Sélecto et Rym
Plus tard dans la journée, je prends la route pour la capitale de la province de l’Oriental, la sœur jumelle de Maghnia, Oujda, autre symbole. Nettement mieux pourvue en infrastructures, puisqu’elle dispose même d’un aéroport international, Oujda n’en rappelle pas moins qu’elle est la plus algérienne des villes marocaines. Tout ce qui se consomme ou presque est algérien, du Sélecto aux cigarettes Rym. Seuls le drapeau et la monnaie changent. Musicalement, c’est le raï qui domine avec une dose de reggadda, le style local. Mohamed El Chergui, guide touristique, nous attend sur la terrasse d’un café.
«Bienvenu à Oujda, cher frère. Je pense que tu as pu constater qu’il y a peu de changements par rapport à l’Algérie. Cette ville est celle du royaume où il y a la plus forte population algérienne. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que nos frères algériens disposent d’un consulat ici même.» Il continue émettant ce souhait que «la frontière rouvre rapidement. Ici, nous souhaitons même mieux encore. Pourquoi pas un jumelage entre Oujda et Maghnia, avec d’intenses échanges tant économiques que culturels d’ailleurs ? Nous sommes un seul et même peuple.» Un seul et même peuple, ces mots revenaient souvent de la part d’Algéro-Marocains, mais également de simples citoyens marocains comme Jamila, 34 ans, employée à Attijariwafabank, habitante de Oujda, mais originaire de Meknès.
«Rana chaâb wahed»
«J’ai toujours admiré l’Algérie. Mais je ne comprends pas pourquoi cette frontière est fermée. En 2009, alors que notre équipe nationale a vu sa qualification pour la Coupe du monde compromise, nous étions tous derrière les Fennecs, et lorsqu’ils ont arraché leur billet pour l’Afrique du Sud, croyez-moi, nous avons fait la fête aux quatre coins du royaume.» Dernière étape marocaine, Ahfir, où nous attend la famille maternelle de Kamel, rencontré à Maghnia. Lalla Soumaya, la tante de Kamel, heureuse de recevoir chez elle un «frère de sang», affirme recevoir régulièrement des membres de sa famille établis de l’autre côté de la frontière. «Mes enfants, poursuit-elle, vont souvent en Algérie. D’ailleurs, mon fils Moumen va se marier cet été avec une Algérienne de Nedroma. Pour nous, il n’y a aucune différence entre Marocains et Algériens. Rana chaâb wahed.»
La nuit tombe. Mouh, mon passeur marocain, est inquiet. Il passe quelques coups de fil, jonglant avec ses deux indispensables puces, une algérienne, une marocaine. Les militaires se font plus nombreux. Et pourtant, nous devons rentrer à Maghnia. Retrouver Lahcen et sa Renault 25. Tard dans la nuit, nous retrouvons la fameuse route de l’Unité maghrébine. La présence militaire est palpable. Le stress de mon passeur aussi. Je ne reconnais plus la route empruntée le matin même. Les oiseaux ne gazouillent plus. Le vent dans les arbres s’est tu. Le bruit de mes pas me renvoie un écho assourdissant. La fraîcheur de la nuit me fait frissonner. L’Algérie est donc si loin ? Et puis soudain, je l’aperçois. Dans la nuit, chaleureuse et bienveillante, cette petite lumière qui tangue.
Noël Boussaha