Algérie-Maroc : comment j’ai traversé la frontière en clandestin

Elle est fermée depuis tellement longtemps (1994) qu’on en oublie le drame que vivent les familles établies des deux côtés. El Watan Week-end a franchi la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc pour aller à la rencontre de celles et ceux qui ne souhaitent qu’un rapprochement entre les deux pays.

Maghnia, frontière algéro-marocaine

Dans la nuit, une petite lumière tangue, chaleureuse et bienveillante. Lahcen m’envoie un signal avec son briquet.Soupir de soulagement irrépressible. Me revoilà du côté algérien. Je reviens d’un voyage clandestin. Celui que font régulièrement des centaines de familles algériennes et marocaines, des deux côtés de cette maudite frontière fermée depuis août 1994. La veille, alors que le soleil de la mi-journée réchauffait les collines de l’Atlas, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans un pays illégalement. Depuis les élections législatives algériennes, les militaires de l’ANP et ceux des Forces armées royales ont été déployés en plus grand nombre le long de la frontière.

Du coup… l’aventure revient plus cher. En temps normal, le passage coûte entre 2000 et 4000 DA. Là, je dois payer 15 000 DA à mon passeur qui s’arrange avec son acolyte, de l’autre côté. A bord d’une Renault 25 – élue voiture locale en raison de son grand réservoir – nous nous dirigeons vers Boukadoun, à une trentaine de kilomètres au nord de Maghnia. C’est là que je dois me débrouiller seul. Emprunter un sentier, connu sous le nom de «route de l’Unité maghrébine» (ça ne s’invente pas). Parcourir une centaine de mètres dans une forêt de pins clairsemée. Percevoir, à travers les gazouillis d’oiseaux et le vent dans les arbres, d’éventuels cliquetis d’armes. Ecarter la possibilité de me faire prendre et de risquer – d’après mes passeurs –, un mois et demi de prison à Casablanca. Me faire le plus léger possible sur cette piste de cailloux qui n’en finit plus. Distinguer, avant qu’ils ne me voient, les militaires en patrouille. Cibler un arbre derrière lequel me cacher en cas de danger. Arrêter de respirer.

Zoudj Bghal

Quelques interminables minutes plus tard, j’aperçois un poste où flotte un drapeau marocain. Puis Mouh, mon autre passeur, marocain. Un professionnel de la transgression. Capable de flairer un militaire à des kilomètres. De sentir si ce soir, oui, on peut «tenter le coup». Ou si non, sans réelle raison rationnelle, il vaut mieux rester à la maison. Leur quotidien. «Si vous vous rendez aux postes frontières classiques comme celui de Colonel Lotfi, vous verrez la route fermée, barrée. Mais les allers- retours ne cessent pas pour autant. Ils continuent d’une autre manière. Vous pouvez vous rendre au Maroc en voiture, à pied ou même à dos d’âne», reconnaît Salim, chauffeur de taxi de Maghnia, qui ajoute avec malice que «la partie ouest de la wilaya de Tlemcen est la région d’Algérie où le taux de population des ânes est le plus élevé !».

Dressés tels des pigeons voyageurs pour franchir la frontière et revenir, les ânes peuvent, eux, passer là où l’homme est interdit. «Et apporter aux Marocains carburants, yaourts, biscuits… et aux Algériens du shit, spécialité du Rif», précise Hichem, adepte du trafic depuis quelques années. Un des plus célèbres lieux-dits du coin s’appelle d’ailleurs Zoudj Bghal (les deux mulets, ndlr). «Un nom qui représente bien l’Algérie et le Maroc !, plaisante Salim avant de reprendre, plus sérieux. Finalement, Maghnia est autant marocaine que sa sœur Oujda est algérienne, tellement les familles sont liées.» De Maghnia à Marsa Ben M’hidi (ex-Port-Say), située à peine 200 m de la marocaine Saïdia, station balnéaire en rapide expansion, beaucoup d’habitants rencontrés avouent avoir un oncle, une tante ou des cousins de l’autre côté de cette frontière.

Kamel raconte qu’il est né à Ahfir, au Maroc : «Ma mère est Marocaine, mon père est Algérien de naissance. Depuis l’âge de 2 ans, je vis à Maghnia. J’ai aujourd’hui 28 ans. Je me définis comme Algéro-Marocain, voire comme Maghrébin. Mais voyez-vous, cette frontière fermée n’en est pas moins un symbole pour tout le devenir de l’Union du Maghreb arabe. Que l’on soit ici à Maghnia ou à Oujda, on n’a pas du tout l’impression de changer de pays. Cette terre est la nôtre, et j’en veux aux deux Etats de ne rien faire pour œuvrer dans le sens d’une réelle entente fraternelle.» Des maisons en terrasses, une couleur ocre qui tranche avec le bleu du ciel, des moquées aux minarets travaillés… A Maghnia, rien n’indique que nous sommes en Algérie tellement le paysage ressemble à celui du Maroc.

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