Algérie-Maroc : comment j’ai traversé la frontière en clandestin

«Nous sommes des Algéro-Marocains, comme le regretté Ahmed Ben Bella, Allah yarahmou (Ben Bella est natif de Maghnia, ndlr), s’enorgueillit Rabah, retraité. J’ai trois sœurs à Oujda, deux mariées à des Marocains, et la troisième mariée à un Algérien originaire de Aïn Témouchent. Nous ne nous voyons plus aussi souvent qu’avant, mais parfois, il m’arrive d’aller les voir, surtout lors d’occasions comme l’Aïd, mais ce court voyage coûte cher.»

Infra-rouge

Naïma, sa femme, réagit comme la majorité des habitants de la région : «Il faut rouvrir cette frontière coûte que coûte. Pourquoi parler de l’UMA alors que théoriquement nous ne pouvons pas passer entre les deux pays phare de cette UMA ? Regardez l’Union européenne ! Des pays comme la France et l’Allemagne se sont fait la guerre, mais ils ont su faire table rase du passé. On peut circuler entre ces deux pays comme si nous changions de wilaya. Pourquoi ça ne serait pas la même chose entre l’Algérie et le Maroc qui partagent la même langue, la même religion et la même culture ? Tout est là pour nous rapprocher.»

Mais les militaires veillent. La nuit, équipés de caméras infrarouges, ils sont encore plus redoutés que la journée. Un militaire, qui a tenu à conserver l’anonymat, rencontré à proximité du poste-frontière Colonel Lotfi, préfère dédramatiser : «Il n’est pas rare que nous plaisantions avec nos collègues marocains. Souvent, pendant le mois sacré du Ramadhan, nous assurons une rupture collective du jeûne. C’est cela aussi les relations fraternelles, même si la politique n’est malheureusement pas loin.» Nous empruntons la RN 7A, parallèle au tracé frontalier, pour nous rendre à l’ex-Port-Say afin d’y rencontrer Lalla Naïma, mère de famille, âgée de 65 ans : «Ma sœur habite à Saïdia, tout près d’ici. Avant 1994, nous nous voyions régulièrement chaque week-end. Tantôt j’allais la voir, tantôt c’était elle qui venait me voir. Il y a quelque temps encore, le passage à la frontière se faisait sans accroc, les douaniers nous connaissaient bien. Maintenant, c’est plus compliqué. Cette situation est devenue invivable. Krahna ! Jusqu’à quand ça va durer ainsi ? J’en veux particulièrement au gouvernement algérien qui se soucie peu de nous. Il ne faut pas oublier que c’est l’Algérie qui a pris l’initiative de fermer cette frontière, pas le Maroc. D’ailleurs, pour la petite histoire, à l’époque, mon fils aîné s’est retrouvé bloqué pendant plus d’une semaine là-bas. Il va bien falloir la rouvrir cette frontière. Vous verrez bien de l’autre côté qu’ils sont dans la même situation que nous. Vous autres à Alger, vous vous souciez plus du prestige de notre pays en soutenant ce statu quo plus que ces familles déchirées à cause d’intérêts politiques.»

«Ahna khout !»

A quelques encablures de Marsa Ben M’hidi, un paysage féerique où une série de drapeaux algériens fait face à une rangée de drapeaux du royaume chérifien, de l’autre côté d’un oued. Lahcen, mon passeur, fait un drôle de guide touristique : «Ici, c’est un point de rencontre très prisé en été. Des deux rives, les touristes et les gens de passage se saluent à défaut de pouvoir se serrer la main. Voilà le vrai visage de l’Union du Maghreb arabe.» Une fois passé du côté marocain, je prends la direction de Saïdia, station balnéaire appelée à devenir la «Marrakech méditerranéenne», sur la P 6000, parallèle à la RN63, parallèle à la frontière. Je pars rencontrer Lalla Aïcha, la sœur aînée de Naïma. Accueil chaleureux.

D’emblée, elle lance «un appel au président Bouteflika et à Sa Majesté Mohammed VI. Rouvrez la frontière. Mettez vos différends de côté. Pensez à nous. Ya Si Abdelaziz, n’oublie pas que tu es né à Oujda, que tu as une dette à l’égard de ton pays natal. Ici, nous avons eu beaucoup d’espoir lorsque tu es devenu président en 1999. Matensech, ahna khout !» Les larmes aux yeux, elle continue : «Je commence à vieillir, je ne peux plus subir ce genre de traversée. En plus, ça nous coûte de plus en plus cher. Vous me voyez, à mon âge (70 ans), faire plus de 600 km jusqu’à Casablanca, prendre l’avion jusqu’à Oran ou Alger, pour revenir à 200 m de chez moi ? Honte à nos dirigeants ! Ils ne se soucient pas des revenus modestes et de la santé des gens.»

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