des frontières libanaises : d’après Suzanne Talhouk, présidente de l’ONG Fe’el Amer (« impératif ») visant à promouvoir et protéger la langue arabe, c’est tout le monde arabe qui est touché : « En tant que culture, nous avons tendance à penser que les autres valent mieux que nous. Ce n’est pas juste une question de technologie et de mondialisation : d’autres pays ont subi les mêmes influences et continuent à parler leur langue. » Elle ajoute que le problème vient aussi de l’image des Arabes véhiculée par les médias, en particulier après le 11-Septembre : « Aux nouvelles, les images de terroristes sont associées à la langue arabe. Or relier cette langue à l’islam ne fait que compliquer la situation. Nous devons être unis en tant qu’arabes pour défendre l’arabe. » Une opinion que Ammar semble partager : « L’arabe est associé aux pays arabes, aux musulmans et au peuple, au sens négatif du terme. » Enfin, une autre question majeure est celle de la lecture – une activité quasiment inexistante dans le monde arabe. Selon Zoghaib, « les jeunes ne lisent pas en arabe. Les livres en langues étrangères sont plus abordables et mieux présentés. » Même son de cloche pour Ammar : « La littérature pour enfants a beaucoup évolué mais n’arrive pas encore à rentrer en compétition avec les livres en langues étrangères. »