Prise en tenaille par Israël et la Turquie, barrée par son rival baasiste l’Irak de Saddam Hussein, la Syrie s’est appliquée à desserrer l’étau dans une alliance de revers avec l’Iran, l’ancien gendarme américain du Golfe, devenu sous le régime Khomeiniste, le nouveau croquemitaine des pétromonarchies du Golfe. Mal lui en prit. En 1982, dans la foulée de l’annexion de Jérusalem, en décembre 1981, alors qu’Israël se préparait à porter au pouvoir son protégé libanais, le chef phalangiste Bachir Gemayel, une révolte est fomentée, à Hama, dans le nord de la Syrie, par les «Frères Musulmans», l’organisation clandestine financée par l’Arabie Saoudite, en février 1982, à quatre mois de l’invasion israélienne du Liban, déclenchant une sévère répression qui fera, selon des informations de presse, plusieurs milliers de morts. C’est Damas qui sera blâmée par la communauté internationale pour sa férocité et non l’Arabie saoudite qui attisait le feu intégriste. C’est le président Hafez al-Assad en personne qui sera pointé du doigt et non son propre frère, le Général Rifaat al-Assad, le chef des brigades de la défense, la garde prétorienne du régime, le beau frère due l’actuel monarque saoudien, l’ordonnateur des massacres.
Ce frère cadet du président syrien, un homme aux multiples ramifications et trafics sera banni par la suite de son pays. Il continue de bénéficier curieusement de la mansuétude occidentale sans doute en raison de ses alliances matrimoniales avec la famille Fustock qui fera de lui, le beau frère de l’actuel roi Abdallah d’Arabie et du député maronite libanais Nassib Lahoud, perpétuel candidat à la présidence libanaise. C’est la Syrie alaouite enfin qui sera déclarée «ennemi de l’Islam» pour avoir maté une rébellion fondamentaliste que toutes les armées du monde aussi bien arabes qu’occidentales pourchassaient au nom de la «guerre contre le terrorisme». La Syrie couverte de plumes et de cendres, alors que l’Algérie, l’Egypte, le Maroc et la Tunisie, sont magnifiés pour avoir éradiqué l’intégrisme tandis que l’Arabie fondamentaliste est couverte d’éloges pour ses présumés progrès dans de parcimonieuses réformes démocratiques.
Dans ce climat d’opprobre généralisé, la Syrie présente au Liban depuis 1976 à la demande des chefs maronites en mauvaise posture à l’époque, sera contrainte à retirer se troupes, en juin 1982, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban. Une décennie infernale (1979-1989) s’ouvre alors à l’Occident au Moyen Orient: Destitution du chah proaméricain et assaut contre les Lieux Saints de la Mecque, en 1979, assassinat de l’égyptien Sadate, pactiseur d’Israël, en 1981, mise en échec du traité de paix libano-israélien, en 1983, attentats contre les QG occidentaux à Beyrouth, en 1983, spirale des otages occidentaux au Liban (1984-1988), attentats de Paris (1986-1988). Une décennie infernale qui s’achève avec la chute du Mur de Berlin (1989) l’implosion de l’Union soviétique et l’affirmation de l’Imperium américain sur le plan mondial, l’hégémonie israélienne sur le plan régional et, sur le plan arabe, la prépondérance saoudienne sous la tutelle des Etats-Unis.
L’Arabie saoudite, le plus intransigeant ennemi d’Israël sur le plan théorique, aura opéré le plus grand détournement du combat arabe, soutenant l’Irak contre l’Iran dans la plus longue guerre conventionnelle de l’histoire contemporaine (1979-1988), le détournant du coup du champ de bataille principal, la Palestine, déversant des milliards de dollars, et, surtout, déroutant la jeunesse arabe et musulmane vers l’Afghanistan, à des milliers de km du champ de bataille palestinien, contre un ennemi athée certes mais allié des Arabes, l’Union soviétique, le principal fournisseur d’armes de pas moins de six pays arabes (Syrie, Irak, Algérie, Libye, Soudan et Yémen), un utile contrepoids en somme à l’hégémonie américaine. L’attentat du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyper puissance américaine démasque les complicités saoudiennes dans la montée en puissance de l’intégrisme antioccidental. Bien que quinze des dix neuf kamikaze ayant participé au raid du 11 septembre soient de nationalité saoudienne, l’administration Bush, plutôt que de frapper le Royaume Wahhabite, le foyer et le terreau du fondamentalisme, va répliquer en Afghanistan et en Irak, les deux points de percussion de la coopération saoudo-américaine dans la sphère arabo-musulmane à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine, gommant ainsi au passage toute trace de leurs forfaits antérieurs, se faisant à bon compte une nouvelle virginité politique sous la bannière de la lutte pour la promotion de la démocratie dans le monde musulman. Par effet d’aubaine, la destruction de l’Irak a placé paradoxalement la Syrie et l’Iran en vainqueur a posteriori d’un Saddam Hussein, leur plus implacable ennemi depuis deux décennies, et, consacré l’Iran comme puissance régionale de fait. Un résultat inacceptable pour George Bush, le grand ordonnateur de ce chaos destructeur pour la population locale et corrosif pour l’Amérique elle-même. Inacceptable non plus pour son successeur démocrate Barack Obama.